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Auteur/autrice : Marie Chauvet

Comment devenir sage ?

Comment devenir sage ?

sage

Les offres contemporaines de mieux-être sont légion. Si les « intellos » sont enclins à choisir la voie de la philosophie, et si les spirituels sont plus attirés par la voie de la méditation, le commun des mortels gagne à suivre la voie illustrée par la myrmécologie pour manifester une forme de sagesse concrète. Comme l’atteste un sage hébreu (Pro 6.7-11), cette voie est gratuite, et est accessible à tous : « intellos », « spis », et « ni-intellos-ni-spis ».

De quoi s’agit-il ?

La méthode est apparentée aux anciennes « leçons de choses » que les aînés ont encore connues à l’école.  Cette pédagogie a été « popularisée [en France] dès 1867 par Mme Pape-Carpantier (1815-1878). »[1] Il s’agit d’une méthode inductive et réaliste, qui part des « choses » particulières pour en dégager les « mots » (concepts ou théories) généraux. Cette approche a inspiré le Réformateur Allemand Martin Luther pour les études bibliques. Avant lui, Dieu l’avait déjà utilisé. C’est par exemple l’histoire du ricin, qui pousse aussi vite qu’il ne disparaît, afin de toucher les sentiments du prophète Jonas, pour convaincre son intelligence de s’aligner sur les pensées de Dieu (Jon 4.6-11).

L’exemple de la voie myrmécologique.

Cette voie est énoncée par l’auteur du livre des Proverbes en ces termes : « Va vers la fourmi, paresseux ; considère ses voies, et deviens sage » (Prov 6.6.). Cette méthode engage celui qui veut devenir sage à une triple action :
VA , VOIS et DEVIENS !

  1. VA ! non pas te recoucher, ni faire le vide la tête sur un tapis à clous, mais « bouge-toi » et va vers la fourmi, ce petit insecte qui ne paie pas de mine, pour te motiver à entreprendre[2] ce qui t’incombe.
  2. VOIS ! non pas derrière ton smart-phone pour prendre une photo, mais avec tes yeux et tes « smart-neurons » pour voir la réalité en face, comprendre et tirer instruction de cette leçon de choses. Une fourmi adulte n’a ni besoin d’un surveillant qui évalue ses performances au travail, ni supérieurs hiérarchiques que lui disent ce qu’elle a à faire, ni d’un manuel pour reproduire ses gestes professionnels ou de vie quotidienne, ni besoin d’un coach ou d’un DRH qui la boost. Comme les deux premiers serviteurs de la parabole des talents (Mt 25.14-30), chacun ont intégré les principes individuels et collectifs, pour atteindre l’objectif social à viser : le développement de la colonie de fourmis et des biens de la maisonnée. Mais de voir et de désirer, cela ne suffit pas (Prov 21.25-26).
  3. DEVIENS ! non pas une célébrité qui d’un clik, met ses photos en ligne, en désespérant du manque de pousses-bleus, mais un serviteur prompt à l’action (Pro 26.13-16), pour entretenir et achever ce qui a été commencé, lorsque l’été est là, c’est-à-dire la saison destinée à anticiper l’hiver.

Si une personne a bien incarné cette triple action : Va !, Vois ! et Deviens ! c’est le Christ qui : est venu sur terre, a vu et a eu compassion des pécheurs, et est allé jusqu’au bout de la mission qui lui était assignée : devenir le rédempteur du monde.
À notre échelle et à la mesure d’appel qui est le nôtre, pourquoi ne pas s’entraîner à tirer instruction des « leçons de choses » (avec déjà cette autre histoire : Pro 24.30-34) et nous auto-motiver au prompt engagement de service ?

_________ Anne Ruolt

Pour aller plus loin :

Buisson, Ferdinand, article « Leçons de choses » [en ligne], dans Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, Paris, Hachette, 1910, URL : http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3034, consulté le 25 février 2024.

Darrigrand, Yves, « La Paresse », Cahiers de l’Institut Biblique, n° 69, 1987, pp. 3‑12. (le lien aux Cahiers pourrait être ajouté)

Kinder, Dereck, « Le paresseux », dans Le livre des Proverbes, Fontenay-sous-Bois / Cergy-Pontoise, Farel-Sator, 1986, pp. 32‑34.

[1] Ferdinand Buisson, article « Leçons de choses » [en ligne], dans Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, Paris, Hachette, 1910, URL : http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3034, consulté le 25 février 2024.

[2] Les caractéristiques du paresseux : « Il ne veut rien entreprendre » ; « il est incapable d’achever quoi que ce soit » ; « Il refuse de voir la réalité » ; « il est troublé et agité » sont tirés de : Dereck Kinder, « Le paresseux », dans Le livre des Proverbes, Fontenay-sous-Bois / Cergy-Pontoise, Farel-Sator, 1986, p. 32‑34.

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Appelés à servir Dieu

HEBREUX 12.18 – 12.29
APPELES A SERVIR DIEU :
EN ROUTE VERS LA CITE CELESTE

La moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers. Priez donc le Seigneur de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa moisson » (Mt 9.37s) . Conscient des besoins, le Centre Évangélique 2023 a rassemblé les responsables du monde évangélique de l’Europe francophone autour de la thématique : « Vocations : crises ou opportunités ? ». Ayant eu la joie d’approfondir l’étude de l’épître aux Hébreux, grâce aux prédications dans mon Église et le cours à l’IBN, ma réflexion s’est dirigée vers un passage dans la dernière partie de cette épître. L’auteur y dresse un tableau grandiose de la vocation chrétienne, avant d’en tirer des conclusions très concrètes. Mettons-nous à son écoute, pour que les initiatives que nous prenons, dans nos Églises et à l’Institut, pour favoriser de nouvelles vocations, soient en accord avec les projets du Seigneur.

1. Deux montagnes : Sinaï et Sion (Hé 12.18-24)

L’auteur de l’épître aux Hébreux, dans notre passage, établit un contraste saisissant entre le Mont Sinaï, lieu du don de la Loi, et le Mont Sion, lieu auquel sont appelés les croyants de la nouvelle alliance : « Vous ne vous êtes pas approchés, en effet, d’une montagne[1] qu’on pouvait toucher » (v. 18). Dans l’Ancien Testament, la révélation accordée au Sinaï avait culminé dans la construction du temple sur le Mont Sion. Mais l’épître aux Hébreux inclut toute l’ancienne alliance dans ce terme « Mont Sinaï » et fait ressortir que la nouvelle alliance est la réalité vers laquelle l’attente de l’ancienne pointait.

Pour décrire les terreurs au Sinaï, l’auteur fait appel au récit qu’en fait le livre de l’Exode (19.10-20 ; 20.18-21), et aux souvenirs de Moïse quand il parla 40 ans plus tard au peuple avant l’entrée dans le pays de Canaan (Dt 4.11s). Il y a bien un paradoxe ici : Israël est au bénéfice d’une révélation palpable, matérielle – comme nous en rêvons parfois nous-mêmes – mais la sainteté divine est tellement terrifiante qu’ils ne peuvent même pas toucher la montagne ! Seul Moïse, en tant que médiateur de l’alliance peut gravir le Sinaï[2]. Mais lui aussi est habité par la peur : « Je suis épouvanté et tout tremblant » (Hé 12.21)[3].

Le tableau menaçant que l’auteur brosse de la révélation accordée au Sinaï sert d’arrière-fond sombre pour mieux faire ressortir les privilèges des croyants de la nouvelle alliance : alors que les Israélites ne pouvaient même pas toucher la montagne sous peine de mort, les croyants de la nouvelle alliance se sont « approchés » de la montagne de Sion. La sainteté de Dieu reste la même : « notre Dieu est aussi un feu dévorant », comme le rappelle l’auteur au verset 29. Mais au lieu d’être « terrifiante et inaccessible », dans la nouvelle alliance, la sainteté divine « accueille, purifie et guérit[4] ». Non pas parce que Dieu aurait, tout à coup, baisser ses exigences – comment pourrait-il ne pas punir le péché, lui dont « les yeux sont trop purs pour voir le mal » (Ha 1.13) ? Mais dans la nouvelle alliance, la justice de Dieu, inaccessible dans le régime de la Loi est enfin accomplie. L’accès à la cité de Dieu est garanti par le sang de Jésus, comme le précise le verset 24 : son sacrifice expiatoire nous garantit un libre accès à la présence de Dieu.

« Vous vous êtes approchés… » (v. 22) : Le verbe grec se trouve au parfait, pour désigner une action du passé qui donne lieu à un état continu. Il fait référence à la conversion à Jésus-Christ, qui a introduit les croyants dans cette nouvelle sphère d’existence qui est désormais la leur[5]. L’auteur décrit cette réalité nouvelle à l’aide de huit expressions, groupées en quatre paires :

  • La montagne de Sion : Comme les tribus d’Israël convergent vers Jérusalem pour célébrer le culte du Seigneur (Ps 122.3s), ainsi les croyants de la nouvelle alliance viennent se rassembler à la rencontre de Dieu.
  • La cité du Dieu vivant, la Jérusalem céleste : La cité céleste émerge comme un thème majeur dans la dernière partie de l’épître aux Hébreux. Au chapitre 11, l’auteur la place au centre de l’attente des patriarches (v. 10, 16). Au chapitre 13, elle est la cité à venir, la seule à laquelle le chrétien doit sa loyauté, en acceptant le rejet du monde opposé à Christ (v. 13s). Dans notre texte, elle est cette patrie céleste à laquelle les chrétiens appartiennent dès à présent.
    Nous connaissons cette même dualité du livre de l’Apocalypse : la nouvelle Jérusalem est cette ville eschatologique qui apparaîtra quand le ciel descendra sur terre et que Dieu habitera parmi les hommes (Ap. 21.2s). Mais dès à présent, la montagne de Sion désigne le lieu où le culte est rendu à l’Agneau dans les cieux. Certes, aujourd’hui cette ville n’est pas encore descendue sur terre, la louange céleste reste encore cachée à nos yeux. Mais nous appartenons, dès à présent, à cette compagnie céleste. Ou pour employer un langage paulinien : nous sommes « assis dans les lieux célestes avec Christ » (Ép. 2.6)[6]. Notre Seigneur est déjà entré dans la présence du Père et règne du ciel ; c’est pourquoi nous, membres de son corps, nous sommes citoyens du ciel : c’est « la Jérusalem d’en haut … qui est notre mère » (Ga 4.26), non une quelconque ville des royaumes d’ici-bas.
  • Des myriades d’anges en fête : Le terme grec désigne une « réunion de fête » et est probablement à prendre avec ce qui précède comme complément circonstanciel, comme le fait la TOB et la Semeur, et en accord avec les manuscrits grecs qui comportent des ponctuations et les versions latine et syriaque[7]. Il n’est pas surprenant de trouver une multitude d’anges dans la présence de Dieu (Dt 33.2, selon la leçon des Septante ; Dn 7.10 ; Ap 5.11). L’ambiance festive contraste avec l’austérité qui entourait le don de la Loi. Jésus lui-même souligne que les anges se réjouissent « pour un seul pécheur qui se repent » (Lc 15.10). Il y a beaucoup de raisons de célébrer au ciel, depuis que la justice a été accomplie par le sacrifice de Jésus-Christ. Et si les anges font la fête, nous aussi, n’est-ce pas ?
  • L’assemblée des premiers-nés inscrits dans les cieux : c’est-à-dire nous. Nous sommes tous des enfants privilégiés – privilège que nous devons tenir en estime, contrairement à l’attitude d’Ésaü, dénoncée quelques versets plus haut (v. 16). Comme les premiers-nés de l’exode, nous sommes protégés par le sang de notre Agneau pascal (cf. Hé 11.28) ; nous sommes « inscrits dans les cieux », c’est-à-dire sûrs de notre salut[8].
  • Dieu, le Juge de tous (cf. Gn 18.25 : « le Juge de toute la terre ») : L’accent sur le rôle de Juge souligne la responsabilité solennelle des auditeurs et prépare la mise en garde qui conclura l’énumération (cf. Hé 4.13 ; 10.30s). En même temps, il fait ressortir d’autant mieux la solidité de notre espérance : que craindre encore si nous sommes approuvés par le Juge de tous, inscrits dans son livre de vie ?
  • Des esprits des justes parvenus à la perfection : Les croyants qui nous ont précédés dans la mort sont accueillis par Dieu dans sa présence. Ils ont achevé leur course ; le temps de l’épreuve et de la vigilance est passé pour eux. Pourtant, ce n’est pas leur mérite, mais la grâce de Dieu qui les a soutenus jusqu’au bout : c’est le Christ qui « peut sauver parfaitement ceux qui s’approchent de Dieu par lui » (Hé 7.25). Voici notre destinée finale : nous pouvons reprendre courage, car d’autres avant nous sont déjà arrivés jusqu’au bout.
  • Jésus : en point d’orgue de l’énumération. Comme l’exprime N.T. Wright, il est « le couronnement glorieux de la nouvelle Jérusalem[9] ».
  • Son sang nous permet l’accès à la Jérusalem céleste ; car il « parle mieux que celui d’Abel » : alors que le sang d’Abel criait vengeance, le sang de Jésus, symbolisant sa mort à notre place, proclame haut et fort que nous sommes réconciliés avec Dieu, puisque justice a été faite.

L’auteur brosse devant nous « une image dramatique, exaltante, glorieuse »[10]. C’est la réalité que nous vivons, le privilège qui est le nôtre. Pourtant, ce tableau grandiose nous interpelle aussi : « Votre vie de prière et d’adoration, que ce soit seul ou avec d’autres croyants, est-elle empreinte de la joie et de l’enthousiasme qui se dégagent de ces versets ?[11] »

2. Deux paroles : sur la terre et du ciel (Hé 12.25)

Après deux montagnes, au verset 25 voici deux paroles : l’une prononcée sur la terre, l’autre du ciel. On retrouve le contraste entre la révélation donnée au Sinaï et le régime de la nouvelle alliance. Les deux sont donnés par Dieu – c’est bien « sa voix » qui a retenti sur la terre, comme le souligne le verset suivant. L’auteur ne laisse aucun doute sur l’origine divine de l’ancienne alliance : dès le tout premier verset de son épître, il avait déjà exprimé la conviction que c’est le même Dieu qui parle dans les deux Testaments.

Et pourtant, une parole s’est fait entendre « sur la terre », l’autre « du ciel » :

  • La révélation au Sinaï avait été accompagnée de manifestations visibles, audibles sur la terre. Et elle a instauré des dispositions rituelles, extérieures, palpables, pour marquer son caractère provisoire : « La loi … [ne] possède [qu’]une ombre des biens à venir » (Hé 10.1 ; cf. 8.5 ; 7.16 parle de « commandement charnel »), dont « la réalité, c’est le Christ » (Col 2.15).
  • Mais « la parole de Dieu retentit désormais du ciel où le Fils, qui a commencé à la proclamer sur la terre (2.3) est “couronné de gloire et d’honneur” »[1]. Elle nous donne accès à un sanctuaire qui n’est pas fait de la main d’hommes (Hé 9.24), à la sphère de son règne invisible. Grâce à Jésus, nous pouvons adorer Dieu « en esprit et en vérité » (Jn 4.23s), entrer dans une relation spirituelle, directe avec ce Dieu saint.

Le contraste qu’établit l’auteur entre ces deux paroles sert à mettre en garde les lecteurs : « Prenez garde ! ne repoussez pas celui qui vous parle. Car si ceux qui repoussèrent celui qui sur la terre les avertissait, n’ont pas échappé au châtiment, à bien plus forte raison ne pourrons-nous y échapper nous-mêmes, si nous nous détournons de celui qui, des cieux, nous avertit » (v. 25).

De prime abord, cette mise en garde sévère pourrait surprendre : l’auteur n’a-t-il pas pris grand soin de souligner la liberté d’accès des chrétiens auprès de Dieu, leur appartenance à la cité céleste où règnent la joie et la justice ? La terreur du Sinaï n’est-elle donc pas derrière nous ? Oui et non – ou : non et oui.

Non, c’est le même Dieu saint ; tout pécheur qui veut se présenter devant lui sans recours au salut accompli par Jésus rencontre toujours le Juge de tous, qui ne pourra que le condamner : « notre Dieu est aussi un feu dévorant » (v. 29). Mais celui qui s’approche de Dieu couvert du sang de Jésus, pour reprendre le langage sacrificiel de l’épître, celui qui est « en Christ », pour parler avec Paul, ne craint plus rien.

D’où la mise en garde si solennelle, et répétée à travers l’épître, contre l’apostasie[2] : le croyant qui se détournerait de Jésus, pour revenir à sa vie ancienne, n’aurait plus aucune base pour espérer le salut. Nous devons l’entendre, nous laisser impressionner par cela – et ne pas l’évacuer trop vite, par des considérations dogmatiques sur l’impossibilité de perdre le salut. Ce texte – et d’autres similaires tout au long de l’épître – sont censés nous faire peur. Car cette peur est salutaire – et nous amène à nous réfugier toujours plus près de Jésus, seul lieu sûr. Et entièrement, totalement sûr, car Christ « peut sauver parfaitement ceux qui s’approchent de Dieu par lui », pour citer encore une fois Hé 7.25.

3. Deux ébranlements : de la terre seulement, et de la terre et des cieux ensemble (v. 26-27)

Deux montagnes, deux paroles – et encore deux ébranlements : « Sa voix ébranla alors la terre, et maintenant il nous a fait cette promesse : Une fois encore, je ferai trembler non seulement la terre, mais aussi le ciel » (v. 26).

Un ami kabyle m’a raconté son expérience du tremblement de terre en Algérie : une expérience très déroutante, car le sol se dérobe sous les pieds ; ce qui paraît le plus immobile – la terre – ne nous porte plus ! Mais imaginez alors un tremblement qui ébranle terre et ciel. N’est-ce pas la seule chose qui fait vraiment peur aux Gaulois invincibles : « Que le ciel nous tombe sur la tête » ! Comme si Dieu prenait le monde actuel fermement entre ses deux mains et le secouait, pour que tout ce qui est péché, mauvais, soit éliminé[15]. Ce qui reste, c’est Jésus ; ceux qui lui appartiennent ; le monde nouveau qui a déjà commencé dans la cité de Dieu, cité qui existe dès à présent et qui est encore à venir, et à laquelle nous appartenons en tant que chrétiens.

Regardons de plus près ces deux ébranlements :

  1. L’ébranlement de la terre fait référence aux événements extraordinaires qui avaient accompagné le don de la Loi au mont Sinaï[16].
  2. L’ébranlement de la terre et du ciel provient de la promesse donnée en Aggée 2.6, que l’auteur cite selon la version des Septante[17] : « Une fois encore, je ferai trembler non seulement la terre, mais aussi le ciel. ». La prophétie avait été donnée en 520, au moment de la reconstruction du temple, après l’exil babylonien. Malgré la modestie de l’entreprise, bien misérable en comparaison avec le temple originel de Salomon, vu les moyens limités des personnes revenant de l’exil (Ag 2.3s ; cf. Esd 3.12), le Seigneur promet que « la gloire de cette dernière maison sera plus grande. » Car, « c’est dans ce lieu que je donnerai la paix », annonce le Seigneur (Ag 2.9) – promesse qui s’est réalisée quelques 550 ans plus tard. Ce même temple était encore debout quand le Fils de Dieu est venu sur terre ; c’est bien dans ce temple qu’il a enseigné. C’est là que notre Seigneur a dit : « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai » (Jn 2.19).

L’ébranlement total qu’Aggée entrevoit s’accompagne de l’ébranlement des nations (Ag 2.7). Il aura pour conséquence que la résistance des ennemis sera brisée (v. 22) et que les nations afflueront à Jérusalem, pour apporter leurs richesses dans le temple (v. 7). Ces promesses s’accomplissent pour les chrétiens.

De nouveau, nous retrouvons cette double dimension de la réalité déjà présente et encore à venir :

  • Dès à présent, nous sommes libérés de toutes les forces du mal, car Christ a triomphé d’elles à la croix (Col 2.15). Nous appartenons déjà à ce royaume inébranlable, à ce nouveau monde inauguré à la résurrection de Jésus.
  • En attendant la victoire finale, nous aspirons encore à voir la nouvelle Jérusalem descendre du ciel sur terre, « les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre y apporteront leur gloire » (Ap 21.24).

4. Vivre sur terre comme des citoyens du ciel (12.28-29)

Si l’auteur de l’épître aux Hébreux revient à l’attente eschatologique au chapitre suivant (13.14), dans notre passage, l’accent tombe sur les conséquences, ici et maintenant, de notre appartenance au royaume inébranlable. Car dans la Bible, l’espérance eschatologique a toujours des répercussions très concrètes. Dès aujourd’hui, nous sommes appelés à vivre sur terre comme des citoyens du ciel.

Qu’est-ce qui change dans notre vie si nous comprenons vraiment le privilège qui est le nôtre : d’appartenir, dès à présent, à la cité de Dieu ? L’auteur met en avant deux aspects de notre réponse : la reconnaissance et le service : « Puisque nous recevons un royaume inébranlable, ayons de la reconnaissance, en servant Dieu d’une manière qui lui soit agréable, avec piété et avec crainte » (v. 28).

  • La gratitude[18] pour toutes les bontés du Seigneur : les bénédictions matérielles, la santé, et avant tout le salut. Nous appartenons à la communion des saints ; nous pouvons parler librement à Dieu dans la prière ; notre destinée éternelle est assurée – tout cela nous ne le méritons pas. C’est par la grâce que nous venons nous présenter devant Dieu ; et Dieu nous accueille parce que le sang de Jésus crie réconciliation.
  • Le service : Peut-être est-ce ici la première, et la plus importante réponse à la crise des vocations : nous stimuler mutuellement dans cette attitude de reconnaissance. Nous rappeler quel privilège extraordinaire est le nôtre : nous appartenons à cette communauté où tous sont prêtres et rois. Justement, il n’y a plus de caste sacerdotale à part, mais nous sommes tous appelés à servir Dieu. Il n’y a pas qu’un seul homme, descendant d’Aaron, qui peut entrer dans le saint des saints, une fois par an, mais nous tous qui croyons en Jésus et en son sacrifice expiatoire, nous nous sommes approchés de Dieu. Et si nous comprenons quel est ce Dieu dont nous nous sommes approchés, nous le servirons « avec crainte et profond respect », comme le traduit la Bible du Semeur. Car « notre Dieu est un feu dévorant » – ou, si vous me permettez un emprunt aux Chroniques de Narnia : Aslan n’est pas un « lion apprivoisé »[19].

Le chapitre suivant de l’épître dira très précisément en quoi consiste ce service agréable à Dieu. Et ce qui suit a de quoi nous surprendre : ce n’est pas d’abord une liste de ministères exercés dans l’Église, une énumération d’activités que nous classerions dans la catégorie « spirituelle ». Mais c’est l’amour fraternel (Hé 13.1) ; l’hospitalité (v. 2) ; le soutien aux prisonniers et à ceux qui sont maltraités (v. 3) ; la pureté sexuelle et le respect du mariage (v. 4) ; le détachement par rapport à l’argent et la confiance que Dieu pourvoira à tous nos besoins (v. 5-6) ; la mémoire chérie de ceux qui nous ont annoncé la parole de Dieu et qui nous ont précédés dans la gloire (v. 7).

Servir en route vers la cité céleste

Il serait utile de se demander ce qui devrait changer dans la vie de nos Églises, dans nos discussions entre chrétiens et dans nos programmes de formation, si nous prenions à cœur ce que l’épître aux Hébreux a à nous dire sur le service agréable à Dieu. Sans tenter d’apporter une réponse élaborée à cette question, je voudrais vous laisser avec une piste de réflexion parmi bien d’autres.

En droite ligne avec l’exhortation de nous laisser inspirer par l’exemple de nos conducteurs qui ont tenu bon jusqu’au bout, j’ai pensé à Billy Graham et la stratégie qu’il avait adoptée pour ne pas céder aux trois tentations classiques du responsable, que nos amis anglophones résument dans le slogan : « sex, power, money », que l’on pourrait rendre par « voir, avoir, pouvoir ». Ces mêmes tentations sont abordées dans la liste des exhortations pour le service agréable à Dieu au treizième chapitre de l’épître aux Hébreux. Assez tôt dans son ministère public (en 1948), Billy Graham avait demandé à ses compagnons de service de se retirer pendant une heure, pour que chacun réfléchisse aux difficultés que les évangélistes rencontrent. Ensuite ils ont mis en commun leurs résultats et ont pris quatre résolutions, pour s’en prémunir. Ce que l’on est venu à appeler le « Manifeste de Modesto », d’après la ville en Californie où ils étaient réunis, concernait quatre domaines : l’intégrité financière, la pureté sexuelle, le partenariat avec les Églises locales, sans esprit de critique, et la véracité dans la communication[20].

Il me semble que cette liste n’a rien perdu de son actualité. Quelles résolutions aurons-nous, à notre tour, à prendre pour nous engager d’abord, et persévérer ensuite, dans le service de Dieu « qui lui soit agréable, avec crainte et profond respect. » ?

________Lydia Jaeger

[1] Les citations bibliques dans l’article suivent la traduction dite à la Colombe (par endroits légèrement retouchée).

[2] Les meilleurs manuscrits grecs ne comportent pas de nom, alors que le texte reçu a « montagne ». De toute façon, ce mot est sous-entendu (cf. v. 22).

[3] Samuel BÉnÉtreau, L’Épître aux Hébreux, coll. Commentaire Évangélique de la Bible, Vaux-sur-Seine, Édifac, tome 2, 1990, p. 193.

[4] Ce dire de Moïse n’est pas rapporté en lien avec le don initial de la Loi, mais on trouve une parole proche après l’incident du veau d’or (Dt 9.19). Il est plausible que l’épître aux Hébreux fasse un télescopage des différents événements qui se sont déroulés au Sinaï. F.F. Bruce, The Epistle to the Hebrews, coll. The New International Commentary on the New Testament, Grand Rapids, Eerdmans, 1990rev, p. 355, considère possible que notre texte se réfère à une tradition haggadique qui attribuerait de tels sentiments à Moïse lors de la révélation de la Loi. Étienne mentionne des sentiments similaires pour Moïse au moment de la révélation au buisson ardent (Ac 7.32).

[5] N.T. Wright, Hebrews for Everyone, London, SPCK, 2003.

[6] De ce verbe dérive le mot « prosélyte ». Bruce, op. cit., p. 355, cite Philon qui, dans un passage sur la vision de Dieu par Moïse (Ex 33.13-23), dit de ceux qui ont la même disposition de s’attacher à la vérité, et non aux fables, que Moïse « les appelle “prosélytiques”, car ils “se sont approchés” d’une nouvelle communauté qui aime Dieu. » Le verbe s’y trouve aussi au parfait.

[7] En prêchant (en trois séries) « au fil de » l’épître aux Hébreux, j’ai été frappée par la proximité entre la théologie de l’épître et celle de Paul : plus d’une fois, le meilleur verset pour résumer l’enseignement d’un passage se trouvait chez… Paul ! Il ne m’étonne donc plus que d’aucuns dans l’Antiquité ont attribué cette lettre à Paul, malgré le langage déployé assez différent. Cette observation soutient l’idée que l’auteur était quelqu’un de l’entourage de Paul ; cf. la mention de Timothée, 13.23.

[8] Bruce, op. cit., p. 353, n. 131.

[9] L’interprétation adoptée est celle (parmi d’autres) de Bénétreau, Bruce, Wright. D’autres voient dans les « premiers-nés » les anges, car créés avant les humains. Mais Bruce, op. cit., p. 358, souligne que la notion d’être inscrit aux cieux s’applique toujours à des hommes (Lc 10.20 ; Ap 21.27, etc.). Calvin et Bengel avaient compris les « premiers-nés » comme les croyants de l’ancienne alliance, venus avant les croyants de la nouvelle alliance, mais sans parvenir à la perfection sans eux (Hé 11.39-40). Pourtant, le texte indique nous nous sommes approchés de l’assemblée des premiers-nés, précision qui manque pour les anges et suggère que les lecteurs en font partie. Ainsi, l’expression doit englober l’Église militante sur terre et l’Église glorifiée au ciel.

[10] Wright, op. cit., p. 162: « the crowning glory of the new Jerusalem ».

[11]  Wright, op. cit., p. 163.

[12] Ibid.

[13] BÉnÉtreau, op. cit., p. 200. L’expression « couronné de gloire et d’honneur » provient de Hé 2.7, 9, qui cite Ps 8.6.

[14] De telles exhortations solennelles sont une marque de fabrique de l’épître aux Hébreux : 2.1-4 ; 3.12s ; 4.1 ; 6.4-8 ; 10.25-31 ; 12.15-17 ; etc.

[15] Je reprends cette image de Wright, op. cit.

[16] La référence peut être à Ex 19.18, mais la Septante, que l’auteur suit habituellement, évacue l’idée d’ébranlement physique. De toutes les façons, l’élément est bien présent dans des reprises poétiques de l’événement, pour faire ressortir le caractère spectaculaire des phénomènes : Jg 5.4 ; Ps 68.8s. On le trouve aussi pour la traversée de la mer Rouge : Ps 77.19 ; il fait partie du décor habituel des théophanies (Ps 18.8 ; 82.5 ; Es 6.4 ; Am 9.5 ; Jb 9.6 ; références recueillies dans BÉnÉtreau, op. cit., p. 201).

[17] Brian Tidiman, Les livres d’Aggée et de Malachie, coll. Commentaire Évangélique de la Bible, Vaux-sur-Seine, Édifac, 1993, p. 117, explique la situation textuelle par rapport à cette variante.

[18] BÉnÉtreau, op. cit., p. 205, discute les deux traductions possibles et les arguments avancés respectivement : « tenons bien la grâce » (retenue par la TOB et la Bible de Jérusalem) ; et « soyons reconnaissants » (adoptée par la BC, NBS, BFC, NFC, Semeur). Bénétreau privilégie la première traduction, contre la majorité des modernes.

[19] En anglais : « He is not a tame lion », un lion dompté.

[20] https://billygraham.org/story/the-modesto-manifesto-a-declaration-of-biblical-integrity (consulté le 18 novembre 2023).

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Sur « Jésus, le pain de vie »

Sur « Jésus, le pain de vie »

Pain de vie

Partageons notre pain avec celui qui a faim…

Le récit de la multiplication des pains est souvent invoqué par les chrétiens qui prennent à cœur l’appel du prophète à partager leur pain avec celui qui a faim. Il y a de bonnes raisons pour cela mais encore faut-il trouver lesquelles !

L’Évangile selon Jean nous raconte le lendemain de l’histoire (Jean 6.22). La multiplication des pains a mis la foule en appétit… mais n’a pas discerné que ce que Jésus a fait pointait vers quelque chose d’autre (cf. verset 26). Il voudrait que la foule s’intéresse à ce que le miracle voulait dire bien davantage qu’au fait de faire un bon repas et n’a pas l’intention de pérenniser la multiplication des pains. En cela, l’œuvre de Jésus s’éloigne de ce que nous appellerions une « action sociale ».

Le pain terrestre que Jésus a donné à la foule était un signe pour désigner ce que nous devons rechercher comme étant la grande affaire de notre vie, c’est-à-dire Lui-même. Jésus est le Dieu véritable et la vie éternelle et le Royaume de Dieu en personne. Lui seul satisfait pleinement les aspirations et les besoins les plus profonds de celui qui le reçoit : « Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » (cf. verset 35) Tout cela, il le fait gratuitement, comme un cadeau.

Quand Jésus multiplie les pains, il ne mène donc pas une action sociale mais donne un signe du don de la vie éternelle. Or celle-ci n’est pas une affaire uniquement spirituelle. Dans la suite du chapitre, Jésus insistera sur la résurrection promise pour le dernier jour. Dieu a un avenir pour notre corps, pour l’humanité et pour l’ensemble de la création. Les réalités terrestres comptent pour Dieu et les chrétiens peuvent faire de leur implication sociale un signe de leur espérance ultime.

Comprendre que Jésus est le pain de vie nous montre également que notre vie dépend du don qu’il nous a fait de nous-mêmes. Cela devrait se refléter dans toutes les facettes de notre vie et qu’y a-t-il de plus logique que celui qui vit du pain descendu du ciel partage son pain avec celui qui a faim ? Il y a bien des conséquences sociales à la foi en Jésus comme pain de vie à laquelle la multiplication des pains renvoyait.

Enfin, si Jésus a fait le miracle de la multiplication des pains pour donner un signe qui allait au-delà d’une simple distribution de nourriture, il l’a aussi fait parce que les gens avaient faim. Jésus, qui est devenu vraiment homme en descendant du ciel, est pleinement entré dans la solidarité humaine, la compassion, la pratique de la justice demandée de tout être humain, qui caractérise la vie que Dieu veut pour les créatures faites en son image. La multiplication des pains nous renvoie aussi au fondement « créationnel » de notre action sociale.

Fondement créationnel, conséquences sociales du salut, signe d’un salut futur intégral : oui le récit de la multiplication des pains, lorsqu’il est lu de près, peut motiver et nourrir notre engagement face à la pauvreté.

Daniel Hillion

Directeur des études au SEL – Professeur associé à l’IBN

L’Évangile selon Jean nous raconte le lendemain de l’histoire (Jean 6.22ss). La multiplication des pains a mis la foule en appétit… mais n’a pas discerné que ce que Jésus a fait pointait vers quelque chose d’autre (cf. verset 26). Il voudrait que la foule s’intéresse à ce que le miracle voulait dire bien davantage qu’au fait de faire un bon repas et n’a pas l’intention de pérenniser la multiplication des pains. En cela, l’œuvre de Jésus s’éloigne de ce que nous appellerions une « action sociale ».

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À l’occasion de Pâques !

À L’OCCASION DE PÂQUES !

Méditation de Pâques

8 Nous étions réunis à l’étage supérieur de la maison, éclairé par de nombreuses lampes.
9 Un jeune homme nommé Eutychus s’était assis sur le rebord de la fenêtre et, comme Paul prolongeait encore l’entretien, il s’endormit profondément. Soudain, dans son sommeil, il perdit l’équilibre et tomba du troisième étage. Quand on le releva, il était mort.
10 Paul descendit, se pencha vers lui, le prit dans ses bras et dit :
—Ne vous inquiétez pas ! Il est encore en vie.
11 Il remonta, rompit le pain, mangea, et continua de parler jusqu’au point du jour. Puis il partit.
12 Quant au jeune homme, il fut ramené chez lui indemne, au grand réconfort de tous.

En Actes 20, Paul fait ses adieux à ses amis de la région, et repart vers Jérusalem. Pour les ennemis du christianisme, Paul est désormais l’homme à abattre. D’ailleurs, un complot vient tout juste d’être déjoué. Mais ces menaces qui pèsent sur la vie de Paul ne semblent pas l’empêcher d’avancer et de servir le Seigneur. Il passe sa dernière journée à Troas et va reprendre la mer pour partager l’Évangile. Ce dernier jour dans cette ville est un dimanche, premier jour de la semaine, jour commémoratif de la résurrection du Seigneur, et les chrétiens tenaient spécialement leurs assemblées, le soir, après le travail, car on n’avait pas encore pu faire du dimanche un jour de repos. Ce soir-là, Paul, prolonge son discours qui précède la Cène.

Luc raconte en Actes 20.8-12 :

Nous étions réunis à l’étage supérieur de la maison, éclairé par de nombreuses lampes. Un jeune homme nommé « Eutychus » s’était assis sur le rebord de la fenêtre et, comme Paul prolongeait encore l’entretien, il s’endormit profondément. Soudain, dans son sommeil, il perdit l’équilibre et tomba du troisième étage. Quand on le releva, il était mort. Paul descendit, se pencha vers lui, le prit dans ses bras et dit : Ne vous inquiétez pas ! Il est encore en vie. Il remonta, rompit le pain, mangea, et continua de parler jusqu’au point du jour. Puis il partit. Quant au jeune homme, il fut ramené chez lui indemne, au grand réconfort de tous

Cette réunion s’est prolongée parce que c’était la dernière fois que Paul était en compagnie de ces croyants. Mais il se faisait tard et la fatigue d’une journée de travail pesait sur les paupières. Avec la chaleur de la pièce, le monde contenu dans la salle, les lampes à huile qui chauffaient aussi, il est assez logique que l’on cherchait de l’air. Il faisait chaud, même avec une fenêtre ouverte. Ce contexte, renforcé peut être par le son de la voix de Paul qui discourait sur des sujets théologiques pas forcément faciles à comprendre, a eu raison d’un jeune homme appelé Eutychus, qui s’endormit et chuta mortellement.

Il est clair que si le public était en train de somnoler, il y a dû y avoir un certain sursaut dans l’assistance. Luc, le médecin, est allé constater la mort du jeune homme suite à sa chute. Paul l’a suivi. Comme à chaque fois qu’il est question de résurrection dans la Bible, il n’y a pas eu de rite, pas d’incantation, mais de façon très simple, Paul a affirmé que le jeune homme est encore en vie.

Luc, l’auteur du livre des Actes, a choisi de mettre en miroir cette résurrection et un autre épisode que nous n’allons pas détailler qui se trouve en Actes 9.36-43, avec Pierre et Dorcas. Ces deux récits ont aussi plein de parallèles avec deux autres résurrections que l’on trouve dans l’Ancien testament avec Elie en 1 Rois 17.22-23 et avec Élisée en 2 Rois 4.

Ce n’est pas un hasard. Luc est intentionnel dans sa façon d’écrire. Elie – Élisée étaient des hommes de Dieu, remplis de l’Esprit, agissant avec puissance. Luc, choisit de mettre en parallèle Pierre et Paul de la même manière que les deux anciens prophètes. Au travers de son texte, Luc affirme que les deux apôtres ont été missionnés par Dieu et que le même Esprit les anime l’un et l’autre.

Il faut aussi réaliser que ce miracle intervient dans le cadre de la célébration de la Cène. D’ailleurs juste après la résurrection, Paul va célébrer la Cène, commémorant la victoire sur la mort et annonçant la victoire finale et définitive de Christ ! Ce miracle n’est en réalité qu’une illustration de la puissance de Jésus-Christ.

Il faut bien souligner le contexte dans lequel se passe cet épisode. Paul est pourchassé, on en veut à sa vie. Un complot vient tout juste d’être déjoué. Les gens savent qu’ils ne le reverront plus jamais… mais de voir Dieu agir, Dieu qui est capable de ressusciter un mort, c’est un puissant encouragement. Ses amis ne vont pas pouvoir garder Paul et le protéger, ils doivent le laisser partir, vers Jérusalem où les Juifs ont crucifié Jésus il y a quelques années à peine, ils doivent le laisser repartir, malgré leurs craintes et l’angoisse… Mais Dieu leur démontre qu’Il est là et qu’il a le dernier mot.  Cet épisode est un puissant encouragement en réalité.

Paul ne savait pas du tout ce qui l’attendait, bien qu’il avait une idée des souffrances vécues et qui n’allaient pas cesser. Et pourtant, il a continué à faire confiance à Dieu.

Paul avait médité sur l’œuvre de Christ. Et ça a changé sa vie. A l’occasion de Pâques, nous faisons de même. Nous nous souvenons de la croix, objet de torture, sur laquelle Jésus-Christ a donné sa vie par amour pour nous tous. Et nous nous réjouissons que cette croix n’est pas le dernier épisode de l’histoire. Christ est ressuscité, bien plus il vit aujourd’hui, et il a promis de revenir en puissance et en gloire. Ainsi, la croix vide et le tombeau ouvert démontrent une réalité puissante, qui ouvre le chemin d’une vie nouvelle à la suite du ressuscité.

La croix n’est pas juste un endroit où l’on peut contempler l’amour de Dieu, mais aussi une porte qui nous invite à entrer et vivre en relation avec Dieu, par la foi. 

Vivre par la foi, ce n’est pas l’expérimentation d’une puissance, mais l’expérimentation de la dépendance envers Dieu. C’est d’ailleurs bien plus souvent une expérience qui se vit dans la souffrance que dans l’abondance.

Vivre par la foi :

C’est vivre une vie d’allégeance envers le Dieu Souverain.

Une déférence à l’égard du Dieu qui sait tout.

C’est la reconnaissance de notre incompétence qui reçoit avec joie le pardon offert par le Dieu sauveur.

C’est le choix de la déchéance de notre orgueil, le refus de la manigance de nos certitudes et de l’excellence supposée de nos raisonnements.

C’est l’accueil de la paix intense du Dieu qui fait grâce.

Et l’expérimentation de la confiance dans le Dieu tout puissant.

C’est aussi la certitude d’une présence, celle du Dieu avec nous.

C’est enfin la récompense de celui et celle qui tiendra ferme jusqu’au bout, l’expression d’une cohérence entre ce que nous vivons et croyons.

En fait, vivre par la foi c’est la consistance du christianisme.

Ne vous inquiétez pas ! Il est encore en vie.

Non plus Eutychus, mais celui qui est l’Éternel et en qui nous sommes invités à placer notre espérance.


Matthieu Gangloff

Pâques, pâques, pâques!

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Christianisme sans chrétienté : une gageure ?

Christianisme sans chrétienté : une gageure ?

La parution en 2023, aux Éditions du Cerf (coll. Lexio), d’une édition revue et augmentée du livre La Fin de la chrétienté mérite une mention expresse, tant est stimulante et opportune la réflexion de l’auteur, la philosophe catholique Chantal Delsol.

De fait, si au Ve siècle de notre ère nombre de chrétiens ont cru que l’Église ne survivrait pas à l’Empire romain envahi par les barbares, aujourd’hui nous pouvons, en Europe occidentale, tomber semblablement dans la perplexité en contemplant le christianisme aux prises avec une véritable mutation démographique et culturelle. Or, après une analyse très fine de la situation, l’auteur ne se laisse pas aller à la mélancolie, mais promeut un mode d’existence chrétienne que les évangéliques ne réprouveront pas. Oh ! tout au plus aurions-nous amendé le type du « témoin muet de Dieu » (4e de couv.), proposé pour le chrétien d’aujourd’hui : les évangéliques veulent « lutter pour la foi qui a été transmise une fois pour toutes » (Jd 3), sans dénier la débâcle de la société de chrétienté…

C’est en l’occurrence une révolution culturelle que Chantal Delsol dépeint magistralement : un retour au paganisme après seize siècles de civilisation chrétienne, un retour facilité par « la récusation de la transcendance » (p. 46) au profit d’un métaphorisme édulcoré.

Il y a ainsi révolution morale. Transcrite en des lois dites sociétales, elle est portée par l’émancipation du désir individuel et par l’imposition d’une honte du passé de culture chrétienne. Résultat : « On rétablit le divorce que la Chrétienté avait aboli. On permet l’infanticide [sous forme d’IVG ou d’IMG] que les chrétiens avaient interdit …. On pare de légitimité l’homosexualité ou le suicide [éventuellement assisté], que l’Église naissante avait criminalisés. » (p. 75)

Il y a aussi, quant à la vision même du monde, révolution ontologique. Amenée par la sécheresse du rationalisme moderne, elle conduit au panthéisme et à l’écologisme, figurant derechef une nature enchantée et absolutisée. Ainsi, on se prévaut de l’urgence de la défense de l’environnement pour quitter le rationnel et ériger l’écologie en religion, avec ses prêtres et ses doctrinaires.

Cette révolution, précise Delsol, fait régresser des principes longtemps portés par le christianisme. Ainsi en est-il du concept de vérité, affranchi de l’obligation de certitude ; dès lors se dilue-t-il dans l’agnosticisme, typique des mythologies. Par suite, c’est la morale, se retrouvant seule, qui s’impose. Elle prend la forme de « l’humanitarisme » et la place des « religions de la transcendance » (p. 140) : la philanthropie supplante la vérité. Aussi, comme en paganisme, c’est l’« élite gouvernante [qui] décrète la morale, promeut les lois pour la faire appliquer, et éventuellement la fait appliquer par injures et ostracisme » (p. 149)…

Eh bien, avec un tel retournement de l’histoire, le christianisme, marginalisé, doit se soucier non plus de domination mais d’exemplarité, plaide Delsol ! Et, dis-je, de verbe juste.

Sylvain Aharonian

De fait, si au Ve siècle de notre ère nombre de chrétiens ont cru que l’Église ne survivrait pas à l’Empire romain envahi par les barbares, aujourd’hui nous pouvons, en Europe occidentale, tomber semblablement dans la perplexité en contemplant le christianisme aux prises avec une véritable mutation démographique et culturelle. Or, après une analyse très fine de la situation, l’auteur ne se laisse pas aller à la mélancolie, mais promeut un mode d’existence chrétienne que les évangéliques ne réprouveront pas. Oh ! tout au plus aurions-nous amendé le type du « témoin muet de Dieu » (4e de couv.), proposé pour le chrétien d’aujourd’hui : les évangéliques veulent « lutter pour la foi qui a été transmise une fois pour toutes » (Jd 3), sans dénier la débâcle de la société de chrétienté…

C’est en l’occurrence une révolution culturelle que Chantal Delsol dépeint magistralement : un retour au paganisme après seize siècles de civilisation chrétienne, un retour facilité par « la récusation de la transcendance » (p. 46) au profit d’un métaphorisme édulcoré.

Il y a ainsi révolution morale. Transcrite en des lois dites sociétales, elle est portée par l’émancipation du désir individuel et par l’imposition d’une honte du passé de culture chrétienne. Résultat : « On rétablit le divorce que la Chrétienté avait aboli. On permet l’infanticide [sous forme d’IVG ou d’IMG] que les chrétiens avaient interdit …. On pare de légitimité l’homosexualité ou le suicide [éventuellement assisté], que l’Église naissante avait criminalisés. » (p. 75)

Il y a aussi, quant à la vision même du monde, révolution ontologique. Amenée par la sécheresse du rationalisme moderne, elle conduit au panthéisme et à l’écologisme, figurant derechef une nature enchantée et absolutisée. Ainsi, on se prévaut de l’urgence de la défense de l’environnement pour quitter le rationnel et ériger l’écologie en religion, avec ses prêtres et ses doctrinaires.

Cette révolution, précise Delsol, fait régresser des principes longtemps portés par le christianisme. Ainsi en est-il du concept de vérité, affranchi de l’obligation de certitude ; dès lors se dilue-t-il dans l’agnosticisme, typique des mythologies. Par suite, c’est la morale, se retrouvant seule, qui s’impose. Elle prend la forme de « l’humanitarisme » et la place des « religions de la transcendance » (p. 140) : la philanthropie supplante la vérité. Aussi, comme en paganisme, c’est l’« élite gouvernante [qui] décrète la morale, promeut les lois pour la faire appliquer, et éventuellement la fait appliquer par injures et ostracisme » (p. 149)…

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Le mariage : ce que dit la Bible !

Le mariage : ce que dit la Bible 

Le mariage, réalité humaine commune, a bénéficié, dans l’histoire de la France, sinon d’une sacralisation, du moins d’une sorte de légitimation religieuse, avant d’obtenir une légitimation séculière. Mais aujourd’hui, force est de constater que l’institution du mariage elle-même est questionnée ; il n’y a plus consensus – en revanche le clivage des catholiques et des protestants s’estompe dans ce domaine…
Sylvain Aharonian, professeur d’Etique à l’IBN, esquisse dans cette vidéo le message de la Bible au sujet du mariage en mettant l’accent sur sa dimension d’alliance.

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Les abus sexuels, sortir de l’ombre !

Sortir de l'ombre, les abus sexuels

Les abus sexuels, sortir de l’ombre ! 

S’il y a un thème sur le devant de la scène médiatique, c’est bien celui des abus, sexuels surtout. Effet de mode ? Hélas, non. J’ai rencontré ce thème trop souvent dans des entretiens, pour encore penser qu’il s’agisse d’un phénomène marginal, ou qui épargnerait nos Églises. On ne peut donc que saluer l’initiative Stop Abus, lancée par le CNEF.

Sortir de l’ombre 

Avant que le thème arrive sur le haut de l’attention publique , l’Institut Biblique avait déjà organisé un Forum consacré aux abus sexuels en 2014, dont les textes ont été publiés depuis (Les Abus sexuels. Sortir de l’ombre, Excelsis 2017).

Pourquoi avoir anticipé ainsi la prise de conscience publique ? C’était surtout due à la conjonction entre deux facteurs : plusieurs d’entre nous (parmi les professeurs et les membres du CA) avaient rencontré la problématique, alors que notre formation professionnelle ou expérience personnelle ne nous y avait pas disposés. C’est l’écoute pastorale elle-même, et non un a priori psychologisant qui nous avait conduit à prendre conscience de l’ampleur du phénomène – tant par sa fréquence que par ses effets dévastateurs. Et, deuxième facteur en jeu, la présence de personnes en notre sein qui, par leur profession, étaient des spécialistes dans le domaine : la psychologue Agnès Blocher, qui travaillait auprès de jeunes en difficulté et offrait bénévolement des entretiens de soutien psychologique à nos étudiants ; l’ancien membre de la brigade des mineurs Fabrice Delommel, étudiant à l’ Institut à ce moment.  Ainsi, nous ne pouvions plus nous satisfaire du silence entourant le sujet, jusque dans nos programmes de formation théologique, mais devions faire un moins un premier pas, pour le sortir de l’ombre.

La Bible fait du mariage le seul cadre dans lequel la pratique de la sexualité plaît à Dieu. Elle rejoint donc sans restriction la condamnation de la société des abus sexuels, en particulier commis sur des mineurs. Notre réflexion et notre pastorale pourront tirer pleinement profit de l’apport des sciences humaines, fruit de la grâce commune. (Je me rappelle le dégoût ressenti quand je me suis rendu compte que les agissements d’un maître de stage correspondaient en tout point à ce que décrit la littérature, et quel courage l’étudiante, soutenue par l’équipe professorale, a dû déployer pour les dénoncer.) En même temps, la vision biblique de l’être humain se distingue aussi des consensus sociétaux. Du coup, on peut s’attendre à ce que le contexte plus large de l’éthique biblique soit un cadre particulièrement fécond pour la prise en compte du phénomène.

Les contributions consignées dans le livre restent d’une affligeante actualité. Il vaut toujours – hélas ! – la peine de les lire (ou relire). Ainsi nous serons mieux équipés pour offrir une écoute bienveillante à ceux qui nous entourent, dans nos Églises et hors de nos Églises. Il est probable qu’il y en ait plus d’un qui n’attendent que cela pour dire le secret qui leur pèse et les paralyse.

_________ Lydia Jaeger

De multiples questions se posent : quels sont les signes qui alertent d’une relation abusive ? Comment réagir quand on la soupçonne dans son entourage, y compris à l’Église? Faut-il pardonner sans condition? Pourquoi Dieu n’est-il pas intervenu quand on a crié à lui ? Le chrétien a-t-il le droit de recourir aux instances judiciaires du « monde »?

(Ces réflexions sont le fruit du premier « Forum de l’IBN », journée de réflexion organisée par l’Institut Biblique de Nogent-sur-Marne en novembre 2014. L’ouvrage offre au lecteur un guide éclairant qui l’aidera sur ce terrain semé d’embûches. Il s’appuie sur des compétences pluridisciplinaires, tant exégétiques et dogmatiques, que psychologiques et judiciaires.

Ont collaboré à cet ouvrage : Agnès Blocher, Fabrice Delommel, Lydia Jaeger, Émile Nicole, Elvire Piaget (†), Gladys Vespasien, Peter Winter).

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Dieu vit que cela était bon

Le 30 Novembre 2021

Dieu vit que cela était bon

En juin dernier, l’IBN a organisé pour la première fois, une extension du colloque Dabar en Europe francophone. Nous étions heureux de réunir un groupe de 12 personnes, composé de représentants des écoles bibliques et facultés de théologie francophone (INFAC) et plusieurs scientifiques évangéliques.

Organisé par le Carl Henry Center (Trinity Evangelical Divinity School, Illinois), ce colloque cherche à promouvoir la recherche théologique dans le domaine de la doctrine de la création qui soit à la fois fidèle aux convictions évangéliques et en interaction avec des travaux pertinents en sciences naturelles. Cette année, le colloque avait pour thème « Dieu vit que cela était bon : unir l’ordre naturel et moral ».

La bonté de la création est une affirmation centrale du premier chapitre de la Genèse, mais elle est souvent négligée dans les débats modernes sur les origines. D’une part, cette bonté est directement liée à la bonté de Dieu ; d’autre part, elle est opposée au péché et au mal. Les différents intervenants ont creusé la signification de la bonté de l’ordre naturel, et la question de savoir si les processus de l’évolution biologique, la souffrance et la mort animales seraient cohérents ou en opposition à cette affirmation. Une contribution particulièrement intéressante dans cette discussion venait d’un exposé de théologie biblique sur le mot tov (bon), dans le refrain du récit de la création : « Dieu vit que cela était bon ». On a suggéré que la création est bonne parce qu’elle accomplit le but pour lequel elle a été créée. Considérer ainsi la bonté change le regard porté sur le monde animal : peut-on vraiment considérer la chaîne alimentaire comme un mal et la conséquence du péché, si elle a été créée précisément pour ce but (cf. Ps 104.21) ?

Une particularité des colloques Dabar est leur déroulement : les articles sont distribués en avance et lors du colloque, chaque intervenant ne présente qu’un résumé de son article, suivi de deux répondants qui soulèvent les points forts et faibles de son argumentation. Cela laisse un temps significatif pour des questions et la réflexion se poursuit dans les groupes de discussion. Ce format a beaucoup plu à notre groupe francophone, puisque le travail de préparation en amont a généré des échanges riches et approfondis, et nous a permis d’avancer dans cet important débat.

Rachel VAUGHAN 

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Une pandémie révélatrice

Le 16 février 2021

Une pandémie révélatrice

La pandémie qui rythme notre quotidien depuis plusieurs mois semble agir comme un révélateur, voire un accélérateur, de fragilités individuelles et sociales, d’errements médiatiques et politiques, d’impasses intellectuelles, et aussi d’indigences ecclésiales. Extrait du rapport du directeur à l’assemblée générale de l’IBN.

 

Si l’Institut Biblique veut former de façon pertinente les responsables évangéliques, il ne peut ignorer avec quelle pâte il travaille s’il veut mieux cerner l’objectif à poursuivre dans son ministère. Ce que la situation sanitaire, avec toutes ses contraintes, met en lumière dans nos Églises et plus largement dans notre mouvement évangélique l’intéresse donc au premier chef.

 

DES ÉGLISES… VIRTUELLES !

 

Ce qu’Internet n’a pas réussi à faire au cours des années, la pandémie l’a accompli : transformer nos Églises en assemblées virtuelles ! Je grossis le trait à dessein pour vous faire toucher du doigt une réalité préoccupante : les cultes à distance, en totalité ou en partie, consacrent ce qu’il y a de plus regrettable dans notre mouvement évangélique, la consommation religieuse. Je veux parler ici d’une tendance à transformer le culte en spectacle pour attirer et fidéliser un auditoire. Pour y parvenir, il faut certes travailler, mais aussi avoir du charisme, des moyens humains et financiers et un auditoire nombreux et enthousiaste. Le passage à l’écran pour raisons sanitaires a renforcé une tentation déjà présente dans ces cultes-spectacle : soigner surtout les apparences. C’est ainsi qu’une partie non-négligeable des auditoires de nos modestes communautés profitent de la multiplicité de l’offre sur Zoom ou sur YouTube pour aller voir si l’herbe n’est pas plus verte chez le voisin. D’un clic, chacun peut suivre de son canapé au choix Hillsong-Paris, MLK à Créteil, l’Église baptiste de Pontault-Combault… Et chacun de ressortir fasciné par la performance du groupe de louange, des animateurs ou du prédicateur. Comment ne pas se sentir alors frustré d’appartenir à une Église qui, certes, met beaucoup de bonne volonté dans la préparation de ses célébrations mais ne parvient guère à soutenir la comparaison ? Et ce qui retenait chacun de trop papillonner jusqu’ici, la dimension personnelle des relations humaines, la chaleur de la communion fraternelle, le souci mutuel souvent présents dans nos modestes communautés, étant mis à mal par les contraintes sanitaires, nous sommes tentés d’aller chercher ailleurs de quoi nous faire vibrer. Et de trahir ainsi notre vocation de membre du corps de Christ en nous transformant en simples spectateurs. La pandémie ne serait-elle pas en train de redistribuer les cartes au profit de quelques Églises phares et d’appauvrir le réseau des « petites » Églises si nécessaires à l’apprentissage de l’amour fraternel et au témoignage de proximité ? Je le crains.

 

LE CŒUR PLUS QUE LA TECHNIQUE

 

Ce constat nous conduit, à l’Institut, à relativiser la centralité de la technique au profit du cœur au sens biblique du terme dans la formation au ministère. Il importe assez peu que nos étudiants sachent utiliser une application de visioconférence ou diffuser un culte sur YouTube. Après tout, ils trouveront dans l’Église ou dans l’œuvre dont ils auront la charge des passionnés qui le feront beaucoup mieux qu’eux. Par contre, il est essentiel qu’ils apprennent à discerner ce qui est important et à ne pas le perdre de vue quand l’adversité survient. Comment rompre l’isolement des confinés ? Comment faire vivre la communion fraternelle quand l’Église est durablement dispersée ? Comment cultiver l’espérance quand l’horizon se limite à la prochaine vague de l’épidémie ou à l’arrivée d’un vaccin ? Seul un cœur nourri de la pensée du Seigneur, exercé à discerner les temps et les moments et rempli de l’amour de Dieu par le Saint-Esprit trouvera les voies et moyens de faire vivre l’Église dans de telles circonstances.

Etienne Lhermenault

IBphile de janvier 2021