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Henri Blocher sur : «La liberté chrétienne»

Liberté chrétienne Henri Blocher

La liberté chrétienne

Transcription[1] d’un exposé donné par le professeur Henri Blocher dans le cadre du cours sur la doctrine du salut à l’IBN en décembre 2023 et introduit par la lecture d’1 Corinthiens 10.23-30 (« Tout est permis, mais tout n’est pas utile ; tout est permis, mais tout n’est pas constructif… »[2].

Avant de tenter de traiter le sujet de la liberté chrétienne, il convient de bien le délimiter. Car nous ne pourrons pas aborder le sujet de la liberté dans toute son ampleur. Ainsi je n’essaierai pas de définir ce qu’est la liberté en général ni d’examiner son rapport avec la souveraineté divine. A contrario, je vais toucher à des questions que d’autres logeraient ailleurs que sous ce thème dans l’usage le plus courant de la formule, et ce pour deux raisons liées entre elles :

  • d’une part, parce qu’il s’agit chaque fois de libertés spécifiques dont jouit le chrétien. Alors, même si ce n’est pas ce que l’on appelle assez couramment « liberté chrétienne », il est quand même bon d’en parler ici ;
  • d’autre part, parce qu’il me semble que l’on peut discerner un lien avec le sujet plus étroitement compris, et que je vais plutôt traiter dans la troisième section de mon exposé.

Parlons donc d’abord de la liberté à l’égard du régime de la loi, ensuite de la liberté à l’égard de l’emprise du péché, puis en troisième lieu de la liberté à l’égard des prescriptions mosaïques externes. Enfin, j’évoquerai la liberté en ce qui concerne les œuvres surérogatoires. Ce dernier point n’est pas abordé normalement, lorsque l’on traite le sujet, mais j’ose l’ajouter.

La liberté à l’égard de la loi

La liberté spécifique du chrétien est la liberté à l’égard du régime de la loi. Nous ne sommes plus sous la loi, mais sous la grâce, d’après Romains 6.14-15 et bien d’autres passages. En Galates 3.23, Paul écrit que nous étions prisonniers de la loi : le fait de ne plus être sous la loi correspond donc bien à une libération, d’où une liberté. Le comment de cette libération nous est exposé tout spécialement en Galates 3 et en Romains 3, à la fin du chapitre. Nous sommes libérés de la condamnation et de la malédiction de la loi que nous encourions à cause de notre transgression de cette loi.
Nous sommes gratuitement justifiés, c’est-à-dire acquittés au tribunal de Dieu. Nous sommes libérés du régime que l’on pourrait appeler le régime logique de la justification, et qui correspond à la responsabilité : répondre de ses actes et être justifié – déclaré juste – si l’on a bien obéi (si l’on a eu un comportement effectivement juste), condamné si cela n’a pas été le cas. Or, nous sommes libérés de ce régime sous lequel il n’y a pour nous que condamnation. Ce n’est plus par le moyen de l’obéissance à la loi, mais sur une autre base, que nous parvenons à l’agrément par Dieu et que nous accédons à sa présence ; ce qui équivaut à notre acquittement à son tribunal.

Pour bien saisir ce qui appartient à cette liberté, il faut ajouter une précision qui n’est pas aussi consensuelle que la précédente parmi les chrétiens évangéliques, et plus largement parmi les héritiers de la Réforme. Contre l’antinomisme (opposition à la loi, de nomos,),  j’affirme, comme thèse biblique, que l’obligation demeure d’obéir au commandement de Dieu : la loi, comme guide de la conduite impliquant l’obligation morale, persiste. Les antinomiens disent le contraire. Dans les années 1530 est née une controverse antinomienne : certains disciples de Luther, égarés par ses formules trop fracassantes, hyperboliques, dénonçaient carrément la loi comme diabolique. Ils se sont alors laissé aller à l’antinomisme, en particulier Agricola. Luther a réagi très fort sur ce point, sans céder à l’antinomisme que ses formules avaient semblé encourager. Mais la tentation antinomienne a subsisté à travers les siècles : il y a pratiquement toujours eu une frange du christianisme évangélique assez vulnérable à cette position.

Pour bien fonder cette thèse, il me faut dire un mot sur la formule « Tout est permis » lue au début de cet exposé. Isolée, elle paraît tout à fait antinomienne : il semble que la position d’Agricola soit conforme à la position biblique. Il faut apporter une double réponse sur ce point précis.

Premièrement, chaque formule biblique doit être prise dans le contexte global de l’Écriture entière. Or il est très clair dans de nombreux passages que, pour Paul, les commandements de Dieu continuent d’avoir force obligatoire pour la conduite des chrétiens. Par exemple, la citation par Paul du cinquième commandement afin de demander aux enfants d’obéir aux parents (Ep 6.1-3) montre que Paul n’a aucun doute à ce sujet : il cite les commandements comme tels, sans hésitation. Comment alors expliquer ce « Tout est permis » ?

En ce qui concerne le contexte immédiat de la formule « Tout est permis », je dois beaucoup au théologien Jean-Jacques von Allmen, malgré ses tendances catholicisantes. Professeur à la faculté de théologie de Neuchâtel, il a très bien analysé la manière dont Paul s’y prend dans la première épître aux Corinthiens. En particulier, dans son cahier sur 1 Corinthiens 7, il montre que Paul procède de la manière suivante, selon une technique pédagogique : « oui… mais »[3]. Paul reprend des formules et tendances qu’il juge néfastes, mises en avant à Corinthe ; sans doute des choses que lui-même a dites, mais qui sont mal interprétées. Puis il écrit : « oui… mais ». «Tout est permis… mais ». Il ne va pas d’emblée jusqu’à la confrontation brutale, à l’affrontement. Il reprend la formule, d’autant qu’il l’a sans doute employée, en expliquant comment il faut la prendre et en redressant les perspectives. Ainsi, ne nous laissons pas, nous aussi, égarer par une telle formule isolée de son contexte.

Une seconde considération me semble devoir jouer contre l’antinomisme. D’après mes observations, la position antinomienne est très souvent associée à une idée de la conduite de l’Esprit apparentée à une sorte d’instinct. L’Esprit nous conduirait comme par une force qui nous porterait à accomplir la volonté de Dieu, sans réflexion particulière, juste par pulsion. Ce n’est pas ainsi que l’Esprit nous conduit : c’est sur le plan de l’intelligence et de la volonté, non de l’instinct. Cet idéal, qui en un sens est un idéal paresseux (une conduite de l’Esprit où l’on se laisse entraîner comme par l’instinct d’accomplir la volonté divine), n’est pas la conception biblique de l’Esprit. Il n’y a pas dans le Nouveau Testament de privilège accordé à la spontanéité. Or nous trouvons, me semble-t-il, parmi les chrétiens, assez facilement et surtout depuis le romantisme, l’idée que ce qui est spontané est plus vrai. Ce n’est pas forcément le cas : ce qui est réfléchi et qui demande un travail sur soi peut correspondre à la vérité de la personne beaucoup mieux que son premier mouvement, qui n’est pas toujours le bon. En scrutant les textes, nous ne voyons nulle part que la spontanéité serait présentée comme une valeur. Cette conception s’associe à l’idée que l’Esprit nous pousserait simplement comme cela, par impulsion. Si ce n’est pas le cas, cela laisse une place à la considération des commandements et aux efforts. L’injonction « Efforcez-vous » apparaît assez souvent dans le Nouveau Testament : elle nous encourage à efforcer notre intelligence à la considération des commandements et à une certaine discipline pour y obéir, et cela parce que les commandements ont toujours force de direction sur notre vie. Voilà ce que je répondrais à la tendance antinomienne, ce qui nous permet de mesurer quelle est la liberté qui nous est accordée à l’égard de la loi.

La liberté à l’égard du péché

Une deuxième grande liberté fondamentale est la liberté à l’égard de l’emprise du péché. C’est le grand sujet de Romains 6 et chapitres suivants. Les chapitres 3 et 4 de Romains, essentiellement, nous présentent la liberté à l’égard de la condamnation par la loi ; le chapitre 5 est un chapitre de transition, de pivot. A partir du chapitre 6, il me semble que la démonstration de l’apôtre Paul est la suivante : même pour la lutte concrète contre le péché dans notre vie, ce n’est pas le régime de la loi qui nous permet d’être victorieux, mais le régime de la grâce qui permet à l’Esprit d’agir en nous. Pas d’une manière qui élimine tout péché dans cette vie (pas de perfectionnisme), mais dans la mesure où le péché ne règne plus : il n’a plus l’emprise qu’il avait avant que nous soyons en Christ. Voilà son message, qui correspond à une liberté.

Il y a toutefois conscience de paradoxes dans cette situation sous la plume de l’apôtre Paul (ou de son secrétaire, puisqu’il dicte généralement ses lettres). Cette libération par rapport au péché est une obéissance, un esclavage de Christ. Il précise à la fin du chapitre 6 : « Je parle de manière humaine » (Rm 6.19). « De manière humaine » signifie que cela paraît un esclavage, mais qu’il s’agit de la vraie liberté. L’apôtre montre très clairement ici que le langage a quelque chose de paradoxal : reconnaître Jésus comme son Seigneur, se dire « esclave » (ce qu’il fait dans l’intitulé de beaucoup de ses lettres, le mot doulos signifiant à la fois serviteur et esclave), c’est la vraie liberté. C’est le premier paradoxe.

Le deuxième paradoxe me semble être développé au début du chapitre 8. Le chapitre 7, comme je le comprends (tous ne le comprennent pas de cette façon), montre que la loi seule ne peut pas nous délivrer de l’emprise du péché, qu’elle ne peut que nous mener au désespoir. Oui, la loi a toute son efficacité comme loi : elle nous convainc que c’est le bien qu’il faudrait faire. Mais en fait, il y a une autre loi qui est dans notre chair, dans nos membres dit Paul : celle-ci fait que nous ne faisons pas le bien que nous voudrions, bien que nous soyons saisis en conscience par la loi, car nous faisons le mal que nous ne voudrions pas. D’où le désespoir : « Misérable que je suis ! Qui me délivrera ? » (Rm 7.4). Au chapitre 8, dans les premiers versets, il montre le paradoxe : c’est quand nous ne sommes plus sous la loi que nous pouvons réellement accomplir la juste exigence de la loi. Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à celle du péché (Rm 8.3) ; par Lui, nous obtenons une justice gratuite qui nous permet d’échapper au régime de la loi. Nous pouvons désormais, nous qui ne sommes plus sous la loi (ce qui est équivalent à être dans la chair, dans le régime de la chair), mais qui sommes maintenant dans l’Esprit, accomplir la juste exigence de la loi : en effet, grâce à la justification, nous recevons l’Esprit. Nous obéissons vraiment à la loi, alors que nous ne sommes plus sous la loi, et que ceux qui sont sous la loi n’y arrivent pas : d’où le paradoxe. Je crois que Paul est très sensible à ce paradoxe, qu’il fait ressortir dans ces versets.

Comme nous l’avons déjà dit en introduction de cette deuxième section, nous n’atteignons pas la perfection au cours de ce pèlerinage terrestre, et c’est un mystère vraiment opaque. C’est notre faute, nous sommes sans excuses, parce que nous avons l’Esprit. Et en même temps, nous devons savoir que si nous nous prétendons sans péché, nous nous abusons nous-mêmes : c’est aussi très clair dans le passage d’1 Jean 1.8. J’ajouterais un aspect plus pastoral, qui n’est pas dans le texte du Nouveau Testament : je pense que Dieu se sert de certaines chutes qui sont sans excuses, mais qu’Il permet dans notre vie, pour nous préserver de péchés encore plus graves. Certaines chutes qu’Il permet nous humilient, et nous permettent d’échapper à un orgueil spirituel qui est encore bien plus horrible. Je pense que Dieu, dans sa pédagogie, use parfois de cette façon de faire ; mais je ne prétends pas la rationaliser, ce que nous ne pouvons nous permettre.

La liberté quant aux dispositions extérieures de la loi de Moïse

La troisième liberté, à l’égard des prescriptions mosaïques externes, est attestée clairement dans le Nouveau Testament, surtout chez Paul mais aussi dans l’épître aux Hébreux. Le récit des Actes peut s’avérer un peu trompeur, si l’on ne se rend pas compte qu’il se déroule dans une période de transition entre les deux dispensations ou économies : l’ancien et le nouveau régime. C’est pourquoi le livre des Actes peut donner l’impression qu’il contient des pratiques exclues par les épîtres de l’apôtre Paul.

Un certain nombre de dispositions de l’Ancien Testament étaient des ombres annonciatrices de la réalité, le corps qui est maintenant venu en Christ pour nous, dit Paul. Cette image de l’ombre et du corps apparaît en Colossiens 2.16ss et en Hébreux 10.1. L’ancienne dispensation possédait des ombres de réalités qui sont maintenant advenues. Je pense que nous pouvons imaginer la scène de la manière suivante : nous sommes placés dans une rue, à proximité d’un croisement. Une personne s’approche du carrefour par une autre voie : elle nous est dissimulée par le bâtiment de l’angle, mais son ombre la précède. L’ombre est déjà marquée au-delà du carrefour, alors que la personne elle-même n’est pas visible. Les réalités de l’Ancien Testament dont il est question sont ces ombres qui, tout naturellement, se dissipent quand la personne apparaît avec tout ce qu’elle apporte : cette personne est le Christ.

La loi de Moïse construit un certain nombre d’« ombres » annonciatrices, aujourd’hui dissipées, caduques. Je pense que c’est cette réalité qui est en cause dans l’expression un peu contournée, pas très claire en elle-même, en tout cas pour moi, d’Éphésiens 2:15 : « ayant anéanti par sa chair la loi des ordonnances dans ses prescriptions »[4]. Pourquoi cette expression contournée ? Je crois que Paul veut ici exprimer la réalité que j’essaie de décrire en parlant de prescriptions mosaïques externes. Ce n’est pas toute la loi, la loi dans ses grands principes et ses dispositions fondamentales, qui est ici en cause, mais un ensemble d’ordonnances particulières et de prescriptions. La traduction littérale du grec parle de « la loi des commandements én dogmasin », c’est-à-dire « en dogmes ». Mais le mot dogme n’a pas le sens qu’il a pris par la suite dans l’histoire chrétienne, c’est-à-dire une disposition édictée par l’autorité ecclésiale. Dans l’expression d’Éphésiens 2.15, il semble que la nuance apportée à « ordonnances » par « én dogmasin » corresponde aux ordonnances dites « charnelles » dans l’épître aux Hébreux (par exemple en Hébreux 9.10 ou 7.16). Ainsi, Éphésiens 2:15 me semble indiquer que c’est par le déchirement de la chair de Christ que cette loi des ordonnances et des prescriptions est abolie. En quelque sorte, Jésus-Christ a pris ces dispositions de type charnel – au sens d’externe – dans Sa propre chair, et par Sa crucifixion Il a aboli cette loi des ordonnances et prescriptions externes. C’est peut-être aussi le sens de l’expression « voile de sa chair » dans l’épître aux Hébreux qui parle du libre accès que nous avons à travers le voile, qui est sa chair (Hé 10.20). Il y a en Éphésiens 2.15 une association privilégiée entre le mot « chair », qui a plusieurs sens dans le Nouveau Testament, et peut avoir une connotation la rapportant au domaine externe, et tout le dehors de l’existence humaine. Il semble donc qu’il puisse y avoir un lien particulier expliquant cette mention de la chair du Christ qui, déchirée par la croix, abolit la loi des dispositions externes. Voilà la lecture que je vous propose, au moins comme une lecture envisageable de ces versets en Éphésiens 2 et dans l’épître aux Hébreux.

Dans l’Église primitive, les points les plus sensibles ont été la circoncision et les règles alimentaires, ce que l’on appelle dans le judaïsme, aujourd’hui encore, la kashrout (les règles alimentaires de la loi mosaïque). C’est sur ces deux points que l’on s’est beaucoup battu au sein de l’Église apostolique. Pour la circoncision, c’est tout spécialement Paul qui a été le grand lutteur. Pour les obligations alimentaires, il est également intervenu (le sujet est d’ailleurs proche dans le passage de 1 Corinthiens qui figure en introduction de cet exposé), mais il y a aussi eu la vision accordée à Pierre en Actes 10. « Ce que Dieu a déclaré pur, ne le regarde pas comme souillé. »[5] (Ac 10.15) : c’est l’abolition des dispositions de l’Ancien Testament sur les nourritures pures et impures. Ces deux grandes questions qui étaient débattues le sont très peu, me semble-t-il, dans notre christianisme évangélique. Elles ont repris de l’actualité avec certains courants du judaïsme messianique (le judaïsme des Juifs croyant en Jésus, appelé par son nom hébreu Yeshoua) : certains courants sont en effet judaïsants et un peu inquiétants, d’autres ne le sont pas. Mais dans notre tradition, je pense que, mise à part la question du boudin (relativement aux questions mentionnées en Actes 15, cf. Actes 15.20, 29), il n’y a guère de débat.

En revanche, pour les chrétiens évangéliques, la question du sabbat a suscité des débats avec, sinon une opposition, en tout cas un écart assez net à l’origine entre les réformés de Grande-Bretagne et ceux du continent. La tradition puritaine anglo-saxonne a fait du sabbat une règle qui continue de s’appliquer aux chrétiens. Au temps de mes études à Londres – je crois que c’est moins fort aujourd’hui – j’ai entendu des affirmations très fortes en ce sens. La Tyndale House de Cambridge avait par exemple une interdiction quant aux jeux le dimanche. D’une manière qui est très faible au plan de l’argumentation, cette loi du sabbat est affirmée comme toujours valide car antérieure à Moïse. Elle est considérée comme transférée du septième au premier jour de la semaine : c’est le dimanche qui a été traité comme sabbat.

Le christianisme réformé européen, en dehors de la Grande-Bretagne, a eu une attitude beaucoup plus lucide à mes yeux : précisément, le sabbat y fait partie de ces ombres qui sont maintenant dissipées, comme cela est dit spécifiquement en Colossiens 2:16-17. Il fait partie de ces choses périmées maintenant pour le chrétien. Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas bon d’avoir un traitement spécial du dimanche dans sa semaine, mais ce n’est pas la loi du sabbat. Cela demeure un sujet de controverse avec les adventistes du septième jour, qui refusent le transfert au premier jour. Sur ce point, ils sont les héritiers des baptistes du septième jour, issus du puritanisme du XVIIe siècle : ils maintiennent l’obligation du sabbat.

Les formulations que nous trouvons dans quelques passages du Nouveau Testament nous montrent que ce qui est vrai pour le sabbat, la circoncision et les règles alimentaires peut être étendu à tout ce qui a un rapport avec la dimension typologique de l’Ancien Testament. Toute l’économie de l’Ancien Testament est faite de types, ce que 1 Corinthiens 10 dit expressément : cette institution de types des réalités de la nouvelle alliance devient, tout à fait normalement, caduque lorsque la nouvelle alliance entre pleinement en vigueur.

La reconnaissance de cette dimension typologique de la loi nous conduit à un autre sujet théologique un peu sensible, car elle concerne aussi la théocratie d’Israël, le statut national de peuple de Dieu. Si nous voyons Israël, en tant que nation avec un gouvernement, une armée, etc., comme un type de l’Israël de la nouvelle alliance, l’Israël spirituel qu’est l’Église dans un sens transposé, cela a des conséquences pour la doctrine politique qui va être reçue parmi les chrétiens évangéliques. Sur ce point, il existe une divergence plus ou moins accusée entre le christianisme évangélique de type pédobaptiste et le christianisme évangélique de type baptiste (non pas au sens de l’étiquette dénominationnelle, mais de la tendance correspondante). La divergence, que je dirais minimale, concerne précisément le baptême des petits enfants et leur appartenance à l’Église visible. Avec les réformés évangéliques qui nous sont les plus proches (je parle en tant que baptiste), la différence essentielle est que les pédobaptistes estiment que, comme dans l’Ancien Testament, les petits enfants des croyants sont membres de l’Église visible, qu’ils soient élus ou non, régénérés ou non. C’est sur cette base que le baptême leur est conféré. La position de type baptiste refuse le baptême des enfants, considérant qu’il faut passer à l’introduction par la naissance selon la chair, dans l’Ancien Testament, à l’introduction par la nouvelle naissance dans le peuple de Dieu, l’Israël de Dieu. Cet écart que l’on peut discerner n’empêche pas une grande collaboration entre ces deux tendances du christianisme évangélique.

L’écart devient bien plus large avec le mouvement dit théonomiste, qui a compté des représentants de grande valeur, dont le théologien Greg Bahnsen (mort prématurément, il est l’auteur du volume définissant la position théonomiste[6]) et le pasteur Pierre Courthial. J’ai collaboré avec ce dernier de manière heureuse pendant bien des années à la rédaction de la revue Ichthus ; dans ses dernières années, je l’ai regretté, il a été entraîné dans la même direction, avec toutefois des distinctions et plus de modération. Le mouvement théonomiste a suscité une vive réaction parmi d’autres réformés pédobaptistes : les professeurs de la faculté de Westminster à Philadelphie, par exemple, se sont opposés à cette tendance. Celle-ci affirme qu’il faudrait rétablir un régime tout à fait voisin de celui d’Israël comme régime politique dans nos pays, et que cela se fera en tout cas dans le millénium, qui est envisagé comme un millénium post-millénariste. Avec toutefois la nuance qu’il ne faudrait peut-être pas exactement appliquer les mêmes peines pour l’adultère ou d’autres situations similaires. Mais foncièrement, dans la logique théonomiste, la loi de l’Ancien Testament, en tant que loi de Dieu, devrait s’appliquer et s’appliquera un jour. Je crois que ce mouvement ignore la transposition de l’économie des types charnels de l’Ancien Testament aux réalités spirituelles, qu’ils étaient là pour annoncer. Ainsi, nous pouvons constater que ces débats ont des incidences que nous n’apercevons peut-être pas d’emblée.

Cette liberté à l’égard des prescriptions externes peut être étendue davantage, au-delà de ce qui se rapporte à l’économie des types dans l’Ancien Testament. La logique de Romains 14.17 et d’Hébreux 9.10 autorise à mon avis à aller plus loin, car il ne s’agit pas seulement du caractère typologique, mais de la nature même des prescriptions. Ce n’est pas un aliment qui nous rapproche de Dieu, comme le dit Paul dans la première épître aux Corinthiens (1 Co 8.8) ; le royaume de Dieu n’est pas affaire de manger et de boire (Rm 14.17). Ainsi, ces dispositions ne pouvaient être que provisoires par rapport au royaume de Dieu qui maintenant advient. Hébreux 9.10 dit à peu près la même chose à propos d’ablutions concernant la chair, et autres prescriptions : ces choses étaient là jusqu’à un temps de réforme. C’est donc la nature même de ces prescriptions, comme étant du domaine de la chair, au sens de la dimension externe de l’existence humaine, qui est en cause.

Je crois pouvoir en tirer que la liberté chrétienne à l’égard de ces prescriptions joue pour toutes dispositions externes, y compris politiques, qui seraient imposées comme loi de Dieu. Historiquement, face à une application d’importance majeure, précisément, de telles lois ont été imposées au nom de Dieu dans le domaine externe (l’alimentation, la politique, etc.). Cela a été la politique de l’Église catholique romaine pendant des siècles. La Réformation a justement remis en cause cette prétention du magistère romain, d’imposer des règles dans ces domaines comme loi de Dieu. Cela peut être nécessaire pour des raisons utilitaires, à certains moments, mais pas comme loi de Dieu, avec l’autorité divine, ce que le pape a prétendu faire. Le chrétien peut rejeter cette prétention : la liberté chrétienne lui appartient à cet égard. Après avoir souligné que nous étions fondés à rejeter l’autorité du pape en ces matières, je suis obligé de dire qu’il y a dans nos Églises évangéliques un certain nombre de petits papes : cela arrive chez nous aussi.

J’en resterai là à propos de cette forme de liberté, qui à mon avis est la forme fondamentale de ce que l’on appelle la liberté chrétienne.

La liberté en ce qui concerne les œuvres surérogatoires

J’ose ajouter une dernière liberté en utilisant une expression qui sonne très mal aux oreilles protestantes : la liberté d’œuvres surérogatoires, c’est-à-dire en plus de ce qui est exigé. Les Réformateurs ont violemment combattu cette idée qui est très présente dans la morale catholique. Bien sûr, je suis entièrement dans leur ligne pour affirmer que, s’il y a des œuvres surérogatoires, elles sont sans aucun mérite (au sens qu’elles nous donneraient un titre de quelque sorte que ce soit devant Dieu, pour exiger ou mériter quoi que ce soit au sens fort). Toutefois, en 1 Corinthiens 9.15-18, Paul, parlant de la rémunération des serviteurs de Dieu, écrit :

Quant à moi, je n’ai usé d’aucun de ces droits, et je n’ai pas écrit cela pour qu’ils me soient attribués : j’aimerais mieux mourir… ! Personne ne réduira à néant mon motif de fierté. En effet, annoncer la bonne nouvelle n’est pas pour moi un motif de fierté, car la nécessité m’en est imposée ; quel malheur pour moi, en effet, si je n’annonçais pas la bonne nouvelle ! Si je le faisais de mon propre gré, j’aurais un salaire ; mais si je le fais malgré moi, c’est une intendance qui m’est confiée. Quel est donc mon salaire ? C’est d’offrir gratuitement la bonne nouvelle que j’annonce, sans user réellement du droit que cette bonne nouvelle me donne.

Paul affirme ici sa liberté d’ajouter à ce qui lui est imposé (« nécessité m’en est imposée ») le renoncement à un salaire. Paradoxalement, il emploie le mot salaire pour la joie qu’il a à subvenir à ses propres besoins, sans recourir aux subsides des Églises, alors même qu’il vient de souligner qu’il en a le droit. L’apôtre a bien l’air de dire qu’il est libre de faire une œuvre, à savoir de renoncer à son droit de recevoir un salaire pour son service chrétien, et de travailler de ses mains pour subvenir à ses besoins, au-delà de ce qui est requis par la loi de Dieu, le commandement, la vocation qu’il a reçue, tout ce qui est impératif. Autrement dit, que c’est surérogatoire. Comment traiter ce point ?

Une logique rigoureuse déterminerait, selon la tendance des Réformateurs, que dans toute situation il y a une façon meilleure d’honorer Dieu, de Lui montrer notre amour. Or le commandement d’aimer Dieu de tout son cœur est le commandement qui surclasse tous les autres. Il y a donc forcément une façon meilleure de montrer notre amour à Dieu, dans toute situation, et elle est par conséquent obligatoire : il n’y a rien de surérogatoire. Il m’est commandé d’aimer Dieu de tout mon cœur, au maximum, de toute ma force : une analyse rigoureuse, dans toute situation, me montrerait que c’est cela qu’il faut que je fasse, et pas autre chose. Ainsi, rien n’est surérogatoire. Alors comment comprendre les propos de Paul ?

Voici le commentaire que je propose : nous ne sommes justement pas capables d’une analyse rigoureuse jusqu’au bout. Dieu, qui sait de quoi nous sommes faits, ne nous impose pas une analyse poussée jusqu’à ce détail. Il n’ajoute pas d’autres fardeaux par rapport à ce qui ressort des commandements clairement révélés, car Il sait que nous ne sommes pas faits pour aller jusqu’à ce détail d’analyse, de précision dans le discernement. Il appartient à sa pédagogie de nous laisser un espace de liberté dans ce sens. La forme concrète de notre obéissance est balisée par les grands commandements, qui sont clairs : il nous laisse l’exprimer, en quelque sorte librement. Une sorte de souplesse de jeu nous est accordée, qui à mon avis est une disposition de sa bonté envers nous, de sa sagesse aimante pleinement ajustée à ce que nous sommes de par Lui et en Lui. C’est ainsi que je vous propose de comprendre cette liberté d’œuvre surérogatoire, que j’ajoute à ce que l’on appelle généralement la liberté chrétienne.

Conclusion

C’est la Bible, dans l’histoire de l’humanité, qui a promu la liberté ; les Grecs en général ne s’étaient attachés qu’à la liberté des citoyens, les stoïciens allant un peu plus loin avec la maîtrise de soi, mais pour se conformer à la nature, au destin. L’idolâtrie de la liberté caractéristique de notre modernité est produit d’une sécularisation de la valeur biblique, c’est-à-dire de son déracinement hors de son terreau originel, la relation avec Dieu.
Il est frappant que toutes les facettes de la “liberté chrétienne” laissent voir, contre cette sécularisation, qu’elle est un don : don d’une justice gratuitement conférée, qui donne libre accès à Dieu ; don d’une puissance spirituelle qui permet de combattre efficacement le péché, qui libère de son emprise; don d’un dépassement des conditions et contraintes de la dimension charnelle, qui rend libre à l’égard d’ordonnances relevant de l’externe ; don d’une marge pour l’expression du rapport filial à Dieu, comme il convient aux libres enfants que nous sommes. La liberté est le don de la grâce !

____________ Henri Blocher

[1] Nous remercions Gaëlle Richardeau d’avoir transcrit la conférence et Isabelle Delaby de l’avoir mise en forme. Nous avons conservé, pour l’essentiel, le style oral de l’intervention.

[2]Sauf mention contraire, les citations bibliques sont issues de la Nouvelle Bible Segond, 2002.

[3]Jean-Jacques VON ALLMEN, Maris et femmes d’après saint Paul, t. 29 de Cahiers théologiques, Neuchâtel, éd. Delachaux et Niestlé, 1951, p. 11.

[4]Traduction Louis Segond 1910.

[5]Traduction Louis Segond 1910.

[6]Cf. Greg L. Bahnsen, Theonomy in Christian Ethics, Third Edition, 2002, Covenant Media Press, 2021, 656 p.

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Élections américaines : Entre illusions et espérance

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Au vu de la tourmente politique qui secoue actuellement notre propre pays, les élections présidentielles américaines semblent déjà lointaines. Il vaut néanmoins la peine de revenir brièvement sur la saisissante « résurrection politique » de Donald Trump et son retour au pouvoir le 20 janvier prochain.

Parmi les nombreux constats qui s’imposent, soulignons celui-ci : Trump a recueilli une nette majorité de suffrages après avoir mené une campagne sombre voire menaçante contre tous ses adversaires réels ou supposés. Sa victoire est emblématique d’une défiance massive face à tout ce qui ressemble aux institutions ou à la respectabilité.

De fait, là où le Trump de 2016 et 2020 avait constitué des équipes issues pour une large part de notables du parti Républicain, le candidat de 2024 est parvenu à marginaliser ces influences modératrices, et à placer au premier plan des personnalités incarnant le plus possible un projet « antisystème » : ainsi un futur Secrétaire (ministre) de la santé qui a affirmé l’an dernier que le virus de la Covid-19 avait été conçu de manière à « protéger les Juifs ashkénazes et les Chinois[1] » ; la nomination de l’ancienne directrice de la fédération du Catch (WWE), pseudo-sport télévisé, à l’Education, département que Trump a de toute façon déclaré vouloir supprimer ; ou encore un futur directeur du FBI connu pour… son militantisme virulent contre cette même institution.

Le ralliement d’une large part du monde évangélique américain à cette droite radicale et populiste suscite des questions profondes et complexes. On est d’ailleurs en droit de se demander si, à sa petite échelle, une partie du milieu évangélique français ne serait tenté par un virage analogue.

Je suis de ceux qui ressentent inquiétude et consternation face à cette tendance.  Il y a de quoi s’interroger sur ce qui, dans la culture évangélique notamment, a pu conduire tant de personnes à voir en un tribun narcissique une valeur sûre, voire un héros.

Pour autant, verser exclusivement dans la dénonciation et le pessimisme ne paraît pas à la hauteur de la complexité des enjeux. Car le roi est désormais nu : ces valeurs qui ont longtemps fait consensus dans notre Occident (rationalisme, tolérance, modération) semblent en passe de s’écrouler. Elles ne répondent manifestement plus à la soif d’absolu de nos contemporains. N’est-ce pas parce que, quand elles s’accompagnent du rejet du Créateur souverain, ces valeurs ne sont en définitive que des idoles trompeuses et hypocrites ? Dans ce désert idéologique et spirituel qui nous entoure, c’est l’Evangile qu’il faut annoncer, plus que jamais.

____________ Matthieu Sanders

[1] https://www.nytimes.com/2023/07/15/us/politics/rfk-jr-remarks-covid.html

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La philo à l’IBN ?

La philo à l'IBN

De la philosophie à l’IBN ?

Pourquoi enseigner la Pensée contemporaine (philosophie) à l’Institut Biblique ?

Une spécificité du programme de l’IBN passe souvent inaperçue : nous dispensons un cours de philosophie (sous le nom de pensée contemporaine) à nos étudiants. Au cours des années 1960, le professeur Henri Blocher avait introduit à notre programme un survol de l’histoire de la philosophie, avec une attention particulière portée aux penseurs qui ont marqué notre époque. De nombreuses générations d’étudiants ont ainsi pu profiter de ses synthèses éclairantes. Ses successeurs n’ayant pas la même compétence encyclopédique, nous avons fait le choix, depuis cette année, de nous concentrer sur quelques penseurs particulièrement influents.
Au menu : Descartes, Pascal, Kant, Marx, Kierkegaard, Nietzsche, Camus, Foucault, Roland Barthes, Luc Ferry, Achille Mbembe.

Athènes et Jérusalem ?

La sélection des philosophes à étudier est une question épineuse (avis aux lecteurs !). Mais plus fondamentale est la question du pourquoi d’un tel cours dans un institut biblique. Quel avantage, pour un responsable d’Église ou d’œuvre, de connaître la philo ? Et pire : n’est-ce pas faire entrer la pensée du monde dans l’Église ?

Pour répondre à cette interpellation, légitime de prime abord, remarquons déjà que plusieurs des penseurs étudiés étaient des chrétiens convaincus, bien que l’on n’y pense pas de suite quand on entend leur nom : parmi eux, Descartes, Pascal, Kierkegaard. Il peut nous intéresser comment ils cherchaient à exprimer la foi chrétienne à leur époque. Nous pouvons apprendre d’eux, tant de ce qui paraît convaincant dans leur interprétation de la foi que de leurs compromissions éventuelles. Kant est un exemple instructif à cet égard. Il se pensait le sauveur du christianisme face aux assauts de la science moderne. Si son intention est louable, le peu qu’il retient de la foi biblique doit nous avertir du danger qui guette tous ceux qui cherchent à rendre la foi acceptable à l’esprit de leur temps.

Apprendre des penseurs non-chrétiens

Le cours ne se limite pas aux philosophes qui se réclament du christianisme, mais fait une large place à des penseurs non-chrétiens, voire anti-chrétiens. L’étudiant qui est venu à l’Institut pour étudier la Bible n’y trouve guère un intérêt immédiat. La confrontation à leur pensée peut même constituer une épreuve spirituelle. Pourtant, nous ne pouvons pas en faire l’économie.

D’abord, le futur responsable aura dans son Église des lycéens qui suivront les cours de philosophie à l’école. Il devra les aider à réfléchir en tant que chrétien. De plus, comment annoncer l’Évangile de façon pertinente, sans comprendre les idées qui circulent dans notre société ? Ce n’est pas parce que l’on n’a jamais lu une seule ligne des philosophes que l’on n’est pas influencé par eux. Et last, but not least, la grâce commune de Dieu est à l’œuvre même dans les penseurs qui le rejettent. Elle leur permet de discerner certaines vérités, parfois plus clairement que les chrétiens eux-mêmes ne les voient. Ainsi en préparant le cours, j’étais presque choquée de découvrir que les analyses historiques de Foucault sont éclairantes sur plusieurs points (comme le rôle constitutif des relations de pouvoir). Comme les Israélites, au moment de l’exode, nous pouvons « dépouiller les Égyptiens » (Ex 12.36), pour intégrer les vérités apprises des philosophes non-chrétiens dans le cadre plus large de la vision biblique (création – péché – rédemption). Ainsi, nous découvrirons toujours davantage de facettes de notre glorieuse espérance, et apprendrons à mieux à en faire part à nos contemporains.

___________ Lydia Jaeger

Ainsi en préparant le cours, j’étais presque choquée de découvrir que les analyses historiques de Foucault sont éclairantes sur plusieurs points (comme le rôle constitutif des relations de pouvoir). Comme les Israélites, au moment de l’exode, nous pouvons « dépouiller les Égyptiens » (Ex 12.36), pour intégrer les vérités apprises des philosophes non-chrétiens dans le cadre plus large de la vision biblique (création – péché – rédemption). Ainsi, nous découvrirons toujours davantage de facettes de notre glorieuse espérance, et apprendrons à mieux à en faire part à nos contemporains.

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Quand Dieu jardine : « Demeurez dans mon amour »

IBphile 203

Quand Dieu jardine : « Demeurez dans mon amour »

Le 29 juin 2024 s’est déroulé la séance de clôture de l’année académique où nous avons remis certificats et diplômes aux étudiants. Un moment émouvant pour chacun d’eux, leurs proches et leurs professeurs.

Cette année nous avions comme oratrice une ancienne étudiante de l’IBN, pasteure de l’AEEBLF à Bruxelles, qui nous a commenté Jean 15.1-17 avec brio et profondeur.

Introduction

À la fin d’un cycle ou d’une année scolaire, il est bon de faire une halte, de reprendre son souffle, aussi au niveau spirituel et c’est ce que nous voulons faire ensemble ce matin.

Que vous soyez à la fin de vos études, entre deux années ou simplement au début de l’été, je vous invite à nous plonger ensemble dans un texte qui nous ramène à l’essentiel de notre cheminement avec Christ.

Pour cela nous lisons dans l’Évangile de Jean, au chapitre 15, les 17 premiers versets.

Ce passage fait partie du deuxième discours d’adieu de Jésus, un peu comme une forme de testament. C’est une transmission non pas des avoirs, mais du savoir. Non pas d’un savoir théorique, mais d’un savoir incarné, imprégné de l’amour de Jésus et de son Père pour les disciples.

 

1Moi je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron. 

2Il enlève tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruit, mais il taille, il purifie chaque sarment qui porte du fruit, afin qu’il en porte encore plus. 

3Vous, vous êtes déjà purs grâce à la parole que je vous ai dite. 

 

4Demeurez en moi, comme je demeure en vous. Un sarment ne peut pas porter de fruit par lui-même, sans rester attaché à la vigne ; de même, vous non plus vous ne pouvez pas porter de fruit si vous ne demeurez pas en moi. 

5Moi je suis la vigne, vous êtes les sarments. La personne qui demeure en moi, et en qui je demeure, porte beaucoup de fruits, car sans moi vous ne pouvez rien faire. 

6La personne qui ne demeure pas en moi est jetée dehors, comme un sarment, et elle sèche ; les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu et ils brûlent. 

 

7Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voulez et cela sera fait pour vous. 

8Voici comment la gloire de mon Père se manifeste : quand vous portez beaucoup de fruits et que vous vous montrez ainsi mes disciples. 

 

9Tout comme le Père m’a aimé, je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. 

10Si vous obéissez à mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, tout comme j’ai obéi aux commandements de mon Père et que je demeure dans son amour.

11Je vous ai dit cela afin que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète. 

 

12Voici mon commandement : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. 

13Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. 

14Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. 

15Je ne vous appelle plus serviteurs, parce qu’un serviteur ne sait pas ce que fait son maître. Je vous appelle amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon Père. 

16Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis ; je vous ai donné une mission afin que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure. Alors, le Père vous donnera tout ce que vous lui demanderez en mon nom. 

17Ce que je vous commande, donc, c’est de vous aimer les uns les autres.

Transition

Les disciples se trouvent à un tournant dans leur vie. Bientôt les trois années déroutantes, surprenantes qu’ils ont vécues avec Jésus et les uns avec les autres, se termineront. Il y a une séparation qui les attend et ils sont invités à entrer dans une relation qui sait traverser cette séparation.

Ils sont invités :

  • à demeurer en Christ
  • à porter un fruit durable
  • à aimer et tout cela en vue d’une joie complète !

Demeurer en Christ

Jésus utilise ici une image bien connue par les disciples et les premiers lecteurs de l’évangile de Jean. « Moi je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron. » (v. 1)

La vigne est une image couramment utilisée dans le monde antique, dans toute sorte de sources différentes, comme aussi par les prophètes pour parler d’Israël auquel Jésus s’identifie ainsi. Une image qui exprime les soins de Dieu pour son peuple et le type de relation qu’il voudrait entretenir avec lui.
Nous sommes ici aussi en présence du derniers des sept « Je suis » de l’Évangile de Jean, qui est accompagné, contrairement aux autres « Je suis », par une image qui parle de l’identité du Père – le vigneron – et une autre de celle des disciples – les sarments.

L’activité du vigneron est décrite en premier : il enlève, il taille.

En viticulture, l’émondage est une activité importante pour que la vigne investisse son énergie au bon endroit, à la production du raisin et pas seulement à la croissance des feuilles et des tiges. L’émondage sert à former la vigne et l’aide à croître dans la bonne direction. Quelle image parlante pour la formation, la transformation continue de notre caractère, qui est un des objectifs de l’Institut ! Croître dans la bonne direction, continuer à avancer dans la bonne direction, afin de porter du fruit.
Cette transformation s’accomplit à travers la Parole : « Vous, vous êtes déjà purs grâce à la parole que je vous ai dite. » (v. 3)

La transformation ou la pureté dans le langage de Jésus résulte de l’écoute. Le théologien Antoine Nouis dit : « Le pur n’est pas celui qui se conduit impeccablement, mais qui ne triche pas avec la parole et qui ne cesse de la méditer. »[1] La pureté dont il est question est donc liée à la parole, à l’écoute de la parole. Il ne s’agit pas nécessairement de la connaître par cœur – même si nous avons appris un certain nombre de passages par cœur au cours des études à l’IBN – mais de laisser l’Esprit agir dans notre cœur à travers elle.

Il y a une invitation à rester attaché à la parole de Dieu. À la méditer, à l’étudier, à continuer à se former, ne pas arrêter de la lire pour mieux la comprendre. Continuer à se laisser surprendre, et mesurer le peu que nous connaissons et comprenons, même après trois, treize ou trente ans d’études intensives. Ne disons pas comme les enfants à l’École du dimanche : « Je connais »…. Mais continuons à laisser la Parole de Dieu nous élaguer, nous donner notre forme, pour porter du fruit. Parfois cela se passera tout en douceur et parfois il y a de la douleur attachée au fait de se laisser transformer, comme la vigne qui réagit à l’émondage par la sève qui coule, telle une larme.

Il s’agit de rester attaché à la Parole, à la parole faite chair. « Demeurez en moi, comme je demeure en vous », poursuit Jésus au verset 4.

J’aime beaucoup le verbe « demeurer ». Il demande une action, mais il implique aussi un repos. Un repos actif de nos âmes. Il revient onze fois dans ces dix-sept versets. Demeurer.

Daniel Bourguet, théologien, pasteur, ermite protestant, souligne que Jésus ne dit pas « Soyez en moi », car « il appartient au Père que les disciples soient en Christ. Il revient aux disciples de demeurer en lui, de durer dans ce qu’ils sont par la puissance du Père, de persévérer avec l’aide du Père »[2].

Demeurer, c’est un ancrage. C’est le contraire de l’éparpillement dans tous les sens, si courant dans notre société à l’attention fractionnée et bien souvent aussi dans nos vies d’Église et nos vies personnelles. Demeurer va ici dans les deux sens : nous en Christ et Christ en nous. Il s’agit d’un mouvement constant vers le Christ, mais aussi d’une attitude d’accueil[3].

Le théologien Jean Zumstein, un des spécialistes des écrits de l’apôtre Jean, décrit la relation entre Christ et les disciples ainsi : « une relation faite à la fois d’intimité et de différenciation. Bien que partie intégrante de la vigne, les sarments sont cependant distingués d’elle. »[4]

Il y a cette intimité, il y a cette union : les sarments font partie de la vigne. Mais il n’y a pas de fusion, de confusion. Jésus sait qui il est. Chacun a sa place, sa mission. Son identité. Voici les ingrédients d’une relation féconde, épanouie. Se savoir à sa place et en même temps faire de la place à l’autre pour qu’il puisse être aussi, dans un mouvement de danse incessant[5].

Cette relation est à cultiver, il y a une vie intérieure à cultiver tout au long du chemin. Dans la suite de son entretien avec ses disciples Jésus va expliciter comment il demeure en nous : par le don de son Esprit. C’est une relation qui se nourrit par la prière, à laquelle est attachée une promesse dans notre texte et cela à deux reprises. Une promesse qui suscite en nous une joie, un élan et en même temps un inconfort. Nous constatons bien que toutes nos prières ne sont pas exaucées ici-bas…, mais au lieu de permettre à cette tension de rendre notre prière impossible, continuons à espérer, à investir dans notre relation au Christ, à nous nourrir de ses paroles, pour être toujours davantage alignés sur les désirs de son cœur : que nous demeurions en lui, que nous portions du fruit.

Porter un fruit durable

Quand nous finissons nos études ou commençons un service, nous rêvons de vivre un ministère qui porte du fruit. Un ministère peut-être sans trop de difficultés, ou des difficultés gérables.

Parfois nous pouvons être obnubilés par le fait de porter du fruit et nous confondons fruit et chiffres, fruit et nombre de personnes présentes au culte, fruit et nombre de mariages accompagnés qui tiennent dans la durée, fruit et appréciation de notre ministère par tous et toutes en tout temps (ce qui est tout simplement impossible !).

Mais ici, il s’agit d’un fruit qui a besoin de temps pour mûrir, d’un fruit qui est appelé à demeurer, au verset 16.

Il y a quelque temps, mon fils âgé de 4 ans a semé des graines de fleurs avec son papa. Il pensait que les plantes allaient pousser en une nuit et quand quelques semaines plus tard les premières pousses ont réjoui nos yeux, il était rempli de joie, d’une envie de partager cette bonne nouvelle. Impatience de voir pousser, impatience de voir le résultat de notre travail, dès tout petit. Mais porter du fruit prend du temps. Porter du fruit est intimement lié à demeurer. Porter du fruit est lié à une relation.

Jean Zumstein écrit : « ‘‘Porter du fruit’’ advient dans la mesure où le croyant demeure fidèle à la relation que le Christ a nouée avec lui par le don de sa parole. Le disciple n’est pas invité à atteindre un but, mais à rester attaché dans la durée à une relation déjà existante et à la vivre pleinement dans le présent de la foi. »[6]

Relâchons la pression, ne nous fixons pas en permanence des buts à atteindre, mais demeurons. N’exploitons pas notre sol jusqu’à la dernière poussière, sinon à la fin il ne restera plus que de la poussière. Une vraie efficacité ne néglige pas le repos. Porter du fruit ne veut pas dire entrer dans de l’activisme, qui est, selon ce qui j’ai pu observer dans ma propre vie, un des pièges majeurs dans le ministère.

Un des livres d’édification auquel je reviens régulièrement, qui est vraiment un trésor, c’est la Règle de Reuilly, la Règle des diaconesses de Reuilly où il se trouve cette perle :

« Dégage-toi dans la mesure même où tu t’engages sans compter.
Prends de la distance dans la mesure même où tu communies fraternellement à autrui.
Le cœur humain même le plus généreux, n’est pas inépuisable. Dieu seul est illimité. »[7]

Elle parle aussi de la lente germination de toute chose[8]. Oui, porter du fruit prend du temps. Porter du fruit implique de se donner sans compter, mais aussi de savoir prendre de la distance, pour pouvoir continuer à porter du fruit dans la durée. Et cette distance nous la prendrons dans la prière, en regardant au Christ.

Oui, nous avons été choisis pour que notre fruit demeure, v. 16 : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis ; je vous ai donné une mission afin que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure. » Jésus dit bien « votre fruit »[9]. Il y a bien quelque chose de notre travail, du don de nous-même, de notre amour les uns pour les autres qui est durable, qui demeure. Il ne s’agit pas de s’approprier ce fruit, de s’en glorifier, mais nous pouvons nous réjouir quand notre travail, quel que soit sa nature, porte du fruit, quand notre manière d’être et d’enseigner a exercé une influence positive sur la vie de quelqu’un d’autre. Oui, notre fruit porté en étant uni à Christ, en étant attaché à la vigne – jamais sans lui – sera encore là dans l’éternité.

Porter du fruit se décline d’une manière très pratique : porter du fruit c’est nous aimer les uns les autres.

Aimer… et tout cela en vue d’une joie complète !

« Tout comme le Père m’a aimé, je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. », verset 9.

Nous vivons et vivrons encore des joies, mais aussi des déceptions dans notre ministère.
Seul l’amour du Christ restera.

Même si tout devait s’effondrer, l’amour du Christ restera. Nous n’avons aucune garantie sur la « réussite » de notre ministère. Mais l’amour du Christ ne nous sera jamais enlevé.
C’est le plus précieux que nous puissions vivre dans notre vie. Plus précieux que notre service, plus précieux que tout, l’amour du Christ, lui qui un jour sera tout en tous.
Christ qui s’est donné pour nous à la croix. Christ qui nous a révélé le cœur du Père.

« Demeurer en Christ […] signifie […] fonder dans la durée son existence dans l’amour dont le Christ a témoigné pour chaque être humain – cet amour du Christ pour toute personne étant la manifestation du visage de Dieu pour le monde »[10], écrit encore Jean Zumstein.

Demeurer en Christ, c’est demeurer en son amour. Le socle de notre vie, c’est l’amour de Christ pour nous. Non pas notre ministère aussi beau qu’il puisse être. Dans la tempête, puiser notre force dans l’amour du Christ. Sous le soleil, puiser notre force dans l’amour du Christ. Pour certains et certaines parmi nous, il est relativement facile de se savoir aimés par Dieu. Pour d’autres c’est plus difficile, comme un chemin escarpé, sans que l’on y soit pour quelque chose. Les uns ne sont pas plus spirituels que les autres, ou plus avancés dans la foi que les autres. À nous tous et toutes, une invitation est adressée : méditer sur le don de Jésus pour nous – « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ces amis » (v. 13) – pour demeurer dans son amour parce que nous y sommes déjà enveloppés ! Ou comme le dit Daniel Bourguet : « se laisser d’abord aimer par le Christ, avant de se mettre à aimer. […] Se laisser aimer par le Christ, c’est s’ouvrir à lui, s’en remettre à lui, s’abandonner à lui en toute confiance, en sachant que cet amour est quotidien et non ponctuel, qu’il est continu comme la sève dans le sarment »[11].

Jésus développe davantage ce que veut dire demeurer dans son amour : obéir à ses commandements. Et voici le commandement qu’il donne à ses disciples : « aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés » (v. 12). Il y a un double mouvement. Notre amour concret pour les autres se nourrit de l’amour concret de Dieu pour nous. Et en même temps nous demeurons dans l’amour du Christ quand nous nous aimons les uns les autres. L’amour qui consiste à donner sa vie pour les autres. Est-ce que nous nous défaisons de notre vie par amour ? Ou pour recevoir de la reconnaissance ? Pour être aimés ? Nous avons besoin de revenir régulièrement à la source qu’est l’amour de Dieu pour nous, pour que notre amour ressemble davantage au sien, pour « lui demander de guérir ce qui est malade dans notre amour et lui demander de transformer notre amour au contact du sien »[12]. Oui, sans lui nous ne pouvons rien faire, y compris et avant tout aimer.

Les disciples sont appelés à s’aimer les uns et les autres. Ils ont ceci en commun qu’ils sont chacun sarment. Et c’est un point important pour le ministère. Entrés dans le ministère nous ne sommes pas des électrons libres, nous sommes tous et toutes attachés, reliés au cep. Nous sommes unis au Christ et ainsi unis les uns aux autres par lui. Nous faisons partie, avec nos frères et sœurs, de la communauté que nous servons.

Cette prise de conscience nous invite :

  • à nous réjouir du fruit porté par d’autres
  • et à avoir des personnes – au moins une – à qui nous confier dans les joies et les défis du ministère. Nous sommes reliés, nous sommes interdépendantes. Nous sommes appelés à nous soutenir mutuellement dans notre attachement à la vigne.

Ce texte nous invite à nous considérer non pas uniquement comme serviteurs et servantes du Christ, mais aussi comme ses amis. Ces deux réalités ne s’excluent pas, elles peuvent être tenues ensemble. Jésus lui-même a dit à ses disciples trois chapitres plus haut : « Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; ainsi, mon serviteur sera aussi là où je suis. » (Jean 12.26) Ici, il met en avant la proximité, l’amitié qui existe entre lui et ses disciples et cette amitié se fonde sur les paroles qu’il leur a dites.

Une seule fois déjà dans l’Évangile de Jean il a été question de l’amitié avec Jésus et le lien avec notre texte est délicieux. C’est Jean-Baptiste qui dit : « L’ami de l’époux, il se tient là, il l’écoute, et la voix de l’époux le comble de joie ; c’est là ma joie, et ma joie est complète. » (Jean 3.29). Quelle pensée inimaginable : Jésus nous appelle ses amis. L’humilité reste palpable dans cette amitié, car Jean Baptiste poursuit : « il faut qu’il grandisse et que je diminue » (3.30)[13]. Dans notre texte, c’est exprimé ainsi : « Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. » (v. 14)

Jésus est notre ancrage, notre socle, notre ami que nous avons envie d’honorer par une obéissance, qui est cet élan d’amour qui naît de son amour pour nous[14].

« Je vous ai dit cela afin que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète. », nous dit le verset 11, qui est en réalité au centre.

Jésus est concerné par notre joie, il veut notre joie. Une joie complète. Il ne s’agit pas de n’importe quelle joie, c’est la joie de Jésus qui est communiquée aux siens, une joie d’amitié, une joie de communion, cette joie qu’il partage avec son Père. Une joie qui prend sa naissance dans l’amour entre le Père et le Fils, dans leur communion qui se prolonge jusqu’à nous. La joie du Christ dans la création du monde, la joie du Christ devant la rédemption, la restauration du monde qui est en cours. La joie du Christ, dans l’attente d’un monde où règnera la justice.

Je crois que le plus beau que nous puissions vivre, dans la diversité de nos situations, c’est vivre éveillés à cette joie, une joie offerte, une joie renouvelée. Une joie qui va au-delà de ce que nous faisons ou réussissons. Une joie qui peut grandir encore, qui peut s’approfondir jusqu’à ce qu’elle soit complète, une joie une élargit notre cœur.

Je conclus avec un poème que j’ai écrit en méditant sur ce passage.

Conclusion

Sans toi

fruit sans arbre

illusion

Ta parole m’élague

me redonnant

sève et goût

Un trio

aux multiples acteurs

être en faisant
faire en étant

Un amour

à recevoir

        à toute heure

à cultiver

        à chaque saison

Une joie

à vivre

la Tienne

la mienne

Mon fruit

sans possessivité

se réjouir partager chérir

aujourd’hui demain demeurer

_______________ Lydia Lehmann

[1] Antoine Nouis, « Comment comprendre l’image des sarments attachés à la vigne ? », Regards protestants, 26/04/2021, en ligne : https://regardsprotestants.com/video/bible-theologie/comment-comprendre-limage-des-sarments-attaches-a-la-vigne-2/.

[2] Daniel Bourguet, Devenir disciple, coll. Veillez et priez, Olivétan, Lyon, 2006, p. 96.

[3] Cf. Antoine Nouis, op. cit., https://regardsprotestants.com/video/bible-theologie/comment-comprendre-limage-des-sarments-attaches-a-la-vigne-2/.

[4] Jean Zumstein, L’Évangile selon Saint Jean (13-21), CNT IVb, Labor et Fides, Genève, 2007, p. 99.

[5] Allusion à la périchorèse, Cf. Daniel Bourguet, Devenir disciple, op. cit., pp. 100-102

[6] Jean Zumstein, op. cit.,  p. 100.

[7] Règle de Reuilly, Parole humaine, appel divin, Olivétan, Lyon, 2013 (3e édition), p. 56.

[8] Cf. Ibid., p. 57.

[9] Je suis redevable à la pasteure Joëlle Razanajohary-Sutter pour cette observation.

[10] Jean Zumstein, op. cit., p. 106.

[11] Daniel Bourguet, op. cit., p. 84.

[12] Daniel Bourguet, Le dernier entretien avant la croix, coll. Veillez et priez, Olivétan, Lyon, 2018, p. 177.

[13] Cf. Daniel Bourguet, Devenir disciple, op. cit., p. 95.

[14] Cf. Ibid., p. 93.

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Lancement de la Bible d’Étude Perspectives Africaines

Bible d'étude

Lancement de la Bible d’Étude Perspectives Africaines sur notre campus !

Vous êtes cordialement invités à la célébration de lancement de la Bible d’Étude Perspectives Africaines (BEPA), le samedi 12 octobre 2024, à l’Institut Biblique de Nogent-sur-Marne (voir affiche ci-contre). Serge Oulaï (Chargé de cours à l’IBN et Président de la MB) est l’organisateur principal de cet évènement pour la Mission Biblique.

Au programme :

    • 10h30 à 12h00 : Accueil et échanges autour du thème « Diaspora et mission en France» suivi d’un apéritif déjeunatoire ;
    • 14h00 : Cérémonie de lancement de la BEPA avec le Pr. Abel Ndjerareou comme orateur.

À cette occasion, le promoteur de la Bible, M.Greg Burgess (missionnaire) sera également présent. L’opportunité vous sera offerte d’acheter la Bible pour un montant de 50.00€.

Cet évènement est ouvert à tous, sans inscription.

______________________________________________________

Serge Oulaï produit cet extrait de texte tiré de l’article « La Bible d’étude perspectives africaines » de Africa Speaks[1], pour les besoins du premier lancement officielle de cette Bible en France et en Europe francophone prévu dans un lieu historiquement lié à la mission sur le continent africaine l’Institut Biblique de Nogent.

« Le projet de création de la Bible d’étude perspectives africaines a été initié en 2011. Des responsables de tout le continent se sont réunis à Accra, au Ghana, et se sont sentis appelés par Dieu à créer une Bible culturellement pertinente qui permettrait d’appliquer les Écritures à la vie quotidienne en Afrique. Abel Ndjerareou du Tchad et Tite Tiénou du Burkina Faso, représentant les pays francophones, faisaient partie du comité fondateur. La conclusion décisive du groupe était qu’une telle Bible servirait la communauté mondiale en révélant la vérité et la beauté de la Parole de Dieu d’un point de vue africain…

Lorsque l’on considère toutes les églises et organisations de ceux qui ont rédigé les notes pour la Bible, on se rend compte que des centaines de groupes sont impliqués. Il suffit de regarder la liste au début de la Bible pour être convaincu que cette Bible est un véritable exercice d’unité couvrant un large spectre du christianisme en Afrique. En ce qui concerne les maisons d’édition, Oasis International a accompagné le projet depuis ses débuts et a publié la version anglaise, The Africa Study Bible. Publications pour la jeunesse africaine (PJA) ont coédité la version française avec Oasis, en collaboration avec l’Alliance biblique universelle, qui a fourni le texte de la Bible – le cœur même du Livre !

La publication de la Bible d’étude perspectives africaines s’inscrit dans la continuité d’initiatives éditoriales importantes qui ont déjà vu le jour comme Le commentaire biblique contemporain et La Bible d’étude africaine, publiés par CPE. Nous nous réjouissons de voir de plus en plus d’ouvrages importants écrits par des auteurs éminents ou émergents de l’Afrique francophone. Le fait que ces auteurs s’adressent par leurs écrits aux chrétiens du continent et d’ailleurs n’est pas seulement une « valeur ajoutée », c’est une nécessité incontournable.

La Bible d’étude perspectives africaines est une avancée majeure dans le travail d’édition chrétienne en francophonie.

En ce qui concerne la traduction de la Bible (texte biblique) utilisée pour ce projet, nous nous sommes associés à l’Alliance biblique universelle. L’équipe éditoriale de la Bible d’étude perspectives africaines a rédigé, avec plus de 350 auteurs du continent, les notes et articles qui aident le lecteur à comprendre le texte biblique. Mais le texte de la Bible lui-même, c’est-à-dire les textes hébreu et grec traduits en langue française, est le fruit de nombreuses années de travail effectuées auparavant par les spécialistes de la traduction biblique de l’Alliance biblique. La Bible d’étude perspectives africaine ne contient pas une nouvelle traduction de la Bible, mais une traduction déjà existante et réputée de la Bible. Nous sommes reconnaissants à l’Alliance biblique universelle pour son expertise dans ce domaine et pour sa contribution essentielle à ce projet.

Informations fournies par Gregory Burgess, Abel N’djerareou et Augustin Ahoga. »

[1] https://africaspeaks.global/fr/la-bible-detude-perspectives-africaines/

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Hommage à Jacques Émile Blocher (1961-2024)

Jacques E. Blocher

Hommage à Jacques Émile Blocher (1961-2024)

Directeur général de l’Institut biblique de Nogent de la rentrée 2000 à la rentrée 2016, Jacques Émile Blocher s’est éteint le 24 septembre 2024 des suites d’une longue et éprouvante maladie.

L’Institut biblique tient à rendre hommage à ce frère dont la remarquable simplicité n’avait d’égal que la vivacité intellectuelle et l’immense serviabilité

Né le 16 septembre 1961, il était le fils aîné d’Henri et Henriette Blocher.

Après un brillant parcours scolaire qui l’a conduit à HEC, Jacques Blocher a toujours incarné la simplicité du serviteur, proche de tous, en particulier des humbles.

Il fut un serviteur aux vocations multiples, un artisan de l’ombre, loin des feux des projecteurs, avec pourtant bien plus d’une corde à son arc : directeur administratif et financier en entreprise, administrateur apprécié d’œuvres évangéliques, historien, poète à ses heures, traducteur à la plume remarquée, violoniste de bon niveau, passionné de mécanique auto et amateur de vieilles voitures !

Notre maison lui doit beaucoup, et d’abord d’être encore là aujourd’hui. Quand il en a pris la direction à la rentrée 2000, c’est peu dire que la situation financière n’était pas brillante. Il lui a fallu lucidité, fermeté, courage et persévérance pour colmater les fuites et remettre le bateau à flot. Il ne l’a certes pas fait seul, mais il en a été la cheville ouvrière et a pu léguer ainsi 16 ans plus tard un Institut désendetté et capable de réfléchir à son développement en projetant la construction d’un nouveau bâtiment.

Mais il n’en a pas été que le « financier ». Il en a aussi été l’âme par son humanité et sa spiritualité. Nous gardons un souvenir reconnaissant de son souci des personnes, de sa vivacité d’esprit, de son intelligence pénétrante dès qu’il s’agissait d’économie, d’histoire (baptiste en particulier), de relations humaines, de son humour fin et de sa belle plume.

Toute l’équipe de l’Institut adresse à Agnès, son épouse, à Henri son père, à François et Agnès son frère et sa sœur ainsi qu’à ses neveux et nièces et ses amis l’expression de sa sincère affection.

NB : un hommage plus ample lui est rendu dans l’IBphile n° 203 d’octobre 2024 (p.21)

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« Dieu avait d’autres plans pour moi ! »

Des étudiants français ou étrangers, souhaitant faire une pause dans leur cursus, ont la possibilité de venir 4 à 10 mois à l’Institut. Ils ont un programme adapté comprenant des cours qui leur permet de découvrir la théologie ainsi que des services permettant le bon fonctionnement de la vie en communauté.

Voilà quelques témoignages (Cf. Ibphile n°202) pleins de fraicheur et d’enthousiasme des volontaires de cette année : Arjan, Eleanor, Émilie et Ryusei. Nous espérons qu’ils inspireront la relève pour l’année académique 2024-2025 !

1. Comment es-tu arrivé à l’IBN ?

 

Arjan (19 ans, Pays-Bas) : Mon professeur de français au lycée a été volontaire à l’IBN pendant l’année scolaire 2007-2008, nous sommes restés en contact, et c’est grâce à lui que j’ai découvert l’Institut.

A la fin de mon lycée, j’ai eu envie de découvrir un nouveau mode de vie, et de servir dans un nouvel endroit ; donc je me suis dit : « c’est parti, on y va ! »

Eleanor (22 ans, Royaume-Uni) : J’ai eu la chance de pouvoir étudier à l’étranger pendant un an dans le cadre de mon diplôme de français.

Au début, je ne voulais ni étudier, ni me retrouver à Paris. Pourtant, Dieu avait d’autres plans pour moi !

Émilie (19 ans) : En année sabbatique, j’avais initialement prévu de faire un service civique. Mais n’étant pas décidée, j’en parle à mon pasteur, qui, au cours de la conversation, me propose d’être volontaire à l’IBN. J’ai tout de suite apprécié l’idée de pouvoir suivre des cours, et vivre en communauté avec des étudiants qui partagent la même foi que moi !

Ryusei (23 ans, Japon) : C’est au moment où je sortais de l’université, au Japon, ne sachant pas ce que je voulais faire, que mon amie qui est une ancienne étudiante de l’IBN m’a proposé d’être volontaire. J’étais chaud !

 

2.⁠ Quelles étaient tes attentes ?

 

Arjan : Pour cette année, j’avais pour attente de grandir, de m’ouvrir au monde, de me faire de nouveaux amis, et d’améliorer mon français. Je peux dire avec conviction que ces attentes ont été comblées !

Eleanor : Je me réjouissais d’en apprendre davantage sur Dieu et sa Parole. Le français n’étant pas ma langue maternelle, je m’attendais à quelques difficultés, en particulier au début, mais j’avais également hâte d’être en France et de découvrir Paris.

Émilie :⁠ Je voulais profiter de cette année, pour en apprendre plus sur Dieu, et mettre mes dons à son service.

Ryusei : Je n’étais pas Chrétien. Mais je cherchais Dieu et ce qu’il fait pour moi. Et puis, je voulais apprendre le français et avoir une expérience à l’étranger.

 

3. ⁠Comment as-tu vécu cette année de volontariat à l’IBN (service à mi-temps, vie étudiante, internat) ?

 

Émilie : Honnêtement, on travaille 4 heures par jour, 20 heures par semaine, je trouve que c’est assez léger… En résumé, le matin je m’occupe de la préparation du repas, ainsi que du ménage dans le réfectoire. Cela me permet donc d’être libre l’après-midi. J’en profite par exemple pour me balader à Paris.

Ryusei : J’ai vraiment apprécié la vie en communauté, parce que même si eu départ je ne parlais pas bien français, les gens étaient chaleureux et plein d’amour. C’est ce qui m’a aidé à apprendre le français et à me sentir à l’aise.

Arjan : J’ai beaucoup appris, créé de nouvelles amitiés, progressé en français et découvert la culture française. En tant que volontaire, on a également beaucoup de temps libre, que j’ai utilisé pour suivre quelques cours (« Le monde de La Bible », « Histoire d’Israël », et « Loi »).

C’est vraiment une grâce que Dieu nous fait en tant que volontaires.

Eleanor : L’IBN a dépassé toutes mes attentes ! J’ai eu beaucoup de plaisir à vivre et à étudier aux côtés des étudiants (surtout mes colocs), et j’ai vraiment eu l’impression de faire partie de la communauté. J’ai aimé travailler et me salir les mains, en nettoyant, faisant la lessive et préparant les chambres d’invités, car cela m’a permis de couper entre mes cours de théologie.

Le travail en équipe est un vrai plaisir, de plus, notre directrice d’équipe : Noémie, est toujours dispo pour répondre aux questions et nous garder (gentiment) sur la bonne voie.

4. Un moment/souvenir qui t’a marqué ?

 

Arjan : Parmi tous les moments marquants que j’ai eu la chance de vivre cette année… la semaine d’évangélisation* dans le Sud, le stage chorale, et les conversations profondes avec d’autres étudiants de l’IBN… restent gravés dans ma mémoire !

Émilie :⁠ J’ai trouvé incroyable qu’en tant que volontaires, nous puissions être intégrés aux différents événements ! J’ai beaucoup apprécié de pouvoir sortir de ma zone de confort pendant la semaine d’évangélisation*. Moi qui suis de nature assez réservée, j’ai ainsi pu faire du micro-trottoir.

Ryusei : Le stage chorale** me paraissait très difficile au départ, car je ne savais pas chanter, et qu’il fallait apprendre les paroles par cœur. Mais heureusement, avec l’aide des autres étudiants, pendant les répétitions, et finalement au concert, j’ai pu chanter avec plein de joie ! Travailler ensemble, c’était super chouette !

 

 

5.⁠ ⁠Que dirais-tu à quelqu’un qui est intéressé pour devenir volontaire à l’Institut, mais qui hésite ?

 

Eleanor : J’ai vraiment aimé être volontaire ici et je vous le recommande vivement ! Réfléchissez et priez à ce sujet au sein de votre Église, si vous croyez que le Seigneur vous y appelle.

Partager un appartement avec quatre autres filles a été une expérience merveilleuse, et elles font maintenant partie de mes meilleures amies. Il y aura des défis à relever, néanmoins, il n’y a rien de plus encourageant que de voir la famille de Dieu grandir ensemble dans l’amour des uns pour les autres et dans l’amour pour Lui – Comme moi, venez plein d’attentes, et repartez encouragés !

Émilie : N’hésite plus, viens ! Tu ne vas pas le regretter, non seulement tu vas en apprendre plus sur Dieu, mais aussi sur toi-même, au contact des autres étudiants.

Ryusei : Dieu m’a montré son amour dans la manière dont il a guidé les choses pour moi tout au long de l’année. Venez et faites l’expérience !

 

 

* stage d’évangélisation : organisé chaque année, il est destiné à donner aux étudiants une expérience personnelle et pratique de l’évangélisation en équipe.

** stage chorale : Coachés par Den-Isa, nos étudiants doivent monter un spectacle musical en 5 jours chrono.

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Comment devenir sage ?

Comment devenir sage ?

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Les offres contemporaines de mieux-être sont légion. Si les « intellos » sont enclins à choisir la voie de la philosophie, et si les spirituels sont plus attirés par la voie de la méditation, le commun des mortels gagne à suivre la voie illustrée par la myrmécologie pour manifester une forme de sagesse concrète. Comme l’atteste un sage hébreu (Pro 6.7-11), cette voie est gratuite, et est accessible à tous : « intellos », « spis », et « ni-intellos-ni-spis ».

De quoi s’agit-il ?

La méthode est apparentée aux anciennes « leçons de choses » que les aînés ont encore connues à l’école.  Cette pédagogie a été « popularisée [en France] dès 1867 par Mme Pape-Carpantier (1815-1878). »[1] Il s’agit d’une méthode inductive et réaliste, qui part des « choses » particulières pour en dégager les « mots » (concepts ou théories) généraux. Cette approche a inspiré le Réformateur Allemand Martin Luther pour les études bibliques. Avant lui, Dieu l’avait déjà utilisé. C’est par exemple l’histoire du ricin, qui pousse aussi vite qu’il ne disparaît, afin de toucher les sentiments du prophète Jonas, pour convaincre son intelligence de s’aligner sur les pensées de Dieu (Jon 4.6-11).

L’exemple de la voie myrmécologique.

Cette voie est énoncée par l’auteur du livre des Proverbes en ces termes : « Va vers la fourmi, paresseux ; considère ses voies, et deviens sage » (Prov 6.6.). Cette méthode engage celui qui veut devenir sage à une triple action :
VA , VOIS et DEVIENS !

  1. VA ! non pas te recoucher, ni faire le vide la tête sur un tapis à clous, mais « bouge-toi » et va vers la fourmi, ce petit insecte qui ne paie pas de mine, pour te motiver à entreprendre[2] ce qui t’incombe.
  2. VOIS ! non pas derrière ton smart-phone pour prendre une photo, mais avec tes yeux et tes « smart-neurons » pour voir la réalité en face, comprendre et tirer instruction de cette leçon de choses. Une fourmi adulte n’a ni besoin d’un surveillant qui évalue ses performances au travail, ni supérieurs hiérarchiques que lui disent ce qu’elle a à faire, ni d’un manuel pour reproduire ses gestes professionnels ou de vie quotidienne, ni besoin d’un coach ou d’un DRH qui la boost. Comme les deux premiers serviteurs de la parabole des talents (Mt 25.14-30), chacun ont intégré les principes individuels et collectifs, pour atteindre l’objectif social à viser : le développement de la colonie de fourmis et des biens de la maisonnée. Mais de voir et de désirer, cela ne suffit pas (Prov 21.25-26).
  3. DEVIENS ! non pas une célébrité qui d’un clik, met ses photos en ligne, en désespérant du manque de pousses-bleus, mais un serviteur prompt à l’action (Pro 26.13-16), pour entretenir et achever ce qui a été commencé, lorsque l’été est là, c’est-à-dire la saison destinée à anticiper l’hiver.

Si une personne a bien incarné cette triple action : Va !, Vois ! et Deviens ! c’est le Christ qui : est venu sur terre, a vu et a eu compassion des pécheurs, et est allé jusqu’au bout de la mission qui lui était assignée : devenir le rédempteur du monde.
À notre échelle et à la mesure d’appel qui est le nôtre, pourquoi ne pas s’entraîner à tirer instruction des « leçons de choses » (avec déjà cette autre histoire : Pro 24.30-34) et nous auto-motiver au prompt engagement de service ?

_________ Anne Ruolt

Pour aller plus loin :

Buisson, Ferdinand, article « Leçons de choses » [en ligne], dans Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, Paris, Hachette, 1910, URL : http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3034, consulté le 25 février 2024.

Darrigrand, Yves, « La Paresse », Cahiers de l’Institut Biblique, n° 69, 1987, pp. 3‑12. (le lien aux Cahiers pourrait être ajouté)

Kinder, Dereck, « Le paresseux », dans Le livre des Proverbes, Fontenay-sous-Bois / Cergy-Pontoise, Farel-Sator, 1986, pp. 32‑34.

[1] Ferdinand Buisson, article « Leçons de choses » [en ligne], dans Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, Paris, Hachette, 1910, URL : http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3034, consulté le 25 février 2024.

[2] Les caractéristiques du paresseux : « Il ne veut rien entreprendre » ; « il est incapable d’achever quoi que ce soit » ; « Il refuse de voir la réalité » ; « il est troublé et agité » sont tirés de : Dereck Kinder, « Le paresseux », dans Le livre des Proverbes, Fontenay-sous-Bois / Cergy-Pontoise, Farel-Sator, 1986, p. 32‑34.

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Appelés à servir Dieu

HEBREUX 12.18 – 12.29
APPELES A SERVIR DIEU :
EN ROUTE VERS LA CITE CELESTE

La moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers. Priez donc le Seigneur de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa moisson » (Mt 9.37s) . Conscient des besoins, le Centre Évangélique 2023 a rassemblé les responsables du monde évangélique de l’Europe francophone autour de la thématique : « Vocations : crises ou opportunités ? ». Ayant eu la joie d’approfondir l’étude de l’épître aux Hébreux, grâce aux prédications dans mon Église et le cours à l’IBN, ma réflexion s’est dirigée vers un passage dans la dernière partie de cette épître. L’auteur y dresse un tableau grandiose de la vocation chrétienne, avant d’en tirer des conclusions très concrètes. Mettons-nous à son écoute, pour que les initiatives que nous prenons, dans nos Églises et à l’Institut, pour favoriser de nouvelles vocations, soient en accord avec les projets du Seigneur.

1. Deux montagnes : Sinaï et Sion (Hé 12.18-24)

L’auteur de l’épître aux Hébreux, dans notre passage, établit un contraste saisissant entre le Mont Sinaï, lieu du don de la Loi, et le Mont Sion, lieu auquel sont appelés les croyants de la nouvelle alliance : « Vous ne vous êtes pas approchés, en effet, d’une montagne[1] qu’on pouvait toucher » (v. 18). Dans l’Ancien Testament, la révélation accordée au Sinaï avait culminé dans la construction du temple sur le Mont Sion. Mais l’épître aux Hébreux inclut toute l’ancienne alliance dans ce terme « Mont Sinaï » et fait ressortir que la nouvelle alliance est la réalité vers laquelle l’attente de l’ancienne pointait.

Pour décrire les terreurs au Sinaï, l’auteur fait appel au récit qu’en fait le livre de l’Exode (19.10-20 ; 20.18-21), et aux souvenirs de Moïse quand il parla 40 ans plus tard au peuple avant l’entrée dans le pays de Canaan (Dt 4.11s). Il y a bien un paradoxe ici : Israël est au bénéfice d’une révélation palpable, matérielle – comme nous en rêvons parfois nous-mêmes – mais la sainteté divine est tellement terrifiante qu’ils ne peuvent même pas toucher la montagne ! Seul Moïse, en tant que médiateur de l’alliance peut gravir le Sinaï[2]. Mais lui aussi est habité par la peur : « Je suis épouvanté et tout tremblant » (Hé 12.21)[3].

Le tableau menaçant que l’auteur brosse de la révélation accordée au Sinaï sert d’arrière-fond sombre pour mieux faire ressortir les privilèges des croyants de la nouvelle alliance : alors que les Israélites ne pouvaient même pas toucher la montagne sous peine de mort, les croyants de la nouvelle alliance se sont « approchés » de la montagne de Sion. La sainteté de Dieu reste la même : « notre Dieu est aussi un feu dévorant », comme le rappelle l’auteur au verset 29. Mais au lieu d’être « terrifiante et inaccessible », dans la nouvelle alliance, la sainteté divine « accueille, purifie et guérit[4] ». Non pas parce que Dieu aurait, tout à coup, baisser ses exigences – comment pourrait-il ne pas punir le péché, lui dont « les yeux sont trop purs pour voir le mal » (Ha 1.13) ? Mais dans la nouvelle alliance, la justice de Dieu, inaccessible dans le régime de la Loi est enfin accomplie. L’accès à la cité de Dieu est garanti par le sang de Jésus, comme le précise le verset 24 : son sacrifice expiatoire nous garantit un libre accès à la présence de Dieu.

« Vous vous êtes approchés… » (v. 22) : Le verbe grec se trouve au parfait, pour désigner une action du passé qui donne lieu à un état continu. Il fait référence à la conversion à Jésus-Christ, qui a introduit les croyants dans cette nouvelle sphère d’existence qui est désormais la leur[5]. L’auteur décrit cette réalité nouvelle à l’aide de huit expressions, groupées en quatre paires :

  • La montagne de Sion : Comme les tribus d’Israël convergent vers Jérusalem pour célébrer le culte du Seigneur (Ps 122.3s), ainsi les croyants de la nouvelle alliance viennent se rassembler à la rencontre de Dieu.
  • La cité du Dieu vivant, la Jérusalem céleste : La cité céleste émerge comme un thème majeur dans la dernière partie de l’épître aux Hébreux. Au chapitre 11, l’auteur la place au centre de l’attente des patriarches (v. 10, 16). Au chapitre 13, elle est la cité à venir, la seule à laquelle le chrétien doit sa loyauté, en acceptant le rejet du monde opposé à Christ (v. 13s). Dans notre texte, elle est cette patrie céleste à laquelle les chrétiens appartiennent dès à présent.
    Nous connaissons cette même dualité du livre de l’Apocalypse : la nouvelle Jérusalem est cette ville eschatologique qui apparaîtra quand le ciel descendra sur terre et que Dieu habitera parmi les hommes (Ap. 21.2s). Mais dès à présent, la montagne de Sion désigne le lieu où le culte est rendu à l’Agneau dans les cieux. Certes, aujourd’hui cette ville n’est pas encore descendue sur terre, la louange céleste reste encore cachée à nos yeux. Mais nous appartenons, dès à présent, à cette compagnie céleste. Ou pour employer un langage paulinien : nous sommes « assis dans les lieux célestes avec Christ » (Ép. 2.6)[6]. Notre Seigneur est déjà entré dans la présence du Père et règne du ciel ; c’est pourquoi nous, membres de son corps, nous sommes citoyens du ciel : c’est « la Jérusalem d’en haut … qui est notre mère » (Ga 4.26), non une quelconque ville des royaumes d’ici-bas.
  • Des myriades d’anges en fête : Le terme grec désigne une « réunion de fête » et est probablement à prendre avec ce qui précède comme complément circonstanciel, comme le fait la TOB et la Semeur, et en accord avec les manuscrits grecs qui comportent des ponctuations et les versions latine et syriaque[7]. Il n’est pas surprenant de trouver une multitude d’anges dans la présence de Dieu (Dt 33.2, selon la leçon des Septante ; Dn 7.10 ; Ap 5.11). L’ambiance festive contraste avec l’austérité qui entourait le don de la Loi. Jésus lui-même souligne que les anges se réjouissent « pour un seul pécheur qui se repent » (Lc 15.10). Il y a beaucoup de raisons de célébrer au ciel, depuis que la justice a été accomplie par le sacrifice de Jésus-Christ. Et si les anges font la fête, nous aussi, n’est-ce pas ?
  • L’assemblée des premiers-nés inscrits dans les cieux : c’est-à-dire nous. Nous sommes tous des enfants privilégiés – privilège que nous devons tenir en estime, contrairement à l’attitude d’Ésaü, dénoncée quelques versets plus haut (v. 16). Comme les premiers-nés de l’exode, nous sommes protégés par le sang de notre Agneau pascal (cf. Hé 11.28) ; nous sommes « inscrits dans les cieux », c’est-à-dire sûrs de notre salut[8].
  • Dieu, le Juge de tous (cf. Gn 18.25 : « le Juge de toute la terre ») : L’accent sur le rôle de Juge souligne la responsabilité solennelle des auditeurs et prépare la mise en garde qui conclura l’énumération (cf. Hé 4.13 ; 10.30s). En même temps, il fait ressortir d’autant mieux la solidité de notre espérance : que craindre encore si nous sommes approuvés par le Juge de tous, inscrits dans son livre de vie ?
  • Des esprits des justes parvenus à la perfection : Les croyants qui nous ont précédés dans la mort sont accueillis par Dieu dans sa présence. Ils ont achevé leur course ; le temps de l’épreuve et de la vigilance est passé pour eux. Pourtant, ce n’est pas leur mérite, mais la grâce de Dieu qui les a soutenus jusqu’au bout : c’est le Christ qui « peut sauver parfaitement ceux qui s’approchent de Dieu par lui » (Hé 7.25). Voici notre destinée finale : nous pouvons reprendre courage, car d’autres avant nous sont déjà arrivés jusqu’au bout.
  • Jésus : en point d’orgue de l’énumération. Comme l’exprime N.T. Wright, il est « le couronnement glorieux de la nouvelle Jérusalem[9] ».
  • Son sang nous permet l’accès à la Jérusalem céleste ; car il « parle mieux que celui d’Abel » : alors que le sang d’Abel criait vengeance, le sang de Jésus, symbolisant sa mort à notre place, proclame haut et fort que nous sommes réconciliés avec Dieu, puisque justice a été faite.

L’auteur brosse devant nous « une image dramatique, exaltante, glorieuse »[10]. C’est la réalité que nous vivons, le privilège qui est le nôtre. Pourtant, ce tableau grandiose nous interpelle aussi : « Votre vie de prière et d’adoration, que ce soit seul ou avec d’autres croyants, est-elle empreinte de la joie et de l’enthousiasme qui se dégagent de ces versets ?[11] »

2. Deux paroles : sur la terre et du ciel (Hé 12.25)

Après deux montagnes, au verset 25 voici deux paroles : l’une prononcée sur la terre, l’autre du ciel. On retrouve le contraste entre la révélation donnée au Sinaï et le régime de la nouvelle alliance. Les deux sont donnés par Dieu – c’est bien « sa voix » qui a retenti sur la terre, comme le souligne le verset suivant. L’auteur ne laisse aucun doute sur l’origine divine de l’ancienne alliance : dès le tout premier verset de son épître, il avait déjà exprimé la conviction que c’est le même Dieu qui parle dans les deux Testaments.

Et pourtant, une parole s’est fait entendre « sur la terre », l’autre « du ciel » :

  • La révélation au Sinaï avait été accompagnée de manifestations visibles, audibles sur la terre. Et elle a instauré des dispositions rituelles, extérieures, palpables, pour marquer son caractère provisoire : « La loi … [ne] possède [qu’]une ombre des biens à venir » (Hé 10.1 ; cf. 8.5 ; 7.16 parle de « commandement charnel »), dont « la réalité, c’est le Christ » (Col 2.15).
  • Mais « la parole de Dieu retentit désormais du ciel où le Fils, qui a commencé à la proclamer sur la terre (2.3) est “couronné de gloire et d’honneur” »[1]. Elle nous donne accès à un sanctuaire qui n’est pas fait de la main d’hommes (Hé 9.24), à la sphère de son règne invisible. Grâce à Jésus, nous pouvons adorer Dieu « en esprit et en vérité » (Jn 4.23s), entrer dans une relation spirituelle, directe avec ce Dieu saint.

Le contraste qu’établit l’auteur entre ces deux paroles sert à mettre en garde les lecteurs : « Prenez garde ! ne repoussez pas celui qui vous parle. Car si ceux qui repoussèrent celui qui sur la terre les avertissait, n’ont pas échappé au châtiment, à bien plus forte raison ne pourrons-nous y échapper nous-mêmes, si nous nous détournons de celui qui, des cieux, nous avertit » (v. 25).

De prime abord, cette mise en garde sévère pourrait surprendre : l’auteur n’a-t-il pas pris grand soin de souligner la liberté d’accès des chrétiens auprès de Dieu, leur appartenance à la cité céleste où règnent la joie et la justice ? La terreur du Sinaï n’est-elle donc pas derrière nous ? Oui et non – ou : non et oui.

Non, c’est le même Dieu saint ; tout pécheur qui veut se présenter devant lui sans recours au salut accompli par Jésus rencontre toujours le Juge de tous, qui ne pourra que le condamner : « notre Dieu est aussi un feu dévorant » (v. 29). Mais celui qui s’approche de Dieu couvert du sang de Jésus, pour reprendre le langage sacrificiel de l’épître, celui qui est « en Christ », pour parler avec Paul, ne craint plus rien.

D’où la mise en garde si solennelle, et répétée à travers l’épître, contre l’apostasie[2] : le croyant qui se détournerait de Jésus, pour revenir à sa vie ancienne, n’aurait plus aucune base pour espérer le salut. Nous devons l’entendre, nous laisser impressionner par cela – et ne pas l’évacuer trop vite, par des considérations dogmatiques sur l’impossibilité de perdre le salut. Ce texte – et d’autres similaires tout au long de l’épître – sont censés nous faire peur. Car cette peur est salutaire – et nous amène à nous réfugier toujours plus près de Jésus, seul lieu sûr. Et entièrement, totalement sûr, car Christ « peut sauver parfaitement ceux qui s’approchent de Dieu par lui », pour citer encore une fois Hé 7.25.

3. Deux ébranlements : de la terre seulement, et de la terre et des cieux ensemble (v. 26-27)

Deux montagnes, deux paroles – et encore deux ébranlements : « Sa voix ébranla alors la terre, et maintenant il nous a fait cette promesse : Une fois encore, je ferai trembler non seulement la terre, mais aussi le ciel » (v. 26).

Un ami kabyle m’a raconté son expérience du tremblement de terre en Algérie : une expérience très déroutante, car le sol se dérobe sous les pieds ; ce qui paraît le plus immobile – la terre – ne nous porte plus ! Mais imaginez alors un tremblement qui ébranle terre et ciel. N’est-ce pas la seule chose qui fait vraiment peur aux Gaulois invincibles : « Que le ciel nous tombe sur la tête » ! Comme si Dieu prenait le monde actuel fermement entre ses deux mains et le secouait, pour que tout ce qui est péché, mauvais, soit éliminé[15]. Ce qui reste, c’est Jésus ; ceux qui lui appartiennent ; le monde nouveau qui a déjà commencé dans la cité de Dieu, cité qui existe dès à présent et qui est encore à venir, et à laquelle nous appartenons en tant que chrétiens.

Regardons de plus près ces deux ébranlements :

  1. L’ébranlement de la terre fait référence aux événements extraordinaires qui avaient accompagné le don de la Loi au mont Sinaï[16].
  2. L’ébranlement de la terre et du ciel provient de la promesse donnée en Aggée 2.6, que l’auteur cite selon la version des Septante[17] : « Une fois encore, je ferai trembler non seulement la terre, mais aussi le ciel. ». La prophétie avait été donnée en 520, au moment de la reconstruction du temple, après l’exil babylonien. Malgré la modestie de l’entreprise, bien misérable en comparaison avec le temple originel de Salomon, vu les moyens limités des personnes revenant de l’exil (Ag 2.3s ; cf. Esd 3.12), le Seigneur promet que « la gloire de cette dernière maison sera plus grande. » Car, « c’est dans ce lieu que je donnerai la paix », annonce le Seigneur (Ag 2.9) – promesse qui s’est réalisée quelques 550 ans plus tard. Ce même temple était encore debout quand le Fils de Dieu est venu sur terre ; c’est bien dans ce temple qu’il a enseigné. C’est là que notre Seigneur a dit : « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai » (Jn 2.19).

L’ébranlement total qu’Aggée entrevoit s’accompagne de l’ébranlement des nations (Ag 2.7). Il aura pour conséquence que la résistance des ennemis sera brisée (v. 22) et que les nations afflueront à Jérusalem, pour apporter leurs richesses dans le temple (v. 7). Ces promesses s’accomplissent pour les chrétiens.

De nouveau, nous retrouvons cette double dimension de la réalité déjà présente et encore à venir :

  • Dès à présent, nous sommes libérés de toutes les forces du mal, car Christ a triomphé d’elles à la croix (Col 2.15). Nous appartenons déjà à ce royaume inébranlable, à ce nouveau monde inauguré à la résurrection de Jésus.
  • En attendant la victoire finale, nous aspirons encore à voir la nouvelle Jérusalem descendre du ciel sur terre, « les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre y apporteront leur gloire » (Ap 21.24).

4. Vivre sur terre comme des citoyens du ciel (12.28-29)

Si l’auteur de l’épître aux Hébreux revient à l’attente eschatologique au chapitre suivant (13.14), dans notre passage, l’accent tombe sur les conséquences, ici et maintenant, de notre appartenance au royaume inébranlable. Car dans la Bible, l’espérance eschatologique a toujours des répercussions très concrètes. Dès aujourd’hui, nous sommes appelés à vivre sur terre comme des citoyens du ciel.

Qu’est-ce qui change dans notre vie si nous comprenons vraiment le privilège qui est le nôtre : d’appartenir, dès à présent, à la cité de Dieu ? L’auteur met en avant deux aspects de notre réponse : la reconnaissance et le service : « Puisque nous recevons un royaume inébranlable, ayons de la reconnaissance, en servant Dieu d’une manière qui lui soit agréable, avec piété et avec crainte » (v. 28).

  • La gratitude[18] pour toutes les bontés du Seigneur : les bénédictions matérielles, la santé, et avant tout le salut. Nous appartenons à la communion des saints ; nous pouvons parler librement à Dieu dans la prière ; notre destinée éternelle est assurée – tout cela nous ne le méritons pas. C’est par la grâce que nous venons nous présenter devant Dieu ; et Dieu nous accueille parce que le sang de Jésus crie réconciliation.
  • Le service : Peut-être est-ce ici la première, et la plus importante réponse à la crise des vocations : nous stimuler mutuellement dans cette attitude de reconnaissance. Nous rappeler quel privilège extraordinaire est le nôtre : nous appartenons à cette communauté où tous sont prêtres et rois. Justement, il n’y a plus de caste sacerdotale à part, mais nous sommes tous appelés à servir Dieu. Il n’y a pas qu’un seul homme, descendant d’Aaron, qui peut entrer dans le saint des saints, une fois par an, mais nous tous qui croyons en Jésus et en son sacrifice expiatoire, nous nous sommes approchés de Dieu. Et si nous comprenons quel est ce Dieu dont nous nous sommes approchés, nous le servirons « avec crainte et profond respect », comme le traduit la Bible du Semeur. Car « notre Dieu est un feu dévorant » – ou, si vous me permettez un emprunt aux Chroniques de Narnia : Aslan n’est pas un « lion apprivoisé »[19].

Le chapitre suivant de l’épître dira très précisément en quoi consiste ce service agréable à Dieu. Et ce qui suit a de quoi nous surprendre : ce n’est pas d’abord une liste de ministères exercés dans l’Église, une énumération d’activités que nous classerions dans la catégorie « spirituelle ». Mais c’est l’amour fraternel (Hé 13.1) ; l’hospitalité (v. 2) ; le soutien aux prisonniers et à ceux qui sont maltraités (v. 3) ; la pureté sexuelle et le respect du mariage (v. 4) ; le détachement par rapport à l’argent et la confiance que Dieu pourvoira à tous nos besoins (v. 5-6) ; la mémoire chérie de ceux qui nous ont annoncé la parole de Dieu et qui nous ont précédés dans la gloire (v. 7).

Servir en route vers la cité céleste

Il serait utile de se demander ce qui devrait changer dans la vie de nos Églises, dans nos discussions entre chrétiens et dans nos programmes de formation, si nous prenions à cœur ce que l’épître aux Hébreux a à nous dire sur le service agréable à Dieu. Sans tenter d’apporter une réponse élaborée à cette question, je voudrais vous laisser avec une piste de réflexion parmi bien d’autres.

En droite ligne avec l’exhortation de nous laisser inspirer par l’exemple de nos conducteurs qui ont tenu bon jusqu’au bout, j’ai pensé à Billy Graham et la stratégie qu’il avait adoptée pour ne pas céder aux trois tentations classiques du responsable, que nos amis anglophones résument dans le slogan : « sex, power, money », que l’on pourrait rendre par « voir, avoir, pouvoir ». Ces mêmes tentations sont abordées dans la liste des exhortations pour le service agréable à Dieu au treizième chapitre de l’épître aux Hébreux. Assez tôt dans son ministère public (en 1948), Billy Graham avait demandé à ses compagnons de service de se retirer pendant une heure, pour que chacun réfléchisse aux difficultés que les évangélistes rencontrent. Ensuite ils ont mis en commun leurs résultats et ont pris quatre résolutions, pour s’en prémunir. Ce que l’on est venu à appeler le « Manifeste de Modesto », d’après la ville en Californie où ils étaient réunis, concernait quatre domaines : l’intégrité financière, la pureté sexuelle, le partenariat avec les Églises locales, sans esprit de critique, et la véracité dans la communication[20].

Il me semble que cette liste n’a rien perdu de son actualité. Quelles résolutions aurons-nous, à notre tour, à prendre pour nous engager d’abord, et persévérer ensuite, dans le service de Dieu « qui lui soit agréable, avec crainte et profond respect. » ?

________Lydia Jaeger

[1] Les citations bibliques dans l’article suivent la traduction dite à la Colombe (par endroits légèrement retouchée).

[2] Les meilleurs manuscrits grecs ne comportent pas de nom, alors que le texte reçu a « montagne ». De toute façon, ce mot est sous-entendu (cf. v. 22).

[3] Samuel BÉnÉtreau, L’Épître aux Hébreux, coll. Commentaire Évangélique de la Bible, Vaux-sur-Seine, Édifac, tome 2, 1990, p. 193.

[4] Ce dire de Moïse n’est pas rapporté en lien avec le don initial de la Loi, mais on trouve une parole proche après l’incident du veau d’or (Dt 9.19). Il est plausible que l’épître aux Hébreux fasse un télescopage des différents événements qui se sont déroulés au Sinaï. F.F. Bruce, The Epistle to the Hebrews, coll. The New International Commentary on the New Testament, Grand Rapids, Eerdmans, 1990rev, p. 355, considère possible que notre texte se réfère à une tradition haggadique qui attribuerait de tels sentiments à Moïse lors de la révélation de la Loi. Étienne mentionne des sentiments similaires pour Moïse au moment de la révélation au buisson ardent (Ac 7.32).

[5] N.T. Wright, Hebrews for Everyone, London, SPCK, 2003.

[6] De ce verbe dérive le mot « prosélyte ». Bruce, op. cit., p. 355, cite Philon qui, dans un passage sur la vision de Dieu par Moïse (Ex 33.13-23), dit de ceux qui ont la même disposition de s’attacher à la vérité, et non aux fables, que Moïse « les appelle “prosélytiques”, car ils “se sont approchés” d’une nouvelle communauté qui aime Dieu. » Le verbe s’y trouve aussi au parfait.

[7] En prêchant (en trois séries) « au fil de » l’épître aux Hébreux, j’ai été frappée par la proximité entre la théologie de l’épître et celle de Paul : plus d’une fois, le meilleur verset pour résumer l’enseignement d’un passage se trouvait chez… Paul ! Il ne m’étonne donc plus que d’aucuns dans l’Antiquité ont attribué cette lettre à Paul, malgré le langage déployé assez différent. Cette observation soutient l’idée que l’auteur était quelqu’un de l’entourage de Paul ; cf. la mention de Timothée, 13.23.

[8] Bruce, op. cit., p. 353, n. 131.

[9] L’interprétation adoptée est celle (parmi d’autres) de Bénétreau, Bruce, Wright. D’autres voient dans les « premiers-nés » les anges, car créés avant les humains. Mais Bruce, op. cit., p. 358, souligne que la notion d’être inscrit aux cieux s’applique toujours à des hommes (Lc 10.20 ; Ap 21.27, etc.). Calvin et Bengel avaient compris les « premiers-nés » comme les croyants de l’ancienne alliance, venus avant les croyants de la nouvelle alliance, mais sans parvenir à la perfection sans eux (Hé 11.39-40). Pourtant, le texte indique nous nous sommes approchés de l’assemblée des premiers-nés, précision qui manque pour les anges et suggère que les lecteurs en font partie. Ainsi, l’expression doit englober l’Église militante sur terre et l’Église glorifiée au ciel.

[10] Wright, op. cit., p. 162: « the crowning glory of the new Jerusalem ».

[11]  Wright, op. cit., p. 163.

[12] Ibid.

[13] BÉnÉtreau, op. cit., p. 200. L’expression « couronné de gloire et d’honneur » provient de Hé 2.7, 9, qui cite Ps 8.6.

[14] De telles exhortations solennelles sont une marque de fabrique de l’épître aux Hébreux : 2.1-4 ; 3.12s ; 4.1 ; 6.4-8 ; 10.25-31 ; 12.15-17 ; etc.

[15] Je reprends cette image de Wright, op. cit.

[16] La référence peut être à Ex 19.18, mais la Septante, que l’auteur suit habituellement, évacue l’idée d’ébranlement physique. De toutes les façons, l’élément est bien présent dans des reprises poétiques de l’événement, pour faire ressortir le caractère spectaculaire des phénomènes : Jg 5.4 ; Ps 68.8s. On le trouve aussi pour la traversée de la mer Rouge : Ps 77.19 ; il fait partie du décor habituel des théophanies (Ps 18.8 ; 82.5 ; Es 6.4 ; Am 9.5 ; Jb 9.6 ; références recueillies dans BÉnÉtreau, op. cit., p. 201).

[17] Brian Tidiman, Les livres d’Aggée et de Malachie, coll. Commentaire Évangélique de la Bible, Vaux-sur-Seine, Édifac, 1993, p. 117, explique la situation textuelle par rapport à cette variante.

[18] BÉnÉtreau, op. cit., p. 205, discute les deux traductions possibles et les arguments avancés respectivement : « tenons bien la grâce » (retenue par la TOB et la Bible de Jérusalem) ; et « soyons reconnaissants » (adoptée par la BC, NBS, BFC, NFC, Semeur). Bénétreau privilégie la première traduction, contre la majorité des modernes.

[19] En anglais : « He is not a tame lion », un lion dompté.

[20] https://billygraham.org/story/the-modesto-manifesto-a-declaration-of-biblical-integrity (consulté le 18 novembre 2023).

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Sur « Jésus, le pain de vie »

Sur « Jésus, le pain de vie »

Pain de vie

Partageons notre pain avec celui qui a faim…

Le récit de la multiplication des pains est souvent invoqué par les chrétiens qui prennent à cœur l’appel du prophète à partager leur pain avec celui qui a faim. Il y a de bonnes raisons pour cela mais encore faut-il trouver lesquelles !

L’Évangile selon Jean nous raconte le lendemain de l’histoire (Jean 6.22). La multiplication des pains a mis la foule en appétit… mais n’a pas discerné que ce que Jésus a fait pointait vers quelque chose d’autre (cf. verset 26). Il voudrait que la foule s’intéresse à ce que le miracle voulait dire bien davantage qu’au fait de faire un bon repas et n’a pas l’intention de pérenniser la multiplication des pains. En cela, l’œuvre de Jésus s’éloigne de ce que nous appellerions une « action sociale ».

Le pain terrestre que Jésus a donné à la foule était un signe pour désigner ce que nous devons rechercher comme étant la grande affaire de notre vie, c’est-à-dire Lui-même. Jésus est le Dieu véritable et la vie éternelle et le Royaume de Dieu en personne. Lui seul satisfait pleinement les aspirations et les besoins les plus profonds de celui qui le reçoit : « Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » (cf. verset 35) Tout cela, il le fait gratuitement, comme un cadeau.

Quand Jésus multiplie les pains, il ne mène donc pas une action sociale mais donne un signe du don de la vie éternelle. Or celle-ci n’est pas une affaire uniquement spirituelle. Dans la suite du chapitre, Jésus insistera sur la résurrection promise pour le dernier jour. Dieu a un avenir pour notre corps, pour l’humanité et pour l’ensemble de la création. Les réalités terrestres comptent pour Dieu et les chrétiens peuvent faire de leur implication sociale un signe de leur espérance ultime.

Comprendre que Jésus est le pain de vie nous montre également que notre vie dépend du don qu’il nous a fait de nous-mêmes. Cela devrait se refléter dans toutes les facettes de notre vie et qu’y a-t-il de plus logique que celui qui vit du pain descendu du ciel partage son pain avec celui qui a faim ? Il y a bien des conséquences sociales à la foi en Jésus comme pain de vie à laquelle la multiplication des pains renvoyait.

Enfin, si Jésus a fait le miracle de la multiplication des pains pour donner un signe qui allait au-delà d’une simple distribution de nourriture, il l’a aussi fait parce que les gens avaient faim. Jésus, qui est devenu vraiment homme en descendant du ciel, est pleinement entré dans la solidarité humaine, la compassion, la pratique de la justice demandée de tout être humain, qui caractérise la vie que Dieu veut pour les créatures faites en son image. La multiplication des pains nous renvoie aussi au fondement « créationnel » de notre action sociale.

Fondement créationnel, conséquences sociales du salut, signe d’un salut futur intégral : oui le récit de la multiplication des pains, lorsqu’il est lu de près, peut motiver et nourrir notre engagement face à la pauvreté.

Daniel Hillion

Directeur des études au SEL – Professeur associé à l’IBN

L’Évangile selon Jean nous raconte le lendemain de l’histoire (Jean 6.22ss). La multiplication des pains a mis la foule en appétit… mais n’a pas discerné que ce que Jésus a fait pointait vers quelque chose d’autre (cf. verset 26). Il voudrait que la foule s’intéresse à ce que le miracle voulait dire bien davantage qu’au fait de faire un bon repas et n’a pas l’intention de pérenniser la multiplication des pains. En cela, l’œuvre de Jésus s’éloigne de ce que nous appellerions une « action sociale ».

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