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« Dieu avait d’autres plans pour moi ! »

Des étudiants français ou étrangers, souhaitant faire une pause dans leur cursus, ont la possibilité de venir 4 à 10 mois à l’Institut. Ils ont un programme adapté comprenant des cours qui leur permet de découvrir la théologie ainsi que des services permettant le bon fonctionnement de la vie en communauté́.
Voilà quelques témoignages (Cf. Ibphile n°202) pleins de fraicheur et d’enthousiasme des volontaires de cette année : Arjan, Eleanor, Émilie et Ryusei. Nous espérons qu’ils inspireront la relève pour l’année académique 2024-2025 !

 

  1. Comment es-tu arrivé à l’IBN ?

 

 

Arjan (19 ans, Pays-Bas) : Mon professeur de français au lycée a été volontaire à l’IBN pendant l’année scolaire 2007-2008, nous sommes restés en contact, et c’est grâce à lui que j’ai découvert l’Institut.

A la fin de mon lycée, j’ai eu envie de découvrir un nouveau mode de vie, et de servir dans un nouvel endroit ; donc je me suis dit : « c’est parti, on y va ! »

Eleanor (22 ans, Royaume-Uni) : J’ai eu la chance de pouvoir étudier à l’étranger pendant un an dans le cadre de mon diplôme de français.

Au début, je ne voulais ni étudier, ni me retrouver à Paris. Pourtant, Dieu avait d’autres plans pour moi !

Émilie (19 ans) : En année sabbatique, j’avais initialement prévu de faire un service civique. Mais n’étant pas décidée, j’en parle à mon pasteur, qui, au cours de la conversation, me propose d’être volontaire à l’IBN. J’ai tout de suite apprécié l’idée de pouvoir suivre des cours, et vivre en communauté avec des étudiants qui partagent la même foi que moi !

 Ryusei (23 ans, Japon) : C’est au moment où je sortais de l’université, au Japon, ne sachant pas ce que je voulais faire, que mon amie qui est une ancienne étudiante de l’IBN m’a proposé d’être volontaire. J’étais chaud !

 

2.⁠ Quelles étaient tes attentes ?

 

Arjan : Pour cette année, j’avais pour attente de grandir, de m’ouvrir au monde, de me faire de nouveaux amis, et d’améliorer mon français. Je peux dire avec conviction que ces attentes ont été comblées !

Eleanor : Je me réjouissais d’en apprendre davantage sur Dieu et sa Parole. Le français n’étant pas ma langue maternelle, je m’attendais à quelques difficultés, en particulier au début, mais j’avais également hâte d’être en France et de découvrir Paris.

Émilie :⁠ Je voulais profiter de cette année, pour en apprendre plus sur Dieu, et mettre mes dons à son service.

Ryusei : Je n’étais pas Chrétien. Mais je cherchais Dieu et ce qu’il fait pour moi. Et puis, je voulais apprendre le français et avoir une expérience à l’étranger.

 

  1. ⁠Comment as-tu vécu cette année de volontariat à l’IBN (service à mi-temps, vie étudiante, internat) ?

 

Émilie : Honnêtement, on travaille 4 heures par jour, 20 heures par semaine, je trouve que c’est assez léger… En résumé, le matin je m’occupe de la préparation du repas, ainsi que du ménage dans le réfectoire. Cela me permet donc d’être libre l’après-midi. J’en profite par exemple pour me balader à Paris.

Ryusei : J’ai vraiment apprécié la vie en communauté, parce que même si eu départ je ne parlais pas bien français, les gens étaient chaleureux et plein d’amour. C’est ce qui m’a aidé à apprendre le français et à me sentir à l’aise.

Arjan : J’ai beaucoup appris, créé de nouvelles amitiés, progressé en français et découvert la culture française. En tant que volontaire, on a également beaucoup de temps libre, que j’ai utilisé pour suivre quelques cours (« Le monde de La Bible », « Histoire d’Israël », et « Loi »).

C’est vraiment une grâce que Dieu nous fait en tant que volontaires.

Eleanor : L’IBN a dépassé toutes mes attentes ! J’ai eu beaucoup de plaisir à vivre et à étudier aux côtés des étudiants (surtout mes colocs), et j’ai vraiment eu l’impression de faire partie de la communauté. J’ai aimé travailler et me salir les mains, en nettoyant, faisant la lessive et préparant les chambres d’invités, car cela m’a permis de couper entre mes cours de théologie.

Le travail en équipe est un vrai plaisir, de plus, notre directrice d’équipe : Noémie, est toujours dispo pour répondre aux questions et nous garder (gentiment) sur la bonne voie.

 

  1. Un moment/souvenir qui t’a marqué ?

 

Arjan : Parmi tous les moments marquants que j’ai eu la chance de vivre cette année… la semaine d’évangélisation* dans le Sud, le stage chorale, et les conversations profondes avec d’autres étudiants de l’IBN… restent gravés dans ma mémoire !

Émilie :⁠ J’ai trouvé incroyable qu’en tant que volontaires, nous puissions être intégrés aux différents événements ! J’ai beaucoup apprécié de pouvoir sortir de ma zone de confort pendant la semaine d’évangélisation*. Moi qui suis de nature assez réservée, j’ai ainsi pu faire du micro-trottoir.

Ryusei : Le stage chorale** me paraissait très difficile au départ, car je ne savais pas chanter, et qu’il fallait apprendre les paroles par cœur. Mais heureusement, avec l’aide des autres étudiants, pendant les répétitions, et finalement au concert, j’ai pu chanter avec plein de joie ! Travailler ensemble, c’était super chouette !

 

 

5.⁠ ⁠Que dirais-tu à quelqu’un qui est intéressé pour devenir volontaire à l’Institut, mais qui hésite ?

 

Eleanor : J’ai vraiment aimé être volontaire ici et je vous le recommande vivement ! Réfléchissez et priez à ce sujet au sein de votre Église, si vous croyez que le Seigneur vous y appelle.

Partager un appartement avec quatre autres filles a été une expérience merveilleuse, et elles font maintenant partie de mes meilleures amies. Il y aura des défis à relever, néanmoins, il n’y a rien de plus encourageant que de voir la famille de Dieu grandir ensemble dans l’amour des uns pour les autres et dans l’amour pour Lui – Comme moi, venez plein d’attentes, et repartez encouragés !

Émilie : N’hésite plus, viens ! Tu ne vas pas le regretter, non seulement tu vas en apprendre plus sur Dieu, mais aussi sur toi-même, au contact des autres étudiants.

Ryusei : Dieu m’a montré son amour dans la manière dont il a guidé les choses pour moi tout au long de l’année. Venez et faites l’expérience !

 

 

* stage d’évangélisation : organisé chaque année, il est destiné́ à donner aux étudiants une expérience personnelle et pratique de l’évangélisation en équipe.

** stage chorale : Coachés par Den-Isa, nos étudiants doivent monter un spectacle musical en 5 jours chrono.

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Comment devenir sage ?

Comment devenir sage ?

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Les offres contemporaines de mieux-être sont légion. Si les « intellos » sont enclins à choisir la voie de la philosophie, et si les spirituels sont plus attirés par la voie de la méditation, le commun des mortels gagne à suivre la voie illustrée par la myrmécologie pour manifester une forme de sagesse concrète. Comme l’atteste un sage hébreu (Pro 6.7-11), cette voie est gratuite, et est accessible à tous : « intellos », « spis », et « ni-intellos-ni-spis ».

De quoi s’agit-il ?

La méthode est apparentée aux anciennes « leçons de choses » que les aînés ont encore connues à l’école.  Cette pédagogie a été « popularisée [en France] dès 1867 par Mme Pape-Carpantier (1815-1878). »[1] Il s’agit d’une méthode inductive et réaliste, qui part des « choses » particulières pour en dégager les « mots » (concepts ou théories) généraux. Cette approche a inspiré le Réformateur Allemand Martin Luther pour les études bibliques. Avant lui, Dieu l’avait déjà utilisé. C’est par exemple l’histoire du ricin, qui pousse aussi vite qu’il ne disparaît, afin de toucher les sentiments du prophète Jonas, pour convaincre son intelligence de s’aligner sur les pensées de Dieu (Jon 4.6-11).

L’exemple de la voie myrmécologique.

Cette voie est énoncée par l’auteur du livre des Proverbes en ces termes : « Va vers la fourmi, paresseux ; considère ses voies, et deviens sage » (Prov 6.6.). Cette méthode engage celui qui veut devenir sage à une triple action :
VA , VOIS et DEVIENS !

  1. VA ! non pas te recoucher, ni faire le vide la tête sur un tapis à clous, mais « bouge-toi » et va vers la fourmi, ce petit insecte qui ne paie pas de mine, pour te motiver à entreprendre[2] ce qui t’incombe.
  2. VOIS ! non pas derrière ton smart-phone pour prendre une photo, mais avec tes yeux et tes « smart-neurons » pour voir la réalité en face, comprendre et tirer instruction de cette leçon de choses. Une fourmi adulte n’a ni besoin d’un surveillant qui évalue ses performances au travail, ni supérieurs hiérarchiques que lui disent ce qu’elle a à faire, ni d’un manuel pour reproduire ses gestes professionnels ou de vie quotidienne, ni besoin d’un coach ou d’un DRH qui la boost. Comme les deux premiers serviteurs de la parabole des talents (Mt 25.14-30), chacun ont intégré les principes individuels et collectifs, pour atteindre l’objectif social à viser : le développement de la colonie de fourmis et des biens de la maisonnée. Mais de voir et de désirer, cela ne suffit pas (Prov 21.25-26).
  3. DEVIENS ! non pas une célébrité qui d’un clik, met ses photos en ligne, en désespérant du manque de pousses-bleus, mais un serviteur prompt à l’action (Pro 26.13-16), pour entretenir et achever ce qui a été commencé, lorsque l’été est là, c’est-à-dire la saison destinée à anticiper l’hiver.

Si une personne a bien incarné cette triple action : Va !, Vois ! et Deviens ! c’est le Christ qui : est venu sur terre, a vu et a eu compassion des pécheurs, et est allé jusqu’au bout de la mission qui lui était assignée : devenir le rédempteur du monde.
À notre échelle et à la mesure d’appel qui est le nôtre, pourquoi ne pas s’entraîner à tirer instruction des « leçons de choses » (avec déjà cette autre histoire : Pro 24.30-34) et nous auto-motiver au prompt engagement de service ?

_________ Anne Ruolt

Pour aller plus loin :

Buisson, Ferdinand, article « Leçons de choses » [en ligne], dans Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, Paris, Hachette, 1910, URL : http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3034, consulté le 25 février 2024.

Darrigrand, Yves, « La Paresse », Cahiers de l’Institut Biblique, n° 69, 1987, pp. 3‑12. (le lien aux Cahiers pourrait être ajouté)

Kinder, Dereck, « Le paresseux », dans Le livre des Proverbes, Fontenay-sous-Bois / Cergy-Pontoise, Farel-Sator, 1986, pp. 32‑34.

[1] Ferdinand Buisson, article « Leçons de choses » [en ligne], dans Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, Paris, Hachette, 1910, URL : http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3034, consulté le 25 février 2024.

[2] Les caractéristiques du paresseux : « Il ne veut rien entreprendre » ; « il est incapable d’achever quoi que ce soit » ; « Il refuse de voir la réalité » ; « il est troublé et agité » sont tirés de : Dereck Kinder, « Le paresseux », dans Le livre des Proverbes, Fontenay-sous-Bois / Cergy-Pontoise, Farel-Sator, 1986, p. 32‑34.

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Appelés à servir Dieu

HEBREUX 12.18 – 12.29
APPELES A SERVIR DIEU :
EN ROUTE VERS LA CITE CELESTE

La moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers. Priez donc le Seigneur de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa moisson » (Mt 9.37s) . Conscient des besoins, le Centre Évangélique 2023 a rassemblé les responsables du monde évangélique de l’Europe francophone autour de la thématique : « Vocations : crises ou opportunités ? ». Ayant eu la joie d’approfondir l’étude de l’épître aux Hébreux, grâce aux prédications dans mon Église et le cours à l’IBN, ma réflexion s’est dirigée vers un passage dans la dernière partie de cette épître. L’auteur y dresse un tableau grandiose de la vocation chrétienne, avant d’en tirer des conclusions très concrètes. Mettons-nous à son écoute, pour que les initiatives que nous prenons, dans nos Églises et à l’Institut, pour favoriser de nouvelles vocations, soient en accord avec les projets du Seigneur.

1. Deux montagnes : Sinaï et Sion (Hé 12.18-24)

L’auteur de l’épître aux Hébreux, dans notre passage, établit un contraste saisissant entre le Mont Sinaï, lieu du don de la Loi, et le Mont Sion, lieu auquel sont appelés les croyants de la nouvelle alliance : « Vous ne vous êtes pas approchés, en effet, d’une montagne[1] qu’on pouvait toucher » (v. 18). Dans l’Ancien Testament, la révélation accordée au Sinaï avait culminé dans la construction du temple sur le Mont Sion. Mais l’épître aux Hébreux inclut toute l’ancienne alliance dans ce terme « Mont Sinaï » et fait ressortir que la nouvelle alliance est la réalité vers laquelle l’attente de l’ancienne pointait.

Pour décrire les terreurs au Sinaï, l’auteur fait appel au récit qu’en fait le livre de l’Exode (19.10-20 ; 20.18-21), et aux souvenirs de Moïse quand il parla 40 ans plus tard au peuple avant l’entrée dans le pays de Canaan (Dt 4.11s). Il y a bien un paradoxe ici : Israël est au bénéfice d’une révélation palpable, matérielle – comme nous en rêvons parfois nous-mêmes – mais la sainteté divine est tellement terrifiante qu’ils ne peuvent même pas toucher la montagne ! Seul Moïse, en tant que médiateur de l’alliance peut gravir le Sinaï[2]. Mais lui aussi est habité par la peur : « Je suis épouvanté et tout tremblant » (Hé 12.21)[3].

Le tableau menaçant que l’auteur brosse de la révélation accordée au Sinaï sert d’arrière-fond sombre pour mieux faire ressortir les privilèges des croyants de la nouvelle alliance : alors que les Israélites ne pouvaient même pas toucher la montagne sous peine de mort, les croyants de la nouvelle alliance se sont « approchés » de la montagne de Sion. La sainteté de Dieu reste la même : « notre Dieu est aussi un feu dévorant », comme le rappelle l’auteur au verset 29. Mais au lieu d’être « terrifiante et inaccessible », dans la nouvelle alliance, la sainteté divine « accueille, purifie et guérit[4] ». Non pas parce que Dieu aurait, tout à coup, baisser ses exigences – comment pourrait-il ne pas punir le péché, lui dont « les yeux sont trop purs pour voir le mal » (Ha 1.13) ? Mais dans la nouvelle alliance, la justice de Dieu, inaccessible dans le régime de la Loi est enfin accomplie. L’accès à la cité de Dieu est garanti par le sang de Jésus, comme le précise le verset 24 : son sacrifice expiatoire nous garantit un libre accès à la présence de Dieu.

« Vous vous êtes approchés… » (v. 22) : Le verbe grec se trouve au parfait, pour désigner une action du passé qui donne lieu à un état continu. Il fait référence à la conversion à Jésus-Christ, qui a introduit les croyants dans cette nouvelle sphère d’existence qui est désormais la leur[5]. L’auteur décrit cette réalité nouvelle à l’aide de huit expressions, groupées en quatre paires :

  • La montagne de Sion : Comme les tribus d’Israël convergent vers Jérusalem pour célébrer le culte du Seigneur (Ps 122.3s), ainsi les croyants de la nouvelle alliance viennent se rassembler à la rencontre de Dieu.
  • La cité du Dieu vivant, la Jérusalem céleste : La cité céleste émerge comme un thème majeur dans la dernière partie de l’épître aux Hébreux. Au chapitre 11, l’auteur la place au centre de l’attente des patriarches (v. 10, 16). Au chapitre 13, elle est la cité à venir, la seule à laquelle le chrétien doit sa loyauté, en acceptant le rejet du monde opposé à Christ (v. 13s). Dans notre texte, elle est cette patrie céleste à laquelle les chrétiens appartiennent dès à présent.
    Nous connaissons cette même dualité du livre de l’Apocalypse : la nouvelle Jérusalem est cette ville eschatologique qui apparaîtra quand le ciel descendra sur terre et que Dieu habitera parmi les hommes (Ap. 21.2s). Mais dès à présent, la montagne de Sion désigne le lieu où le culte est rendu à l’Agneau dans les cieux. Certes, aujourd’hui cette ville n’est pas encore descendue sur terre, la louange céleste reste encore cachée à nos yeux. Mais nous appartenons, dès à présent, à cette compagnie céleste. Ou pour employer un langage paulinien : nous sommes « assis dans les lieux célestes avec Christ » (Ép. 2.6)[6]. Notre Seigneur est déjà entré dans la présence du Père et règne du ciel ; c’est pourquoi nous, membres de son corps, nous sommes citoyens du ciel : c’est « la Jérusalem d’en haut … qui est notre mère » (Ga 4.26), non une quelconque ville des royaumes d’ici-bas.
  • Des myriades d’anges en fête : Le terme grec désigne une « réunion de fête » et est probablement à prendre avec ce qui précède comme complément circonstanciel, comme le fait la TOB et la Semeur, et en accord avec les manuscrits grecs qui comportent des ponctuations et les versions latine et syriaque[7]. Il n’est pas surprenant de trouver une multitude d’anges dans la présence de Dieu (Dt 33.2, selon la leçon des Septante ; Dn 7.10 ; Ap 5.11). L’ambiance festive contraste avec l’austérité qui entourait le don de la Loi. Jésus lui-même souligne que les anges se réjouissent « pour un seul pécheur qui se repent » (Lc 15.10). Il y a beaucoup de raisons de célébrer au ciel, depuis que la justice a été accomplie par le sacrifice de Jésus-Christ. Et si les anges font la fête, nous aussi, n’est-ce pas ?
  • L’assemblée des premiers-nés inscrits dans les cieux : c’est-à-dire nous. Nous sommes tous des enfants privilégiés – privilège que nous devons tenir en estime, contrairement à l’attitude d’Ésaü, dénoncée quelques versets plus haut (v. 16). Comme les premiers-nés de l’exode, nous sommes protégés par le sang de notre Agneau pascal (cf. Hé 11.28) ; nous sommes « inscrits dans les cieux », c’est-à-dire sûrs de notre salut[8].
  • Dieu, le Juge de tous (cf. Gn 18.25 : « le Juge de toute la terre ») : L’accent sur le rôle de Juge souligne la responsabilité solennelle des auditeurs et prépare la mise en garde qui conclura l’énumération (cf. Hé 4.13 ; 10.30s). En même temps, il fait ressortir d’autant mieux la solidité de notre espérance : que craindre encore si nous sommes approuvés par le Juge de tous, inscrits dans son livre de vie ?
  • Des esprits des justes parvenus à la perfection : Les croyants qui nous ont précédés dans la mort sont accueillis par Dieu dans sa présence. Ils ont achevé leur course ; le temps de l’épreuve et de la vigilance est passé pour eux. Pourtant, ce n’est pas leur mérite, mais la grâce de Dieu qui les a soutenus jusqu’au bout : c’est le Christ qui « peut sauver parfaitement ceux qui s’approchent de Dieu par lui » (Hé 7.25). Voici notre destinée finale : nous pouvons reprendre courage, car d’autres avant nous sont déjà arrivés jusqu’au bout.
  • Jésus : en point d’orgue de l’énumération. Comme l’exprime N.T. Wright, il est « le couronnement glorieux de la nouvelle Jérusalem[9] ».
  • Son sang nous permet l’accès à la Jérusalem céleste ; car il « parle mieux que celui d’Abel » : alors que le sang d’Abel criait vengeance, le sang de Jésus, symbolisant sa mort à notre place, proclame haut et fort que nous sommes réconciliés avec Dieu, puisque justice a été faite.

L’auteur brosse devant nous « une image dramatique, exaltante, glorieuse »[10]. C’est la réalité que nous vivons, le privilège qui est le nôtre. Pourtant, ce tableau grandiose nous interpelle aussi : « Votre vie de prière et d’adoration, que ce soit seul ou avec d’autres croyants, est-elle empreinte de la joie et de l’enthousiasme qui se dégagent de ces versets ?[11] »

2. Deux paroles : sur la terre et du ciel (Hé 12.25)

Après deux montagnes, au verset 25 voici deux paroles : l’une prononcée sur la terre, l’autre du ciel. On retrouve le contraste entre la révélation donnée au Sinaï et le régime de la nouvelle alliance. Les deux sont donnés par Dieu – c’est bien « sa voix » qui a retenti sur la terre, comme le souligne le verset suivant. L’auteur ne laisse aucun doute sur l’origine divine de l’ancienne alliance : dès le tout premier verset de son épître, il avait déjà exprimé la conviction que c’est le même Dieu qui parle dans les deux Testaments.

Et pourtant, une parole s’est fait entendre « sur la terre », l’autre « du ciel » :

  • La révélation au Sinaï avait été accompagnée de manifestations visibles, audibles sur la terre. Et elle a instauré des dispositions rituelles, extérieures, palpables, pour marquer son caractère provisoire : « La loi … [ne] possède [qu’]une ombre des biens à venir » (Hé 10.1 ; cf. 8.5 ; 7.16 parle de « commandement charnel »), dont « la réalité, c’est le Christ » (Col 2.15).
  • Mais « la parole de Dieu retentit désormais du ciel où le Fils, qui a commencé à la proclamer sur la terre (2.3) est “couronné de gloire et d’honneur” »[1]. Elle nous donne accès à un sanctuaire qui n’est pas fait de la main d’hommes (Hé 9.24), à la sphère de son règne invisible. Grâce à Jésus, nous pouvons adorer Dieu « en esprit et en vérité » (Jn 4.23s), entrer dans une relation spirituelle, directe avec ce Dieu saint.

Le contraste qu’établit l’auteur entre ces deux paroles sert à mettre en garde les lecteurs : « Prenez garde ! ne repoussez pas celui qui vous parle. Car si ceux qui repoussèrent celui qui sur la terre les avertissait, n’ont pas échappé au châtiment, à bien plus forte raison ne pourrons-nous y échapper nous-mêmes, si nous nous détournons de celui qui, des cieux, nous avertit » (v. 25).

De prime abord, cette mise en garde sévère pourrait surprendre : l’auteur n’a-t-il pas pris grand soin de souligner la liberté d’accès des chrétiens auprès de Dieu, leur appartenance à la cité céleste où règnent la joie et la justice ? La terreur du Sinaï n’est-elle donc pas derrière nous ? Oui et non – ou : non et oui.

Non, c’est le même Dieu saint ; tout pécheur qui veut se présenter devant lui sans recours au salut accompli par Jésus rencontre toujours le Juge de tous, qui ne pourra que le condamner : « notre Dieu est aussi un feu dévorant » (v. 29). Mais celui qui s’approche de Dieu couvert du sang de Jésus, pour reprendre le langage sacrificiel de l’épître, celui qui est « en Christ », pour parler avec Paul, ne craint plus rien.

D’où la mise en garde si solennelle, et répétée à travers l’épître, contre l’apostasie[2] : le croyant qui se détournerait de Jésus, pour revenir à sa vie ancienne, n’aurait plus aucune base pour espérer le salut. Nous devons l’entendre, nous laisser impressionner par cela – et ne pas l’évacuer trop vite, par des considérations dogmatiques sur l’impossibilité de perdre le salut. Ce texte – et d’autres similaires tout au long de l’épître – sont censés nous faire peur. Car cette peur est salutaire – et nous amène à nous réfugier toujours plus près de Jésus, seul lieu sûr. Et entièrement, totalement sûr, car Christ « peut sauver parfaitement ceux qui s’approchent de Dieu par lui », pour citer encore une fois Hé 7.25.

3. Deux ébranlements : de la terre seulement, et de la terre et des cieux ensemble (v. 26-27)

Deux montagnes, deux paroles – et encore deux ébranlements : « Sa voix ébranla alors la terre, et maintenant il nous a fait cette promesse : Une fois encore, je ferai trembler non seulement la terre, mais aussi le ciel » (v. 26).

Un ami kabyle m’a raconté son expérience du tremblement de terre en Algérie : une expérience très déroutante, car le sol se dérobe sous les pieds ; ce qui paraît le plus immobile – la terre – ne nous porte plus ! Mais imaginez alors un tremblement qui ébranle terre et ciel. N’est-ce pas la seule chose qui fait vraiment peur aux Gaulois invincibles : « Que le ciel nous tombe sur la tête » ! Comme si Dieu prenait le monde actuel fermement entre ses deux mains et le secouait, pour que tout ce qui est péché, mauvais, soit éliminé[15]. Ce qui reste, c’est Jésus ; ceux qui lui appartiennent ; le monde nouveau qui a déjà commencé dans la cité de Dieu, cité qui existe dès à présent et qui est encore à venir, et à laquelle nous appartenons en tant que chrétiens.

Regardons de plus près ces deux ébranlements :

  1. L’ébranlement de la terre fait référence aux événements extraordinaires qui avaient accompagné le don de la Loi au mont Sinaï[16].
  2. L’ébranlement de la terre et du ciel provient de la promesse donnée en Aggée 2.6, que l’auteur cite selon la version des Septante[17] : « Une fois encore, je ferai trembler non seulement la terre, mais aussi le ciel. ». La prophétie avait été donnée en 520, au moment de la reconstruction du temple, après l’exil babylonien. Malgré la modestie de l’entreprise, bien misérable en comparaison avec le temple originel de Salomon, vu les moyens limités des personnes revenant de l’exil (Ag 2.3s ; cf. Esd 3.12), le Seigneur promet que « la gloire de cette dernière maison sera plus grande. » Car, « c’est dans ce lieu que je donnerai la paix », annonce le Seigneur (Ag 2.9) – promesse qui s’est réalisée quelques 550 ans plus tard. Ce même temple était encore debout quand le Fils de Dieu est venu sur terre ; c’est bien dans ce temple qu’il a enseigné. C’est là que notre Seigneur a dit : « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai » (Jn 2.19).

L’ébranlement total qu’Aggée entrevoit s’accompagne de l’ébranlement des nations (Ag 2.7). Il aura pour conséquence que la résistance des ennemis sera brisée (v. 22) et que les nations afflueront à Jérusalem, pour apporter leurs richesses dans le temple (v. 7). Ces promesses s’accomplissent pour les chrétiens.

De nouveau, nous retrouvons cette double dimension de la réalité déjà présente et encore à venir :

  • Dès à présent, nous sommes libérés de toutes les forces du mal, car Christ a triomphé d’elles à la croix (Col 2.15). Nous appartenons déjà à ce royaume inébranlable, à ce nouveau monde inauguré à la résurrection de Jésus.
  • En attendant la victoire finale, nous aspirons encore à voir la nouvelle Jérusalem descendre du ciel sur terre, « les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre y apporteront leur gloire » (Ap 21.24).

4. Vivre sur terre comme des citoyens du ciel (12.28-29)

Si l’auteur de l’épître aux Hébreux revient à l’attente eschatologique au chapitre suivant (13.14), dans notre passage, l’accent tombe sur les conséquences, ici et maintenant, de notre appartenance au royaume inébranlable. Car dans la Bible, l’espérance eschatologique a toujours des répercussions très concrètes. Dès aujourd’hui, nous sommes appelés à vivre sur terre comme des citoyens du ciel.

Qu’est-ce qui change dans notre vie si nous comprenons vraiment le privilège qui est le nôtre : d’appartenir, dès à présent, à la cité de Dieu ? L’auteur met en avant deux aspects de notre réponse : la reconnaissance et le service : « Puisque nous recevons un royaume inébranlable, ayons de la reconnaissance, en servant Dieu d’une manière qui lui soit agréable, avec piété et avec crainte » (v. 28).

  • La gratitude[18] pour toutes les bontés du Seigneur : les bénédictions matérielles, la santé, et avant tout le salut. Nous appartenons à la communion des saints ; nous pouvons parler librement à Dieu dans la prière ; notre destinée éternelle est assurée – tout cela nous ne le méritons pas. C’est par la grâce que nous venons nous présenter devant Dieu ; et Dieu nous accueille parce que le sang de Jésus crie réconciliation.
  • Le service : Peut-être est-ce ici la première, et la plus importante réponse à la crise des vocations : nous stimuler mutuellement dans cette attitude de reconnaissance. Nous rappeler quel privilège extraordinaire est le nôtre : nous appartenons à cette communauté où tous sont prêtres et rois. Justement, il n’y a plus de caste sacerdotale à part, mais nous sommes tous appelés à servir Dieu. Il n’y a pas qu’un seul homme, descendant d’Aaron, qui peut entrer dans le saint des saints, une fois par an, mais nous tous qui croyons en Jésus et en son sacrifice expiatoire, nous nous sommes approchés de Dieu. Et si nous comprenons quel est ce Dieu dont nous nous sommes approchés, nous le servirons « avec crainte et profond respect », comme le traduit la Bible du Semeur. Car « notre Dieu est un feu dévorant » – ou, si vous me permettez un emprunt aux Chroniques de Narnia : Aslan n’est pas un « lion apprivoisé »[19].

Le chapitre suivant de l’épître dira très précisément en quoi consiste ce service agréable à Dieu. Et ce qui suit a de quoi nous surprendre : ce n’est pas d’abord une liste de ministères exercés dans l’Église, une énumération d’activités que nous classerions dans la catégorie « spirituelle ». Mais c’est l’amour fraternel (Hé 13.1) ; l’hospitalité (v. 2) ; le soutien aux prisonniers et à ceux qui sont maltraités (v. 3) ; la pureté sexuelle et le respect du mariage (v. 4) ; le détachement par rapport à l’argent et la confiance que Dieu pourvoira à tous nos besoins (v. 5-6) ; la mémoire chérie de ceux qui nous ont annoncé la parole de Dieu et qui nous ont précédés dans la gloire (v. 7).

Servir en route vers la cité céleste

Il serait utile de se demander ce qui devrait changer dans la vie de nos Églises, dans nos discussions entre chrétiens et dans nos programmes de formation, si nous prenions à cœur ce que l’épître aux Hébreux a à nous dire sur le service agréable à Dieu. Sans tenter d’apporter une réponse élaborée à cette question, je voudrais vous laisser avec une piste de réflexion parmi bien d’autres.

En droite ligne avec l’exhortation de nous laisser inspirer par l’exemple de nos conducteurs qui ont tenu bon jusqu’au bout, j’ai pensé à Billy Graham et la stratégie qu’il avait adoptée pour ne pas céder aux trois tentations classiques du responsable, que nos amis anglophones résument dans le slogan : « sex, power, money », que l’on pourrait rendre par « voir, avoir, pouvoir ». Ces mêmes tentations sont abordées dans la liste des exhortations pour le service agréable à Dieu au treizième chapitre de l’épître aux Hébreux. Assez tôt dans son ministère public (en 1948), Billy Graham avait demandé à ses compagnons de service de se retirer pendant une heure, pour que chacun réfléchisse aux difficultés que les évangélistes rencontrent. Ensuite ils ont mis en commun leurs résultats et ont pris quatre résolutions, pour s’en prémunir. Ce que l’on est venu à appeler le « Manifeste de Modesto », d’après la ville en Californie où ils étaient réunis, concernait quatre domaines : l’intégrité financière, la pureté sexuelle, le partenariat avec les Églises locales, sans esprit de critique, et la véracité dans la communication[20].

Il me semble que cette liste n’a rien perdu de son actualité. Quelles résolutions aurons-nous, à notre tour, à prendre pour nous engager d’abord, et persévérer ensuite, dans le service de Dieu « qui lui soit agréable, avec crainte et profond respect. » ?

________Lydia Jaeger

[1] Les citations bibliques dans l’article suivent la traduction dite à la Colombe (par endroits légèrement retouchée).

[2] Les meilleurs manuscrits grecs ne comportent pas de nom, alors que le texte reçu a « montagne ». De toute façon, ce mot est sous-entendu (cf. v. 22).

[3] Samuel BÉnÉtreau, L’Épître aux Hébreux, coll. Commentaire Évangélique de la Bible, Vaux-sur-Seine, Édifac, tome 2, 1990, p. 193.

[4] Ce dire de Moïse n’est pas rapporté en lien avec le don initial de la Loi, mais on trouve une parole proche après l’incident du veau d’or (Dt 9.19). Il est plausible que l’épître aux Hébreux fasse un télescopage des différents événements qui se sont déroulés au Sinaï. F.F. Bruce, The Epistle to the Hebrews, coll. The New International Commentary on the New Testament, Grand Rapids, Eerdmans, 1990rev, p. 355, considère possible que notre texte se réfère à une tradition haggadique qui attribuerait de tels sentiments à Moïse lors de la révélation de la Loi. Étienne mentionne des sentiments similaires pour Moïse au moment de la révélation au buisson ardent (Ac 7.32).

[5] N.T. Wright, Hebrews for Everyone, London, SPCK, 2003.

[6] De ce verbe dérive le mot « prosélyte ». Bruce, op. cit., p. 355, cite Philon qui, dans un passage sur la vision de Dieu par Moïse (Ex 33.13-23), dit de ceux qui ont la même disposition de s’attacher à la vérité, et non aux fables, que Moïse « les appelle “prosélytiques”, car ils “se sont approchés” d’une nouvelle communauté qui aime Dieu. » Le verbe s’y trouve aussi au parfait.

[7] En prêchant (en trois séries) « au fil de » l’épître aux Hébreux, j’ai été frappée par la proximité entre la théologie de l’épître et celle de Paul : plus d’une fois, le meilleur verset pour résumer l’enseignement d’un passage se trouvait chez… Paul ! Il ne m’étonne donc plus que d’aucuns dans l’Antiquité ont attribué cette lettre à Paul, malgré le langage déployé assez différent. Cette observation soutient l’idée que l’auteur était quelqu’un de l’entourage de Paul ; cf. la mention de Timothée, 13.23.

[8] Bruce, op. cit., p. 353, n. 131.

[9] L’interprétation adoptée est celle (parmi d’autres) de Bénétreau, Bruce, Wright. D’autres voient dans les « premiers-nés » les anges, car créés avant les humains. Mais Bruce, op. cit., p. 358, souligne que la notion d’être inscrit aux cieux s’applique toujours à des hommes (Lc 10.20 ; Ap 21.27, etc.). Calvin et Bengel avaient compris les « premiers-nés » comme les croyants de l’ancienne alliance, venus avant les croyants de la nouvelle alliance, mais sans parvenir à la perfection sans eux (Hé 11.39-40). Pourtant, le texte indique nous nous sommes approchés de l’assemblée des premiers-nés, précision qui manque pour les anges et suggère que les lecteurs en font partie. Ainsi, l’expression doit englober l’Église militante sur terre et l’Église glorifiée au ciel.

[10] Wright, op. cit., p. 162: « the crowning glory of the new Jerusalem ».

[11]  Wright, op. cit., p. 163.

[12] Ibid.

[13] BÉnÉtreau, op. cit., p. 200. L’expression « couronné de gloire et d’honneur » provient de Hé 2.7, 9, qui cite Ps 8.6.

[14] De telles exhortations solennelles sont une marque de fabrique de l’épître aux Hébreux : 2.1-4 ; 3.12s ; 4.1 ; 6.4-8 ; 10.25-31 ; 12.15-17 ; etc.

[15] Je reprends cette image de Wright, op. cit.

[16] La référence peut être à Ex 19.18, mais la Septante, que l’auteur suit habituellement, évacue l’idée d’ébranlement physique. De toutes les façons, l’élément est bien présent dans des reprises poétiques de l’événement, pour faire ressortir le caractère spectaculaire des phénomènes : Jg 5.4 ; Ps 68.8s. On le trouve aussi pour la traversée de la mer Rouge : Ps 77.19 ; il fait partie du décor habituel des théophanies (Ps 18.8 ; 82.5 ; Es 6.4 ; Am 9.5 ; Jb 9.6 ; références recueillies dans BÉnÉtreau, op. cit., p. 201).

[17] Brian Tidiman, Les livres d’Aggée et de Malachie, coll. Commentaire Évangélique de la Bible, Vaux-sur-Seine, Édifac, 1993, p. 117, explique la situation textuelle par rapport à cette variante.

[18] BÉnÉtreau, op. cit., p. 205, discute les deux traductions possibles et les arguments avancés respectivement : « tenons bien la grâce » (retenue par la TOB et la Bible de Jérusalem) ; et « soyons reconnaissants » (adoptée par la BC, NBS, BFC, NFC, Semeur). Bénétreau privilégie la première traduction, contre la majorité des modernes.

[19] En anglais : « He is not a tame lion », un lion dompté.

[20] https://billygraham.org/story/the-modesto-manifesto-a-declaration-of-biblical-integrity (consulté le 18 novembre 2023).

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Sur « Jésus, le pain de vie »

Sur « Jésus, le pain de vie »

Pain de vie

Partageons notre pain avec celui qui a faim…

Le récit de la multiplication des pains est souvent invoqué par les chrétiens qui prennent à cœur l’appel du prophète à partager leur pain avec celui qui a faim. Il y a de bonnes raisons pour cela mais encore faut-il trouver lesquelles !

L’Évangile selon Jean nous raconte le lendemain de l’histoire (Jean 6.22). La multiplication des pains a mis la foule en appétit… mais n’a pas discerné que ce que Jésus a fait pointait vers quelque chose d’autre (cf. verset 26). Il voudrait que la foule s’intéresse à ce que le miracle voulait dire bien davantage qu’au fait de faire un bon repas et n’a pas l’intention de pérenniser la multiplication des pains. En cela, l’œuvre de Jésus s’éloigne de ce que nous appellerions une « action sociale ».

Le pain terrestre que Jésus a donné à la foule était un signe pour désigner ce que nous devons rechercher comme étant la grande affaire de notre vie, c’est-à-dire Lui-même. Jésus est le Dieu véritable et la vie éternelle et le Royaume de Dieu en personne. Lui seul satisfait pleinement les aspirations et les besoins les plus profonds de celui qui le reçoit : « Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » (cf. verset 35) Tout cela, il le fait gratuitement, comme un cadeau.

Quand Jésus multiplie les pains, il ne mène donc pas une action sociale mais donne un signe du don de la vie éternelle. Or celle-ci n’est pas une affaire uniquement spirituelle. Dans la suite du chapitre, Jésus insistera sur la résurrection promise pour le dernier jour. Dieu a un avenir pour notre corps, pour l’humanité et pour l’ensemble de la création. Les réalités terrestres comptent pour Dieu et les chrétiens peuvent faire de leur implication sociale un signe de leur espérance ultime.

Comprendre que Jésus est le pain de vie nous montre également que notre vie dépend du don qu’il nous a fait de nous-mêmes. Cela devrait se refléter dans toutes les facettes de notre vie et qu’y a-t-il de plus logique que celui qui vit du pain descendu du ciel partage son pain avec celui qui a faim ? Il y a bien des conséquences sociales à la foi en Jésus comme pain de vie à laquelle la multiplication des pains renvoyait.

Enfin, si Jésus a fait le miracle de la multiplication des pains pour donner un signe qui allait au-delà d’une simple distribution de nourriture, il l’a aussi fait parce que les gens avaient faim. Jésus, qui est devenu vraiment homme en descendant du ciel, est pleinement entré dans la solidarité humaine, la compassion, la pratique de la justice demandée de tout être humain, qui caractérise la vie que Dieu veut pour les créatures faites en son image. La multiplication des pains nous renvoie aussi au fondement « créationnel » de notre action sociale.

Fondement créationnel, conséquences sociales du salut, signe d’un salut futur intégral : oui le récit de la multiplication des pains, lorsqu’il est lu de près, peut motiver et nourrir notre engagement face à la pauvreté.

Daniel Hillion

Directeur des études au SEL – Professeur associé à l’IBN

L’Évangile selon Jean nous raconte le lendemain de l’histoire (Jean 6.22ss). La multiplication des pains a mis la foule en appétit… mais n’a pas discerné que ce que Jésus a fait pointait vers quelque chose d’autre (cf. verset 26). Il voudrait que la foule s’intéresse à ce que le miracle voulait dire bien davantage qu’au fait de faire un bon repas et n’a pas l’intention de pérenniser la multiplication des pains. En cela, l’œuvre de Jésus s’éloigne de ce que nous appellerions une « action sociale ».

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À l’occasion de Pâques !

À L’OCCASION DE PÂQUES !

Méditation de Pâques

8 Nous étions réunis à l’étage supérieur de la maison, éclairé par de nombreuses lampes.
9 Un jeune homme nommé Eutychus s’était assis sur le rebord de la fenêtre et, comme Paul prolongeait encore l’entretien, il s’endormit profondément. Soudain, dans son sommeil, il perdit l’équilibre et tomba du troisième étage. Quand on le releva, il était mort.
10 Paul descendit, se pencha vers lui, le prit dans ses bras et dit :
—Ne vous inquiétez pas ! Il est encore en vie.
11 Il remonta, rompit le pain, mangea, et continua de parler jusqu’au point du jour. Puis il partit.
12 Quant au jeune homme, il fut ramené chez lui indemne, au grand réconfort de tous.

En Actes 20, Paul fait ses adieux à ses amis de la région, et repart vers Jérusalem. Pour les ennemis du christianisme, Paul est désormais l’homme à abattre. D’ailleurs, un complot vient tout juste d’être déjoué. Mais ces menaces qui pèsent sur la vie de Paul ne semblent pas l’empêcher d’avancer et de servir le Seigneur. Il passe sa dernière journée à Troas et va reprendre la mer pour partager l’Évangile. Ce dernier jour dans cette ville est un dimanche, premier jour de la semaine, jour commémoratif de la résurrection du Seigneur, et les chrétiens tenaient spécialement leurs assemblées, le soir, après le travail, car on n’avait pas encore pu faire du dimanche un jour de repos. Ce soir-là, Paul, prolonge son discours qui précède la Cène.

Luc raconte en Actes 20.8-12 :

Nous étions réunis à l’étage supérieur de la maison, éclairé par de nombreuses lampes. Un jeune homme nommé « Eutychus » s’était assis sur le rebord de la fenêtre et, comme Paul prolongeait encore l’entretien, il s’endormit profondément. Soudain, dans son sommeil, il perdit l’équilibre et tomba du troisième étage. Quand on le releva, il était mort. Paul descendit, se pencha vers lui, le prit dans ses bras et dit : Ne vous inquiétez pas ! Il est encore en vie. Il remonta, rompit le pain, mangea, et continua de parler jusqu’au point du jour. Puis il partit. Quant au jeune homme, il fut ramené chez lui indemne, au grand réconfort de tous

Cette réunion s’est prolongée parce que c’était la dernière fois que Paul était en compagnie de ces croyants. Mais il se faisait tard et la fatigue d’une journée de travail pesait sur les paupières. Avec la chaleur de la pièce, le monde contenu dans la salle, les lampes à huile qui chauffaient aussi, il est assez logique que l’on cherchait de l’air. Il faisait chaud, même avec une fenêtre ouverte. Ce contexte, renforcé peut être par le son de la voix de Paul qui discourait sur des sujets théologiques pas forcément faciles à comprendre, a eu raison d’un jeune homme appelé Eutychus, qui s’endormit et chuta mortellement.

Il est clair que si le public était en train de somnoler, il y a dû y avoir un certain sursaut dans l’assistance. Luc, le médecin, est allé constater la mort du jeune homme suite à sa chute. Paul l’a suivi. Comme à chaque fois qu’il est question de résurrection dans la Bible, il n’y a pas eu de rite, pas d’incantation, mais de façon très simple, Paul a affirmé que le jeune homme est encore en vie.

Luc, l’auteur du livre des Actes, a choisi de mettre en miroir cette résurrection et un autre épisode que nous n’allons pas détailler qui se trouve en Actes 9.36-43, avec Pierre et Dorcas. Ces deux récits ont aussi plein de parallèles avec deux autres résurrections que l’on trouve dans l’Ancien testament avec Elie en 1 Rois 17.22-23 et avec Élisée en 2 Rois 4.

Ce n’est pas un hasard. Luc est intentionnel dans sa façon d’écrire. Elie – Élisée étaient des hommes de Dieu, remplis de l’Esprit, agissant avec puissance. Luc, choisit de mettre en parallèle Pierre et Paul de la même manière que les deux anciens prophètes. Au travers de son texte, Luc affirme que les deux apôtres ont été missionnés par Dieu et que le même Esprit les anime l’un et l’autre.

Il faut aussi réaliser que ce miracle intervient dans le cadre de la célébration de la Cène. D’ailleurs juste après la résurrection, Paul va célébrer la Cène, commémorant la victoire sur la mort et annonçant la victoire finale et définitive de Christ ! Ce miracle n’est en réalité qu’une illustration de la puissance de Jésus-Christ.

Il faut bien souligner le contexte dans lequel se passe cet épisode. Paul est pourchassé, on en veut à sa vie. Un complot vient tout juste d’être déjoué. Les gens savent qu’ils ne le reverront plus jamais… mais de voir Dieu agir, Dieu qui est capable de ressusciter un mort, c’est un puissant encouragement. Ses amis ne vont pas pouvoir garder Paul et le protéger, ils doivent le laisser partir, vers Jérusalem où les Juifs ont crucifié Jésus il y a quelques années à peine, ils doivent le laisser repartir, malgré leurs craintes et l’angoisse… Mais Dieu leur démontre qu’Il est là et qu’il a le dernier mot.  Cet épisode est un puissant encouragement en réalité.

Paul ne savait pas du tout ce qui l’attendait, bien qu’il avait une idée des souffrances vécues et qui n’allaient pas cesser. Et pourtant, il a continué à faire confiance à Dieu.

Paul avait médité sur l’œuvre de Christ. Et ça a changé sa vie. A l’occasion de Pâques, nous faisons de même. Nous nous souvenons de la croix, objet de torture, sur laquelle Jésus-Christ a donné sa vie par amour pour nous tous. Et nous nous réjouissons que cette croix n’est pas le dernier épisode de l’histoire. Christ est ressuscité, bien plus il vit aujourd’hui, et il a promis de revenir en puissance et en gloire. Ainsi, la croix vide et le tombeau ouvert démontrent une réalité puissante, qui ouvre le chemin d’une vie nouvelle à la suite du ressuscité.

La croix n’est pas juste un endroit où l’on peut contempler l’amour de Dieu, mais aussi une porte qui nous invite à entrer et vivre en relation avec Dieu, par la foi. 

Vivre par la foi, ce n’est pas l’expérimentation d’une puissance, mais l’expérimentation de la dépendance envers Dieu. C’est d’ailleurs bien plus souvent une expérience qui se vit dans la souffrance que dans l’abondance.

Vivre par la foi :

C’est vivre une vie d’allégeance envers le Dieu Souverain.

Une déférence à l’égard du Dieu qui sait tout.

C’est la reconnaissance de notre incompétence qui reçoit avec joie le pardon offert par le Dieu sauveur.

C’est le choix de la déchéance de notre orgueil, le refus de la manigance de nos certitudes et de l’excellence supposée de nos raisonnements.

C’est l’accueil de la paix intense du Dieu qui fait grâce.

Et l’expérimentation de la confiance dans le Dieu tout puissant.

C’est aussi la certitude d’une présence, celle du Dieu avec nous.

C’est enfin la récompense de celui et celle qui tiendra ferme jusqu’au bout, l’expression d’une cohérence entre ce que nous vivons et croyons.

En fait, vivre par la foi c’est la consistance du christianisme.

Ne vous inquiétez pas ! Il est encore en vie.

Non plus Eutychus, mais celui qui est l’Éternel et en qui nous sommes invités à placer notre espérance.


Matthieu Gangloff

Pâques, pâques, pâques!

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Christianisme sans chrétienté : une gageure ?

Christianisme sans chrétienté : une gageure ?

La parution en 2023, aux Éditions du Cerf (coll. Lexio), d’une édition revue et augmentée du livre La Fin de la chrétienté mérite une mention expresse, tant est stimulante et opportune la réflexion de l’auteur, la philosophe catholique Chantal Delsol.

De fait, si au Ve siècle de notre ère nombre de chrétiens ont cru que l’Église ne survivrait pas à l’Empire romain envahi par les barbares, aujourd’hui nous pouvons, en Europe occidentale, tomber semblablement dans la perplexité en contemplant le christianisme aux prises avec une véritable mutation démographique et culturelle. Or, après une analyse très fine de la situation, l’auteur ne se laisse pas aller à la mélancolie, mais promeut un mode d’existence chrétienne que les évangéliques ne réprouveront pas. Oh ! tout au plus aurions-nous amendé le type du « témoin muet de Dieu » (4e de couv.), proposé pour le chrétien d’aujourd’hui : les évangéliques veulent « lutter pour la foi qui a été transmise une fois pour toutes » (Jd 3), sans dénier la débâcle de la société de chrétienté…

C’est en l’occurrence une révolution culturelle que Chantal Delsol dépeint magistralement : un retour au paganisme après seize siècles de civilisation chrétienne, un retour facilité par « la récusation de la transcendance » (p. 46) au profit d’un métaphorisme édulcoré.

Il y a ainsi révolution morale. Transcrite en des lois dites sociétales, elle est portée par l’émancipation du désir individuel et par l’imposition d’une honte du passé de culture chrétienne. Résultat : « On rétablit le divorce que la Chrétienté avait aboli. On permet l’infanticide [sous forme d’IVG ou d’IMG] que les chrétiens avaient interdit …. On pare de légitimité l’homosexualité ou le suicide [éventuellement assisté], que l’Église naissante avait criminalisés. » (p. 75)

Il y a aussi, quant à la vision même du monde, révolution ontologique. Amenée par la sécheresse du rationalisme moderne, elle conduit au panthéisme et à l’écologisme, figurant derechef une nature enchantée et absolutisée. Ainsi, on se prévaut de l’urgence de la défense de l’environnement pour quitter le rationnel et ériger l’écologie en religion, avec ses prêtres et ses doctrinaires.

Cette révolution, précise Delsol, fait régresser des principes longtemps portés par le christianisme. Ainsi en est-il du concept de vérité, affranchi de l’obligation de certitude ; dès lors se dilue-t-il dans l’agnosticisme, typique des mythologies. Par suite, c’est la morale, se retrouvant seule, qui s’impose. Elle prend la forme de « l’humanitarisme » et la place des « religions de la transcendance » (p. 140) : la philanthropie supplante la vérité. Aussi, comme en paganisme, c’est l’« élite gouvernante [qui] décrète la morale, promeut les lois pour la faire appliquer, et éventuellement la fait appliquer par injures et ostracisme » (p. 149)…

Eh bien, avec un tel retournement de l’histoire, le christianisme, marginalisé, doit se soucier non plus de domination mais d’exemplarité, plaide Delsol ! Et, dis-je, de verbe juste.

Sylvain Aharonian

De fait, si au Ve siècle de notre ère nombre de chrétiens ont cru que l’Église ne survivrait pas à l’Empire romain envahi par les barbares, aujourd’hui nous pouvons, en Europe occidentale, tomber semblablement dans la perplexité en contemplant le christianisme aux prises avec une véritable mutation démographique et culturelle. Or, après une analyse très fine de la situation, l’auteur ne se laisse pas aller à la mélancolie, mais promeut un mode d’existence chrétienne que les évangéliques ne réprouveront pas. Oh ! tout au plus aurions-nous amendé le type du « témoin muet de Dieu » (4e de couv.), proposé pour le chrétien d’aujourd’hui : les évangéliques veulent « lutter pour la foi qui a été transmise une fois pour toutes » (Jd 3), sans dénier la débâcle de la société de chrétienté…

C’est en l’occurrence une révolution culturelle que Chantal Delsol dépeint magistralement : un retour au paganisme après seize siècles de civilisation chrétienne, un retour facilité par « la récusation de la transcendance » (p. 46) au profit d’un métaphorisme édulcoré.

Il y a ainsi révolution morale. Transcrite en des lois dites sociétales, elle est portée par l’émancipation du désir individuel et par l’imposition d’une honte du passé de culture chrétienne. Résultat : « On rétablit le divorce que la Chrétienté avait aboli. On permet l’infanticide [sous forme d’IVG ou d’IMG] que les chrétiens avaient interdit …. On pare de légitimité l’homosexualité ou le suicide [éventuellement assisté], que l’Église naissante avait criminalisés. » (p. 75)

Il y a aussi, quant à la vision même du monde, révolution ontologique. Amenée par la sécheresse du rationalisme moderne, elle conduit au panthéisme et à l’écologisme, figurant derechef une nature enchantée et absolutisée. Ainsi, on se prévaut de l’urgence de la défense de l’environnement pour quitter le rationnel et ériger l’écologie en religion, avec ses prêtres et ses doctrinaires.

Cette révolution, précise Delsol, fait régresser des principes longtemps portés par le christianisme. Ainsi en est-il du concept de vérité, affranchi de l’obligation de certitude ; dès lors se dilue-t-il dans l’agnosticisme, typique des mythologies. Par suite, c’est la morale, se retrouvant seule, qui s’impose. Elle prend la forme de « l’humanitarisme » et la place des « religions de la transcendance » (p. 140) : la philanthropie supplante la vérité. Aussi, comme en paganisme, c’est l’« élite gouvernante [qui] décrète la morale, promeut les lois pour la faire appliquer, et éventuellement la fait appliquer par injures et ostracisme » (p. 149)…

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Le mariage : ce que dit la Bible !

Le mariage : ce que dit la Bible 

Le mariage, réalité humaine commune, a bénéficié, dans l’histoire de la France, sinon d’une sacralisation, du moins d’une sorte de légitimation religieuse, avant d’obtenir une légitimation séculière. Mais aujourd’hui, force est de constater que l’institution du mariage elle-même est questionnée ; il n’y a plus consensus – en revanche le clivage des catholiques et des protestants s’estompe dans ce domaine…
Sylvain Aharonian, professeur d’Etique à l’IBN, esquisse dans cette vidéo le message de la Bible au sujet du mariage en mettant l’accent sur sa dimension d’alliance.

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Les abus sexuels, sortir de l’ombre !

Sortir de l'ombre, les abus sexuels

Les abus sexuels, sortir de l’ombre ! 

S’il y a un thème sur le devant de la scène médiatique, c’est bien celui des abus, sexuels surtout. Effet de mode ? Hélas, non. J’ai rencontré ce thème trop souvent dans des entretiens, pour encore penser qu’il s’agisse d’un phénomène marginal, ou qui épargnerait nos Églises. On ne peut donc que saluer l’initiative Stop Abus, lancée par le CNEF.

Sortir de l’ombre 

Avant que le thème arrive sur le haut de l’attention publique , l’Institut Biblique avait déjà organisé un Forum consacré aux abus sexuels en 2014, dont les textes ont été publiés depuis (Les Abus sexuels. Sortir de l’ombre, Excelsis 2017).

Pourquoi avoir anticipé ainsi la prise de conscience publique ? C’était surtout due à la conjonction entre deux facteurs : plusieurs d’entre nous (parmi les professeurs et les membres du CA) avaient rencontré la problématique, alors que notre formation professionnelle ou expérience personnelle ne nous y avait pas disposés. C’est l’écoute pastorale elle-même, et non un a priori psychologisant qui nous avait conduit à prendre conscience de l’ampleur du phénomène – tant par sa fréquence que par ses effets dévastateurs. Et, deuxième facteur en jeu, la présence de personnes en notre sein qui, par leur profession, étaient des spécialistes dans le domaine : la psychologue Agnès Blocher, qui travaillait auprès de jeunes en difficulté et offrait bénévolement des entretiens de soutien psychologique à nos étudiants ; l’ancien membre de la brigade des mineurs Fabrice Delommel, étudiant à l’ Institut à ce moment.  Ainsi, nous ne pouvions plus nous satisfaire du silence entourant le sujet, jusque dans nos programmes de formation théologique, mais devions faire un moins un premier pas, pour le sortir de l’ombre.

La Bible fait du mariage le seul cadre dans lequel la pratique de la sexualité plaît à Dieu. Elle rejoint donc sans restriction la condamnation de la société des abus sexuels, en particulier commis sur des mineurs. Notre réflexion et notre pastorale pourront tirer pleinement profit de l’apport des sciences humaines, fruit de la grâce commune. (Je me rappelle le dégoût ressenti quand je me suis rendu compte que les agissements d’un maître de stage correspondaient en tout point à ce que décrit la littérature, et quel courage l’étudiante, soutenue par l’équipe professorale, a dû déployer pour les dénoncer.) En même temps, la vision biblique de l’être humain se distingue aussi des consensus sociétaux. Du coup, on peut s’attendre à ce que le contexte plus large de l’éthique biblique soit un cadre particulièrement fécond pour la prise en compte du phénomène.

Les contributions consignées dans le livre restent d’une affligeante actualité. Il vaut toujours – hélas ! – la peine de les lire (ou relire). Ainsi nous serons mieux équipés pour offrir une écoute bienveillante à ceux qui nous entourent, dans nos Églises et hors de nos Églises. Il est probable qu’il y en ait plus d’un qui n’attendent que cela pour dire le secret qui leur pèse et les paralyse.

_________ Lydia Jaeger

De multiples questions se posent : quels sont les signes qui alertent d’une relation abusive ? Comment réagir quand on la soupçonne dans son entourage, y compris à l’Église? Faut-il pardonner sans condition? Pourquoi Dieu n’est-il pas intervenu quand on a crié à lui ? Le chrétien a-t-il le droit de recourir aux instances judiciaires du « monde »?

(Ces réflexions sont le fruit du premier « Forum de l’IBN », journée de réflexion organisée par l’Institut Biblique de Nogent-sur-Marne en novembre 2014. L’ouvrage offre au lecteur un guide éclairant qui l’aidera sur ce terrain semé d’embûches. Il s’appuie sur des compétences pluridisciplinaires, tant exégétiques et dogmatiques, que psychologiques et judiciaires.

Ont collaboré à cet ouvrage : Agnès Blocher, Fabrice Delommel, Lydia Jaeger, Émile Nicole, Elvire Piaget (†), Gladys Vespasien, Peter Winter).

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IA : « Ne soyons pas… sans intelligence »

HEBREUX 12.18 – 12.29
APPELES A SERVIR DIEU :
EN ROUTE VERS LA CITE CELESTE

Depuis quelques années, l’Intelligence Artificielle et ses usages se développent rapidement. L’IA suscite des débats sur les opportunités ou les dangers qu’elle représente, nous aimerions savoir quoi en penser. Anne Ruolt, professeur à l’Institut, sollicitée sur le sujet lors du dernier Centre Évangélique (« L’IA : le César, le Panoramix ou l’Astérix de votre vocation d’enseignant de la Bible ? ») nous livre ses réflexions sur le sujet.

ChatGPT, vous connaissez ?

En 1968, à propos de l’ordinateur qui apparaissait dans les universités et en entreprises[1], H. Blocher écrivait dans son article « Les évangéliques & l’ordinateur » :

« On fait souvent aux chrétiens la réputation des carabiniers, celle d’arriver toujours en retard. Quand la technologie moderne met au point de nouveaux moyens d’action ou de communication (cinéma, télévision), ils commencent par y flairer une invention diabolique (et ils laissent le champ libre au diable, qui en profite pour s’en servir le premier) ; longtemps après, cependant, ils se rendent compte qu’ils pourraient, eux aussi, en tirer parti, pour la diffusion et la défense de l’évangile. L’ordinateur des évangéliques servira d’abord à l’apologétique, à l’évangélisation en milieu universitaire […] »[2].

Ni l’IBPhile, ni le Centre Évangélique ne sont en retard à propos de l’Intelligence Artificielle (IA) ! En effet, depuis le 30 novembre 2022, ChatGPT, -Chat pour agent conversationnel ; GPT pour Generative Pre-trained Transformer ou transformeur génératif pré-entraîné-, tous en parlent ! Alors que Sciences Po Paris, inquiète, interdisait l’usage de ce « robot » à ses étudiants, la célèbre MIT (Massachusetts Institute of Technology, Institut de technologie du Massachusetts) s’enthousiasmait pour cette innovation et encourageait ses étudiants à s’en servir.

En 1993 déjà, V. Vinge (1944-), mathématicien, mais aussi auteur de roman de science-fiction, conceptualisait la peur de l’innovation informatique sous le nom de « singularité technologique » et prophétisait ceci : « D’ici trente ans, nous aurons les moyens technologiques de créer une intelligence surhumaine. Peu de temps après, l’ère humaine sera terminée. »[3] En 2023, alors qu’existent déjà les calculatrices, les microscopes, les télescopes, les IRM, les traducteurs en ligne, les grues, etc., qui accélèrent, précisent, décuplent les capacités biologiques de l’homme, l’espèce humaine est toujours là, et ce sont davantage les guerres et le COVID qui la font trembler.

Pour l’ingénieur L. Julia (19660-), père de Siri, « l’intelligence artificielle n’existe pas ». Il parle d’Intelligence Augmentée. Comme pour son collègue Y. LeCun (1960-), prix Turing (2018) : « l’intelligence artificielle est un moyen d’amplifier » les aptitudes naturelles de l’homme, et non de la remplacer. C’est concevoir l’IA comme un nouvel outil au service de l’Intelligence Humaine (IH) comme le fut la « Pascaline », en 1642, la première machine à calculer, fabriquée par le jeune Blaise Pascal (1623-1662), pour faciliter le travail de son père nommé premier président à la Cour des aides de Normandie. Pourtant, alors que les premières calculatrices électroniques apparaissent en 1961, leur autorisation au baccalauréat ne remonte qu’à 1980, mais à cette époque déjà, quel ingénieur aurait pu s’en passer dans son travail ? Aujourd’hui, quel comptable, quel secrétaire, quel bibliothécaire, pourrait travailler sans ordinateur et sans Internet ? Alors, qu’en est-il de notre rapport à l’IA ?

Après un mot sur l’histoire de cette innovation, deux mots sur le rapport de l’homme à l’IA, nous terminerons avec trois mots sur ce qui contribue au développement de l‘IH et ce que l’IA peut apporter à l’IH des chrétiens.

1 .Un mot sur l’histoire des trois printemps de l’IA

C. Villani (1973-) définit l’ambitieux objectif des chercheurs en IA ainsi : « comprendre comment fonctionne la cognition humaine et la reproduire ; créer des processus cognitifs comparables à ceux de l’être humain » [1]. Il s’agit donc de créer un outil qui réponde simplement au texte ou à la voix humaine, comme le ferait un humain expert. La première grande date, 1943, est celle de la modélisation mathématique du neurone humain pour le répliquer, établie par W. McCulloch (1989-1969) et W. Pitts (1923-1969). S’ensuivirent une succession de saisons fastes pour la recherche puis d’hibernation, faute de moyens.

Le premier printemps de l’IA (1950-1973) commence en 1950 par la construction de la machine de Turing. Le néologisme « IA » est forgé en 1956 par l’américain J. McCarthy (1927-2011) du MIT (Massachusetts Institute of Technology) à l’occasion d’un colloque au Dartmouth College. L’IA désigne alors une nouvelle discipline universitaire. On est très loin du Maschinenmensch de Métropolis (1927) qui a inspiré C3PO de Star Wars (1977) ! Les premières applications sont des traducteurs linguistiques. Pour des questions éthiques, les budgets sont coupés. Le deuxième printemps (1981-1986) est marqué par l’essor des systèmes experts, mais est arrêté par le développement des micro-ordinateurs qui attirent les capitaux des investisseurs. Le troisième printemps court depuis 1990. Les ordinateurs sont toujours plus puissants et leur mémoire, plus grande. La quantité de ressources (Data) explose et permet d’entraîner les algorithmes à accomplir différentes tâches.

Nous verrons bientôt si Julia a raison de penser que nous sommes à la veille d’un nouvel hiver. En tout cas, aujourd’hui, on distingue trois catégories d’IA. ChatGPT 3 appartient à la première, celle des IA faibles ou étroites dénommées ANI (Artificial Narrow Intelligence) qui sont capables de réaliser, en quelques secondes, une seule tâche de manière quasi parfaite.

Par exemple, rédiger un texte administratif, résumer un article, conduire automatiquement une voiture, réaliser une image, une mélodie, reproduire une voix. Les prochaines versions de ChatGPT, comme le projet français kuytai, appartiennent à la seconde catégorie d’IA : l’IA générale ou profonde dénommée AGI (Artificial General Intelligence). Ces algorithmes, multitâches, devraient être capables de réaliser n’importe quelle tâche cognitive comme le ferait un humain. L’IA de « troisième type » est l’IA forte ou super-intelligente dénommée ASI (Artificial Super Intelligence). Elle devrait savoir pourquoi elle accomplit ces différentes tâches, autrement dit, montrer des signes d’une conscience propre. Ce modèle relève de la science-fiction pour de nombreux spécialistes comme Julia et déjà Turing. Pour eux, la machine ne pense pas, elle imite l’homme, car un algorithme n’a ni conscience, ni libre arbitre. A. Pouget, Professeur à l’Université de Genève, qui estime proche l’avènement d’une IA de ce type, prend la précaution de parler de la « conscience » sans rapports avec la définition des philosophes laissant supposer l’invention d’une théorie de « conscience artificielle ».

2. Deux mots sur les effets des innovations techniques

Le mythe des robots humanoïdes

Avant l’effet Deep Blue qui, en 1997, a battu Kasparov aux échecs, le mythe du robot créé par l’homme, à son image, et qui le supplante, a nourri toutes sortes de fantasmes. En 1769 déjà, J. W. von Kempelen (1734-1804) fabriquait « le Turc joueur d’échec », un automate, qui a battu aux échecs de grandes figures de l’époque, dont Napoléon Bonaparte (1769-1821). Mais c’était une supercherie. C’est un fameux joueur d’échec, dissimulé sous la table, qui déplaçait les pièces magnétiques.

Le mythe de Golem illustre l’humanoïde archétype à la fois du rédempteur et du monstre. Ce récit, qui trouve sa source dans la Cabale juive (XIIe), met en scène un sage rabbin qui, pour protéger sa communauté, fabrique une créature humanoïde avec de la boue et lui donne vie par une opération mystique. Le Golem suit mécaniquement les ordres. Il est dépourvu de libre arbitre et de conscience du bien ou du mal. L’analogie avec l’IA met en évidence l’effet utilitaire, et facilitant, de l’outil créé par l’homme. En médecine par exemple, il détecte plus efficacement que l’œil du radiologue certaines tumeurs. Cependant, mal contrôlé, ou interprétant mal les ordres, le Golem pouvait devenir dangereux, mais son maître pouvait le désanimer, et il redevenait poussière. L’analogie avec l’IA met en évidence la peur de l’homme d’être dominé par des algorithmes qui s’emballent de façon incontrôlée, et qui, au lieu de le protéger, lui nuise jusqu’à l’éliminer. Cette crainte, qui est celle du survivaliste S. Altman, le patron de ChatGPT, et le sujet de films de science-fiction, n’est-elle pas, en miroir, une forme de réminiscence édénique inconsciente, où l’homme, créé en image de Dieu, voulant se faire l’égal de son Créateur, voit la situation lui échapper et bien des conséquences pénibles l’atteindre ?

Les innovations techniques et les hommes

L’IA va, nous dit-on, opérer la quatrième grande révolution dans l’histoire des techniques de communications, après l’imprimerie au XVe siècle, la radio et la télévision à partir de la fin du XIXe siècle, l’ordinateur et Internet depuis le milieu du XXe siècle. Mais c’est oublier l’invention de l’écriture ! Platon n’a pas manqué de l’évoquer dans Phèdre pour fixer la fonction et les limites des techniques. C’est l’histoire de Theuth, qui, dans la mythologie égyptienne, est la divinité qui a inventé l’écriture. Alors qu’il cherchait à persuader le roi Thamous que son invention allait servir de « remède pour soulager la science et la mémoire » et « rendre les Égyptiens plus savants », le roi, d’un autre avis, lui rétorqua :

« Tu as trouvé le remède, non point pour enrichir la mémoire [pour Platon, être intelligent, passait par la mémorisation des connaissances], mais pour conserver les souvenirs qu’elle a. Tu donnes à tes disciples la présomption qu’ils ont la science, non la science elle-même. Quand ils auront, en effet, beaucoup appris sans maître, ils s’imagineront devenus très savants, et ils ne seront que … des savants imaginaires.[1] »

De même que posséder une belle bibliothèque chez soi ne rend pas automatiquement savant, l’écriture, si elle permet de conserver l’information, ne rend pas savant comme par enchantement. Pour cela, l’homme doit savoir exploiter ce qui est écrit ! Contrairement aux outils qu’il créé pour lui faciliter le travail, seul l’homme est un être pensant.

L’imprimerie, qui permet de diffuser des écrits en plus grand nombre et à moindre coût, engage à exercer le discernement. V. Hugo n’écrivait-il pas : « Ceci tuera cela, le livre tuera l’édifice [pour parler de l’Église] » ?[1] À Strasbourg, une statue représente Gutenberg une feuille de papier en main sur laquelle il est écrit : « Et la lumière fut ». Cela fait écho autant au texte de la Genèse qu’au siècle des Lumières qui prend ses distances vis-à-vis du message de l’Évangile. La technique ne garantit pas la teneur des textes diffusés, et ceci bien avant qu’Internet et les réseaux sociaux n’apparaissent !

Aussi nous ne nous étonnons pas que l’invention du téléphone ait provoqué toutes sortes de craintes. Si G. Claisse évoque à son propos en 1993 les mythes « de la convivialité, de l’ubiquité, et de l’indifférenciation, voire de l’ouverture sociale » [2], un siècle plutôt, en 1893, le Cosmopolitan qualifiait le téléphone « d’ersatz de sociabilité [qui] rend les hommes plus paresseux, moins enclins à se rendre visite[…] Il donne naissance à une collectivité plus vaste mais moins profonde »[3]. Pourtant, en réduisant les distances, l’innovation a permis d’appeler plus vite les secours et de sauver des vies, comme, à un autre titre, « la Bible par téléphone » !

Nous avons fait l’expérience de demander à trois IA (ChatGPT, Bars de Google et Biblemat de Polepaka) d’expliquer comment décider si, dans Jean 7.36-37, les fleuves d’eau vives coulent du sein de Jésus ou du croyant. Elles ont conclu que l’on ne peut pas trancher et recommandent de consulter des commentaires, preuve qu’à ce jour, il reste toujours plus efficace de lire un bon commentaire pour faire le point sur une interprétation délicate. Cependant, la traduction ou le résumé quasi instantané d’un texte est bluffant. Vous avez un texte à préparer pour la radio et vous n’êtes pas un as du français ? L’IA le fera pour vous en lissant le style, mais ne comptez pas sur elle pour réaliser l’enquête de terrain à votre place. Elle vous aidera à résoudre un problème de programmation informatique en vous évitant les tâches fastidieuses et vous faisant ainsi gagner beaucoup de temps. Il en ira de même pour concevoir un emploi du temps complexe comme celui de l’Institut biblique, ou encore pour concevoir vos illustrations et contourner ainsi le problème des droits en matière d’image.

Mais ce que génère avec aplomb l’IA doit toujours être vérifié, comme du reste toutes les informations collectées sur la toile et même ce que nous trouvons dans les livres. Dans tous ces cas, nous avons besoin de savoir qui écrit, à qui, dans quel contexte, pourquoi et comment. Il y a cependant une difficulté de fiabilité propre aux IA. En effet, sauf exception, l’IA donne toujours une réponse, celle qui est la plus probable, mais ne cite jamais de références ou, parfois, en invente. C’est pourquoi, à ce jour, l’IA est inappropriée pour un travail scientifique qui exige que le lecteur puisse vérifier la qualité des sources. Biblemat, l’IA qui se veut « chrétienne », fondée par S. K. Polepaka, n’y échappe pas.

Quelles autres applications imaginer pour l’évangélisation ? L’agent conversationnel « Text with Jésus », qui donne l’illusion de converser directement avec Jésus, Marie ou les disciples, est un outil contestable, d’un point de vue éthique et théologique. D’une part, il donne l’illusion de parler directement avec des morts, d’autre part, il présente Jésus comme un distributeur automatique de conseils, et éloigne de l’étude personnelle intelligente de la Bible. Les personnes intelligentes sauront aller à la source, en tout cas les chrétiens doivent les y accompagner !

Dans son article « ChatGPT pourrait-il faire des disciples ? », J. Waston, du Mouvement de Lausanne, souligne une autre difficulté de cette technologie nouvelle : en donnant l’illusion de relations interpersonnelles directes, l’IA déshumanise. L’activité de l’Église ne se résume pas à délivrer des enseignements : la communion fraternelle, les prières, la fraction du pain exigent la présence et le partage avec de vrais humains.

Pour nous, l’IA est davantage un « outil » qu’un « agent » conversationnel, comme en témoigne cette autre expérience faite par le pasteur méthodiste J. Cooper. En octobre dernier, il a demandé à l’IA d’organiser son culte, pour, dit-il : « amener une bouffée d’air moderne ». L’évaluation de son expérience tient en ces quatre mots : « en bref, c’était ennuyeux »[4]. Le manque de créativité peut donner le sentiment de production ennuyeuse même si tout est exprimé dans une langue quasi parfaite. En l’absence d’un prédicateur bien formé, pour quelqu’un qui ne serait pas en capacité de préparer un culte substantiel, structuré et dans une langue claire, encore vaut-il mieux, comme au XIXe siècle, lire un bon sermon d’un bon auteur, tiré d’un livre ou d’Internet !

3. Trois mots sur ce qui augmente l’IH.

L’éclairage de l’imagerie médicale

Les recherches menées grâce de développement de l’imagerie médicale ont permis de mettre en évidence la notion de plasticité du cerveau humain que la neurobiologiste C. Vidal définit comme la « capacité du cerveau à se façonner au gré de l’histoire vécue. Rien n’est jamais figé dans nos neurones, quels que soient les âges de la vie ».[1]

Cet exemple des jongleurs illustre ce dont il s’agit. En 2004, une recherche universitaire, menée en Allemagne, a montré que lorsqu’un groupe s’est entraîné intensivement à jongler pendant 3 mois, une expansion de la matière grise d’une zone du cerveau peut être mise en évidence par une IRM. Ensuite, après 3 mois d’arrêt de l’entraînement et de la pratique, l’expansion diminue. Cependant, elle épaissit de nouveau lorsque l’entraînement intensif reprend. Le même constat est fait auprès des chauffeurs de taxis londoniens dont l’examen professionnel est très exigeant, ainsi qu’auprès de musiciens.

L’entraînement permet de développer son cerveau, un peu comme les séances de musculation pour les biceps ! Le travail est un premier facteur d’augmentation naturel de l’IH !

Le psychiatre B. Cyrulnik, grâce à l’imagerie cérébrale utilisée auprès des orphelins en Roumanie, a de même constaté que la stimulation psycho-affective de l’enfant par l’adulte, est nécessaire à son développement cognitif, et c’est là un autre facteur d’augmentation de l’IH.

On se souvient que, sous la présidence de N. Ceaușescu (1918-1989), de nombreux enfants avaient été placés dans des orphelinats d’État où ils étaient nourris, vêtus, et tenus propres, mais sans qu’aucun adulte n’ait de temps à leur consacrer. Qualifiés de déficients mentaux, ces orphelins se balançaient d’avant en arrière sur leur lit et les scanners confirmaient une atrophie des deux lobes préfrontaux et des circuits limbiques. Cyrulnik affirme avoir refait passer un scanner à ceux de ces jeunes enfants qui avaient pu être placés dans des familles d’accueil à Toulon, et où ils avaient pu être entourés, cognitivement stimulés par des jeux, des comptines et des paroles qui leur étaient adressés. Il a constaté que les connexions, absentes des scanners initiaux, s’étaient faites. Les relations sociales, liées à l’attachement, participent donc au développement cognitif.

Les travaux de la pionnière du concept de résilience, la psychologue E. Werner (1929-2017), sont aussi éloquents. La résilience répond à cette question : Qu’est-ce qui permet de « rebondir » après un traumatisme ? En 1982, elle constate qu’une fois devenus adultes, 28 % des 545 enfants nés en 1955 au sein de familles socialement démunies et fragiles à Hawaï n’avaient pas été fracassés par leur contexte de vie. Elle relève que ces enfants avaient bénéficié d’un soutien familial solide, de chaleureux rapports parents-enfant ou de « tuteurs de résilience » comme des enseignants, des assistants sociaux ou des amis. Ils étaient intégrés à une Église ou un groupe d’YMCA.

Les relations sociales chaleureuses et saines sont un autre facteur important du développement cognitif.

À cela, il faut au moins ajouter le sommeil. En dormant, notre cerveau consolide les apprentissages du jour et permet d’oublier le trop-plein ! Lorsqu’une décision est difficile à prendre, la sagesse populaire ne dit-elle pas, que la nuit porte conseil ? La veille d’un examen, il faut DORMIR !

L’IA, en tant qu’outil pour alléger et rendre plus efficace le travail de l’homme, au même titre que les réseaux sociaux ou Internet, ne peut pas remplacer ces facteurs. Au contraire, une relation inadéquate à l’IA favorisera la déshumanisation, et atrophiera l’IH.

L’intelligence et les intelligences

Puisque l’IA cherche à imiter et reproduire l’IH pour augmenter ses performances, qu’est-ce que l’IH ?

La définition fonctionnelle d’A. Pouget est la plus minimaliste : « L’intelligence, ce sont toutes les fonctions contrôlées par le cerveau »[1]. Julia pointe la capacité créatrice de l’homme : « L’intelligence : capacité de casser les règles, d’innover, de s’intéresser à ce qui est différent, à ce que l’on ne connaît pas […] Ce qui est considéré aujourd’hui comme de l’intelligence peut ensuite être vu comme de la simple connaissance ».[2]

D’autres auteurs parlent de l’intelligence multiple[3]. Le principe, forgé par H. Gardner (1943-) en 1983 puis enrichi en 1993, et revu en 2016, est le plus complet. Il parle d’un spectre de huit habiletés, avec une demie supplémentaire (la 8,5e) : l’intelligence existentielle ou spirituelle qui affecte toutes les autres et les oriente, pour le meilleur ou pour le pire.

Les huit autres intelligences sont regroupées en quatre types : les intelligences scolaires comprennent les facultés linguistiques et logico-mathématiques ; les intelligences méthodologiques qui correspondent aux facultés kinesthésiques et visuo-spatiales ; les intelligences environnementales qu’il nomme : naturalistes et musicales ; les intelligences d’actions qui sont les intelligences interpersonnelles et intrapersonnelles.

0. Houdé parle de formes cognitives compatibles avec l’imagerie cérébrale, et loue Gardner d’avoir « eu le mérite d’introduire la notion très “biologiquement compatible’’ de diversité dans l’intelligence humaine »[4] et d’avoir incité à enseigner en prenant les différents sens en considération.

Alors que l’IA est adaptée à la maîtrise des connaissances déclaratives, c’est-à-dire l’exposé des faits, des dates, des lois… et des connaissances procédurales, en rédigeant, résumant ou traduisant automatiquement des textes, elle n’est pas adaptée à produire des savoirs conditionnels et conceptuels, faisant appel au discernement et à la créativité, le propre de ce que l’on attend d’une intelligence humaine, d’une prédication nourrissante et vivifiante. Notons que les termes attribués aux qualités de Daniel et ses compagnons témoignent d’aptitudes à plusieurs facettes qui leur permettaient de comprendre et d’interpréter mieux que les autres : « Dieu accorda…de la connaissance, de l’intelligence (ou discernement) dans tout ce qui concernait les lettres et de la sagesse » (Da 1.17).

La métaphore du cœur et les trois caractéristiques de l’IH

Mais qu’est ce qui caractérise l’IH ?

L’intelligence, dans la tradition sémitique, c’est le cœur, c’est elle qui oriente et impacte toute l’existence de l’homme, comme « l’intelligence n° 8,5 » chez Gardner. Le champ sémantique est plus étroit chez les grecs. C’est pourquoi, comme le relève H. Blocher dans Le cœur fait le théologien, en citant le résumé de la Loi en hébreu : « Tu aimeras l’Éternel, ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force » (Dt 6.5), le Nouveau Testament traduit en y ajoutant : « de toute ton intelligence » (Mt 22.37 ; Marc 12.29-30 ; Luc 10.26[1]). Alors que la performance de l’IH est déterminée par la grandeur et la bonne orientation du cœur de l’homme, la force de l’IA dépend de la performance des algorithmes créés et entraînés par les ingénieurs.

H. Blocher pose encore trois caractéristiques de l’IH :

  1. La faculté de rassembler les choses éparpillées pour sortir du chaos et comprendre.
  2. Notons que l’IA rapproche les étiquettes des données pour répondre à un « prompt » et non pour sortir d’un chaos, ni pour comprendre.

  3. Le tissage de liens entre des objets que l’on distingue et que l’on relie à la fois. Mais le travail de l’intelligence est aussi le travail du discernement.
  4. L’IA fusionne les données, sans discernement, selon le principe des probabilités.

  5. La sensibilité à la loi, qui s’impose pour maintenir le raisonnement vrai, des prémisses à la conclusion.
  6. L’IA applique servilement des algorithmes, sans raisonnement, ni recherche de vérité, ni finalités intrinsèques.

Ne soyons pas … sans intelligence

L’objet de l’IA, celui de chercher à reproduire l’IH, la meilleure qui soit, rappelle que l’homme est créé de façon remarquable, à l’image d’un Créateur encore plus exceptionnel. L’homme est le joyau de la création divine, comme le rapporte l’Écriture et en témoignent les prouesses —encore imparfaites— de l’IA, mais qui ne vont pas manquer de s’améliorer grâce au formidable travail des ingénieurs. Déployer ses capacités intellectuelles pour fabriquer des outils pratiques à utiliser, pour servir à dominer la création, afin d’y vivre plus confortablement en libérant l’homme de certains travaux fastidieux, répétitifs, et très pénibles, participe au mandat créationnel de l’homme.

Alors que l’intelligence biologique est augmentée et renforcée par le travail intellectuel comme par l’exercice physique, par l’attachement comme par les relations sociales, et qu’elle nécessite le sommeil pour être consolidée et purgée, elle est aussi soutenue, accélérée, amplifiée, par des outils tels que l’écriture, l’imprimerie, le téléphone, les mass-médias, l’ordinateur, l’Internet, et l’IA… pour peu que ces outils soient utilisés à bon escient. Et c’est là que le bât blesse.

En matière d’éducation, selon un raisonnement sophistique, si l’IA peut rétablir une certaine forme d’égalité sociale, en faisant par exemple à leur place les devoirs des enfants qui ne bénéficient pas de soutien parental dans ce domaine, cela détournera un plus grand nombre d’élèves du temps de travail personnel indispensable pour s’entraîner et faire travailler ses neurones, afin, comme les jongleurs, de développer sa matière grise. Mais interdire l’IA ne servirait à rien. C’est apprendre à l’utiliser avec intelligence qui sera utile. « Je t’instruirai et te montrerai la voie que tu dois suivre; je te conseillerai, j’aurai le regard sur toi. Ne soyez pas comme un cheval ou un mulet sans intelligence: on les freine avec un mors et une bride, dont on les orne, afin qu’ils ne te bousculent pas » (Ps 32.8-9) affirme le Dieu de la Bible.

Si l’intelligence y est synonyme de cœur, la prophétie : « Je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai en vous un esprit nouveau » (Ez 36.26), donne une première clé pour l’intelligence bien orientée. Le psalmiste nous en donne une deuxième en affirmant quelle est la source d’une raison saine : « La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse. La vraie intelligence est en tous ceux qui agissent selon cette crainte » (Ps 111.10). La troisième clé est celle formulée par l’apôtre Paul, qui enjoint les chrétiens de Rome à : « ne pas se conformer pas au siècle présent, mais à être transformés par le renouvellement de l’intelligence, afin qu’ils discernent quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait » (Rm 12.2). Les effets de l’œuvre de Jésus-Christ à la Croix s’appliquent jusqu’à donner à notre IH sa juste orientation, et devraient nous faire réfléchir aux bonnes pratiques des outils qui sont à notre disposition, l’IA comme les autres.

Comme le gouvernement avec le lancement de « MIA Seconde » au lycée, puissions-nous à l’IBN comme dans les Églises, contribuer à bien entraîner l’IH du peuple de Dieu, en s’appropriant et en développant les bons outils, mais sans oublier que ceux-ci ne se substitueront jamais à la nécessaire œuvre de l’Esprit dans les cœurs !

_________ Anne Ruolt

[1] Les micro-ordinateurs ne se développent qu’après 1980 en France, le Web, à partir de 1989, le concept de smartphone, en 2007.

[2] Henri, Blocher, « Les évangéliques et l’ordinateur », Le Bon Combat, no 10, octobre 1968, p. 5.

[3] Vernor, Vinge, « The coming technological singularity : How to survive in the post-human era », Whole Earth Review, no 10, 1993, p. 352‑363.

[4] Cédric, Villani, Donner un sens à l’intelligence artificielle pour une stratégie nationale européenne, Rapport demandé par le premier ministre, Edouard Philippe, Paris, République française, 8 mars 2018, p. 9.

[5] Platon, Phèdre, in œuvres complètes, IV, Paris, Les Belles lettres, 1933, p. 274e‑2275.

[6] Victor, Hugo, « Ceci tuera cela. », dans Notre Dame de Paris, Paris, Ollendorff (1904-1924), 1832, p. L. 5 ch 2).

[7] Gérard, Claisse, Frantz, Rowe, « Téléphone, communication et sociabilité: des pratiques résidentielles différenciées », Sociétés Contemporaines, vol. 14, no 1, 1993, p. 166‑167.

[8] Cité par Rémi, Noyon, « Voilà ce qu’est le téléphone : ça sonne et vous vous mettez à courir », L’Obs, 10 août 2015.

[9] Rédacteur : « États-Unis: L’intelligence artificielle à la place du pasteur était ‘’ennuyeuse’’ », Évangéliques point info, site evangeliques.info (20/10/2023)

[10] Catherine, Vidal, « La plasticité cérébrale : une révolution en neurobiologie », Spirale, vol. 63, no 3, 2012, p. 19.

[11] Alexandre, Pouget, Intelligence artificielle vs. intelligence humaine par Alexandre Pouget (14-20 mars 2022), Conférence, Genève, 17 mars 2022, sur Youtube.

[12] Luc, Julia, L’intelligence artificielle n’existe pas : Le cocréateur de Siri déconstruit le mythe de l’IA !, Paris, J’ai lu, 2020., p. 117.

[13] Robert Sternberg (1949-), distingue les intelligences : analytiques, créatives et pratiques ; Daniel Goleman (1946-) désigne par intelligences émotionnelles et sociales qui correspondent aux inter- et intra-personnelles de Gardner ; Robert Cooper (1947?) préfère parler des 3 cerveaux : un dans le crâne, un autre dans le cœur et le viscéral.

[14] Olivier, Houdé, L’intelligence, Paris, PUF, 2021, p. 9.

[15] Henri, Blocher, « Le cœur fait le théologien », Fac Réflexion, no HS, 1982, p. 2‑16.

Autres documents consultés :

Bertrand Jean-Marie, « Test de Turing : jeu d’imitation ou test d’intelligence ? », Quaderni, vol. 1, no 1, 1987, p. 35‑45

Bocquet, Pierre-Yve, « 8 expériences qui révèlent les mécanismes de l’apprentissage », Science et vie, no HS, 2017.

Dehaene Stanislas, « La consolidation des apprentissages et l’importance du sommeil, conférence, Collège de France », dans Collège de France, 27 août 2014, site institutionnel.

Gardner Howard, Les formes de l’intelligence, Paris, Odile Jacob, 2017-2022, 480 p.

Gardner Howard, Les intelligences multiples : la théorie qui bouleverse nos idées reçues, Nouvelle édition remaniée, Paris, Retz, « Petit forum », 2008

LeCun Yann, L’apprentissage profond : une révolution en intelligence artificielle, conférence, Paris, 2016, sur Youtube

MacCarty, John, Minsky, Marvin, Rochester, Nathaniel, et al., Aproposal for the Dartmouth Summer Research Project on artificial intelligence, Dartmouth college, 31 août 1955, p. 13.

Munier Brigitte, Robots : le mythe du golem et la peur des machines, Paris, Éditions de la Différence, « Les essais », 73, 2011

Neher André, Faust et le Maharal de Prague : le mythe et le réel, Paris, Presses universitaires de France, « Questions », 11, 1987

Pickover Clifford A., La fabuleuse histoire de l’intelligence artificielle, Dunod, 2021,

Pouget Alexandre “Neurosciences et intelligence artificielle : liens et incidences sur les enjeux sociétaux” conférence, Genève, 23 mars 2023., sur vimeo.com

Spire Antoine, La résilience : entretien avec Boris Cyrulnik / Nicolas Martin, Antoine Spire & François Vincent, Bord de l’eau (le). [Lormont], « Nouveaux classiques », 2009, vidéo sur mediatheque.merignac.

Turing Alan M., « I.—Computing machinery and intelligence », Mind, vol. LIX, no 236, Octobre 1950, p. 433‑460 

Werner Emmy E. et Smith Ruth S., Vulnerable, but invincible: a longitudinal study of resilient children and youth, New York, McGraw-Hill, 1982

Werner Emmy, « Resilience and recovery findiings from the kauai longitudinal study », Research, Policy, and practice in children’s mental health, vol. 19, no 1, T 2005, p. 11‑14

Woollett K Maguire E.A. et Spiers H.J., « London taxi drivers and bus drivers: a structural MRI and neuropsychological analysis. », Hippocampus, vol. 16, no 12, 2006, p. 1091‑1101.

Zuk Jennifer Benjamin Christopher Kenyon Arnold et al., « Behavioral and Neural Correlates of Executive Functioning in Musicians and Non-Musicians », PLOS ONE, vol. 9, no 6, Juin 2014.

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Sur « L’amour de Dieu »

SUR « L’AMOUR DE DIEU »

Car je prends plaisir à l’amour…

Car je prends plaisir à l’amour bien plus qu’aux sacrifices,

à la connaissance de Dieu bien plus qu’aux holocaustes.

Osée 6.6

Ce verset de l’Ancien Testament orne la salle de culte de l’IBN. C’est un emplacement bien choisi pour ce texte. En effet, par le prophète, Dieu donne ici une réponse à la pratique cultuelle d’Israël en cette période de la fin du Royaume du Nord.

Alors que le peuple semble vouloir rendre à Dieu un honneur particulier, rempli de piété, avec des rites bien accomplis, dans le bon ordre, sous la bonne forme… le Seigneur ne se laisse pas duper. Il sait que le peuple ne se repend pas réellement de ses péchés.

La louange apportée sonne faux. La repentance vécue n’est que de façade, et le retour à Dieu plein de pensées déshonorantes. Le peuple se tourne vers Dieu pour lui rendre un culte, mais les injustices dans le pays sont nombreuses, l’idolâtrie partout présente, et la piété est plus superstitieuse que réelle.

Par la voix du prophète Osée, l’interpellation de Dieu est donc très forte.

Car je prends plaisir à l’amour bien plus qu’aux sacrifices,

à la connaissance de Dieu bien plus qu’aux holocaustes.

Ce n’est pas que les prophètes méprisaient le culte rituel, avec des éléments liturgiques, mais puisque la démarche du peuple est superficielle, le Seigneur n’en tient pas compte et ses prophètes ne peuvent qu’annoncer un message de jugement, et confirmer la venue du châtiment qu’Israël essaie d’éviter.

Dieu merci nous ne sommes pas comme eux… Quoi que…

Ces choses ont été écrites pour nous enseigner. Et l’on ne peut pas passer vite.

Le « circulez, il n’y a rien à voir ne s’applique pas pour le chrétien qui cherche à discerner la voix de Dieu dans sa Parole ». Il y a bien des activités, bien des projets, bien de l’énergie dépensée pour « la gloire de Dieu » qui ne sont pas motivés par l’amour.

L’apôtre Paul dans la fameuse tirade sur l’amour (1 Cor 13), met en garde contre le même phénomène d’activité religieuse, pieuse, mais vide d’amour pour Dieu.

Bien des motivations peuvent nous pousser à l’action.

L’orgueil, la volonté de prouver quelque chose à quelqu’un, ou à soi-même, voire même à Dieu. Des complexes, des peurs, la confusion entre l’être et le faire, la tradition, l’habitude, la culpabilité, et plein d’autres choses peuvent être à la source d’un service ou d’une activité dite pour Dieu.

Car je prends plaisir à l’amour bien plus qu’aux sacrifices,

à la connaissance de Dieu bien plus qu’aux holocaustes.

Comme l’explicite F. Godet :

l’amour est mis ici en parallèle avec le sacrifice, parce qu’il est lui-même le vrai sacrifice, celui de nous-mêmes, et que, sans ce sacrifice, le culte extérieur est pour Dieu comme une offrande sans parfum. [De même] la connaissance de Dieu résulte de la révélation de son amour et de sa sainteté ; cette révélation reçue dans le cœur allume en nous l’amour et fait de notre vie le vrai holocauste[1].

Dans un article récent de la revue Hokhma, après une étude de tout le vocabulaire consacré à l’adoration dans l’Ancien Testament, Elisabeth Schulz conclut :

L’adoration entraîne un style de vie d’adoration. Ce que Dieu attend d’un cœur de serviteur, c’est être bon, juste et droit. Celui qui adore Dieu, porte ou cherche à porter les fruits de l’amour [2] […]  Sans amour conscient, l’adoration n’est rien[3] ».

Car je prends plaisir à l’amour bien plus qu’aux sacrifices,

à la connaissance de Dieu bien plus qu’aux holocaustes.

Osée fait ici écho à la prédication d’Amos (5.22-24), avec une différence d’accent : là où Amos réclame la justice sociale, Osée demande la Hesed (l’amour, la bonté , la bienveillance), mot par lequel il caractérise la manière d’être et de vivre envers le Seigneur et le prochain.

Il s’agit aussi de développer la connaissance du Seigneur, non pas superficielle, mais une connaissance au fond du cœur qui oriente tout le comportement. Le Seigneur considère d’abord les motivations. Parce que la motivation profonde évoquée ici fait défaut, les œuvres du peuple et ses actes de piété sont inutiles et vains.

En toute logique, après avoir été délivré avec une si grande puissance de l’oppression égyptienne, amené en lieu sûr dans le pays où coulait le lait et miel, profitant de la présence de Dieu au milieu du peuple dans le tabernacle puis dans le temple, Israël aurait dû être une nation sainte, un peuple de sacrificateurs… Et encouragé par les prophètes, leur vie en tant que nation aurait dû être le reflet de la gloire et de l’amour de Dieu. Israël était destinée à être la maison témoin de Dieu sur terre… Mais à l’époque, « Israël fabriquait ses propres images (les idoles), fausses ; le peuple se conformait spirituellement à ces images, sans se rendre compte que la seule véritable image était l’image de Dieu, qu’ils auraient dû refléter sur la terre[4] ».

Le prophète annonce donc la déportation, terrible. Et il faudra attendre Jésus-Christ, qui va reconstituer Israël au travers de 12 disciples, et qui va obéir en tous points à la volonté du Père, pour que le projet de Dieu puisse exister, qu’une nation sainte soit visible de tous. Mais cette fois, le peuple de Dieu dépasse le cadre d’Israël, tout le livre des Actes montre comment la communauté de Jésus, l’Église va intégrer des hommes et des femmes de toutes les nations pour faire partie d’un peuple d’adorateurs, de rois prêtres, qui honorent Dieu en étant rassemblés en communautés ou dispersés dans leur quotidien.

Chacun, chacune, et tous ensemble, les chrétiens sont appelés à être porteurs de l’image du Dieu trinitaire, du Dieu d’amour, partout, en tous lieu et en toute circonstance. C’est à ceci que tout connaîtront les disciples de Jésus.

Au travail, jour, après, jour, à la maison, dans les familles, dans le voisinage, dans le métro ou sur la route, qu’il soit rassemblé avec d’autres, ou seule lumière dans l’obscurité, le chrétien est un adorateur et un aimant. Un aimant qui aime, un aimant qui peut attirer vers Dieu. Mais il arrive parfois que le chrétien glisse aussi vers une mauvaise adoration.

Car je prends plaisir à l’amour bien plus qu’aux sacrifices,

à la connaissance de Dieu bien plus qu’aux holocaustes.

Poussé par le Saint Esprit, le prophète Amos a mis par écrit ces paroles pour nous servir d’enseignement. Et ce même Esprit peut nous interpeller et nous mettre en garde contre les idoles de notre temps. « une idole, fondamentalement, est tout ce qui peut prendre la place de Dieu dans le culte. Que ce soit une image de pierre, de l’argent, ou quoi que ce soit d’autre[5] » le Seigneur Jésus, lui-même a cité ce texte deux fois, « dans chaque cas, il a réprimandé des religieux de son temps, les Pharisiens, il les a interpellé sur leur manque d’amour et leur mauvaise compréhension de qui est Dieu.

Que durant cette année 2024, nous puissions grandir à la fois dans notre compréhension de qui est Dieu, dans notre confiance en lui, mais aussi dans l’amour que nous avons pour lui et pour les autres.

Matthieu Gangloff

 

[1] Godet, F. (1981). Les notes de la Bible annotée (A.T. 9) Les douze petits prophètes (p. 26). St Légier: Éditions Emmaüs.

[2] Schulz Elisabeth, « L’adoration éclairée par l’Ancien Testament », dans Hokhma n°124, 2023, p.39

[3] Schulz Elisabeth, « L’adoration éclairée par l’Ancien Testament », dans Hokhma n°124, 2023, p.43

[4] Gregory Beale, On ressemble à ce qu’on adore, Excelsis, page 306

[5] Gregory Beale, On ressemble à ce qu’on adore, Excelsis, page 183

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