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Auteur/autrice : Anne Sorigue

IA : « Ne soyons pas… sans intelligence »

HEBREUX 12.18 – 12.29
APPELES A SERVIR DIEU :
EN ROUTE VERS LA CITE CELESTE

Depuis quelques années, l’Intelligence Artificielle et ses usages se développent rapidement. L’IA suscite des débats sur les opportunités ou les dangers qu’elle représente, nous aimerions savoir quoi en penser. Anne Ruolt, professeur à l’Institut, sollicitée sur le sujet lors du dernier Centre Évangélique (« L’IA : le César, le Panoramix ou l’Astérix de votre vocation d’enseignant de la Bible ? ») nous livre ses réflexions sur le sujet.

ChatGPT, vous connaissez ?

En 1968, à propos de l’ordinateur qui apparaissait dans les universités et en entreprises[1], H. Blocher écrivait dans son article « Les évangéliques & l’ordinateur » :

« On fait souvent aux chrétiens la réputation des carabiniers, celle d’arriver toujours en retard. Quand la technologie moderne met au point de nouveaux moyens d’action ou de communication (cinéma, télévision), ils commencent par y flairer une invention diabolique (et ils laissent le champ libre au diable, qui en profite pour s’en servir le premier) ; longtemps après, cependant, ils se rendent compte qu’ils pourraient, eux aussi, en tirer parti, pour la diffusion et la défense de l’évangile. L’ordinateur des évangéliques servira d’abord à l’apologétique, à l’évangélisation en milieu universitaire […] »[2].

Ni l’IBPhile, ni le Centre Évangélique ne sont en retard à propos de l’Intelligence Artificielle (IA) ! En effet, depuis le 30 novembre 2022, ChatGPT, -Chat pour agent conversationnel ; GPT pour Generative Pre-trained Transformer ou transformeur génératif pré-entraîné-, tous en parlent ! Alors que Sciences Po Paris, inquiète, interdisait l’usage de ce « robot » à ses étudiants, la célèbre MIT (Massachusetts Institute of Technology, Institut de technologie du Massachusetts) s’enthousiasmait pour cette innovation et encourageait ses étudiants à s’en servir.

En 1993 déjà, V. Vinge (1944-), mathématicien, mais aussi auteur de roman de science-fiction, conceptualisait la peur de l’innovation informatique sous le nom de « singularité technologique » et prophétisait ceci : « D’ici trente ans, nous aurons les moyens technologiques de créer une intelligence surhumaine. Peu de temps après, l’ère humaine sera terminée. »[3] En 2023, alors qu’existent déjà les calculatrices, les microscopes, les télescopes, les IRM, les traducteurs en ligne, les grues, etc., qui accélèrent, précisent, décuplent les capacités biologiques de l’homme, l’espèce humaine est toujours là, et ce sont davantage les guerres et le COVID qui la font trembler.

Pour l’ingénieur L. Julia (19660-), père de Siri, « l’intelligence artificielle n’existe pas ». Il parle d’Intelligence Augmentée. Comme pour son collègue Y. LeCun (1960-), prix Turing (2018) : « l’intelligence artificielle est un moyen d’amplifier » les aptitudes naturelles de l’homme, et non de la remplacer. C’est concevoir l’IA comme un nouvel outil au service de l’Intelligence Humaine (IH) comme le fut la « Pascaline », en 1642, la première machine à calculer, fabriquée par le jeune Blaise Pascal (1623-1662), pour faciliter le travail de son père nommé premier président à la Cour des aides de Normandie. Pourtant, alors que les premières calculatrices électroniques apparaissent en 1961, leur autorisation au baccalauréat ne remonte qu’à 1980, mais à cette époque déjà, quel ingénieur aurait pu s’en passer dans son travail ? Aujourd’hui, quel comptable, quel secrétaire, quel bibliothécaire, pourrait travailler sans ordinateur et sans Internet ? Alors, qu’en est-il de notre rapport à l’IA ?

Après un mot sur l’histoire de cette innovation, deux mots sur le rapport de l’homme à l’IA, nous terminerons avec trois mots sur ce qui contribue au développement de l‘IH et ce que l’IA peut apporter à l’IH des chrétiens.

1 .Un mot sur l’histoire des trois printemps de l’IA

C. Villani (1973-) définit l’ambitieux objectif des chercheurs en IA ainsi : « comprendre comment fonctionne la cognition humaine et la reproduire ; créer des processus cognitifs comparables à ceux de l’être humain » [1]. Il s’agit donc de créer un outil qui réponde simplement au texte ou à la voix humaine, comme le ferait un humain expert. La première grande date, 1943, est celle de la modélisation mathématique du neurone humain pour le répliquer, établie par W. McCulloch (1989-1969) et W. Pitts (1923-1969). S’ensuivirent une succession de saisons fastes pour la recherche puis d’hibernation, faute de moyens.

Le premier printemps de l’IA (1950-1973) commence en 1950 par la construction de la machine de Turing. Le néologisme « IA » est forgé en 1956 par l’américain J. McCarthy (1927-2011) du MIT (Massachusetts Institute of Technology) à l’occasion d’un colloque au Dartmouth College. L’IA désigne alors une nouvelle discipline universitaire. On est très loin du Maschinenmensch de Métropolis (1927) qui a inspiré C3PO de Star Wars (1977) ! Les premières applications sont des traducteurs linguistiques. Pour des questions éthiques, les budgets sont coupés. Le deuxième printemps (1981-1986) est marqué par l’essor des systèmes experts, mais est arrêté par le développement des micro-ordinateurs qui attirent les capitaux des investisseurs. Le troisième printemps court depuis 1990. Les ordinateurs sont toujours plus puissants et leur mémoire, plus grande. La quantité de ressources (Data) explose et permet d’entraîner les algorithmes à accomplir différentes tâches.

Nous verrons bientôt si Julia a raison de penser que nous sommes à la veille d’un nouvel hiver. En tout cas, aujourd’hui, on distingue trois catégories d’IA. ChatGPT 3 appartient à la première, celle des IA faibles ou étroites dénommées ANI (Artificial Narrow Intelligence) qui sont capables de réaliser, en quelques secondes, une seule tâche de manière quasi parfaite.

Par exemple, rédiger un texte administratif, résumer un article, conduire automatiquement une voiture, réaliser une image, une mélodie, reproduire une voix. Les prochaines versions de ChatGPT, comme le projet français kuytai, appartiennent à la seconde catégorie d’IA : l’IA générale ou profonde dénommée AGI (Artificial General Intelligence). Ces algorithmes, multitâches, devraient être capables de réaliser n’importe quelle tâche cognitive comme le ferait un humain. L’IA de « troisième type » est l’IA forte ou super-intelligente dénommée ASI (Artificial Super Intelligence). Elle devrait savoir pourquoi elle accomplit ces différentes tâches, autrement dit, montrer des signes d’une conscience propre. Ce modèle relève de la science-fiction pour de nombreux spécialistes comme Julia et déjà Turing. Pour eux, la machine ne pense pas, elle imite l’homme, car un algorithme n’a ni conscience, ni libre arbitre. A. Pouget, Professeur à l’Université de Genève, qui estime proche l’avènement d’une IA de ce type, prend la précaution de parler de la « conscience » sans rapports avec la définition des philosophes laissant supposer l’invention d’une théorie de « conscience artificielle ».

2. Deux mots sur les effets des innovations techniques

Le mythe des robots humanoïdes

Avant l’effet Deep Blue qui, en 1997, a battu Kasparov aux échecs, le mythe du robot créé par l’homme, à son image, et qui le supplante, a nourri toutes sortes de fantasmes. En 1769 déjà, J. W. von Kempelen (1734-1804) fabriquait « le Turc joueur d’échec », un automate, qui a battu aux échecs de grandes figures de l’époque, dont Napoléon Bonaparte (1769-1821). Mais c’était une supercherie. C’est un fameux joueur d’échec, dissimulé sous la table, qui déplaçait les pièces magnétiques.

Le mythe de Golem illustre l’humanoïde archétype à la fois du rédempteur et du monstre. Ce récit, qui trouve sa source dans la Cabale juive (XIIe), met en scène un sage rabbin qui, pour protéger sa communauté, fabrique une créature humanoïde avec de la boue et lui donne vie par une opération mystique. Le Golem suit mécaniquement les ordres. Il est dépourvu de libre arbitre et de conscience du bien ou du mal. L’analogie avec l’IA met en évidence l’effet utilitaire, et facilitant, de l’outil créé par l’homme. En médecine par exemple, il détecte plus efficacement que l’œil du radiologue certaines tumeurs. Cependant, mal contrôlé, ou interprétant mal les ordres, le Golem pouvait devenir dangereux, mais son maître pouvait le désanimer, et il redevenait poussière. L’analogie avec l’IA met en évidence la peur de l’homme d’être dominé par des algorithmes qui s’emballent de façon incontrôlée, et qui, au lieu de le protéger, lui nuise jusqu’à l’éliminer. Cette crainte, qui est celle du survivaliste S. Altman, le patron de ChatGPT, et le sujet de films de science-fiction, n’est-elle pas, en miroir, une forme de réminiscence édénique inconsciente, où l’homme, créé en image de Dieu, voulant se faire l’égal de son Créateur, voit la situation lui échapper et bien des conséquences pénibles l’atteindre ?

Les innovations techniques et les hommes

L’IA va, nous dit-on, opérer la quatrième grande révolution dans l’histoire des techniques de communications, après l’imprimerie au XVe siècle, la radio et la télévision à partir de la fin du XIXe siècle, l’ordinateur et Internet depuis le milieu du XXe siècle. Mais c’est oublier l’invention de l’écriture ! Platon n’a pas manqué de l’évoquer dans Phèdre pour fixer la fonction et les limites des techniques. C’est l’histoire de Theuth, qui, dans la mythologie égyptienne, est la divinité qui a inventé l’écriture. Alors qu’il cherchait à persuader le roi Thamous que son invention allait servir de « remède pour soulager la science et la mémoire » et « rendre les Égyptiens plus savants », le roi, d’un autre avis, lui rétorqua :

« Tu as trouvé le remède, non point pour enrichir la mémoire [pour Platon, être intelligent, passait par la mémorisation des connaissances], mais pour conserver les souvenirs qu’elle a. Tu donnes à tes disciples la présomption qu’ils ont la science, non la science elle-même. Quand ils auront, en effet, beaucoup appris sans maître, ils s’imagineront devenus très savants, et ils ne seront que … des savants imaginaires.[1] »

De même que posséder une belle bibliothèque chez soi ne rend pas automatiquement savant, l’écriture, si elle permet de conserver l’information, ne rend pas savant comme par enchantement. Pour cela, l’homme doit savoir exploiter ce qui est écrit ! Contrairement aux outils qu’il créé pour lui faciliter le travail, seul l’homme est un être pensant.

L’imprimerie, qui permet de diffuser des écrits en plus grand nombre et à moindre coût, engage à exercer le discernement. V. Hugo n’écrivait-il pas : « Ceci tuera cela, le livre tuera l’édifice [pour parler de l’Église] » ?[1] À Strasbourg, une statue représente Gutenberg une feuille de papier en main sur laquelle il est écrit : « Et la lumière fut ». Cela fait écho autant au texte de la Genèse qu’au siècle des Lumières qui prend ses distances vis-à-vis du message de l’Évangile. La technique ne garantit pas la teneur des textes diffusés, et ceci bien avant qu’Internet et les réseaux sociaux n’apparaissent !

Aussi nous ne nous étonnons pas que l’invention du téléphone ait provoqué toutes sortes de craintes. Si G. Claisse évoque à son propos en 1993 les mythes « de la convivialité, de l’ubiquité, et de l’indifférenciation, voire de l’ouverture sociale » [2], un siècle plutôt, en 1893, le Cosmopolitan qualifiait le téléphone « d’ersatz de sociabilité [qui] rend les hommes plus paresseux, moins enclins à se rendre visite[…] Il donne naissance à une collectivité plus vaste mais moins profonde »[3]. Pourtant, en réduisant les distances, l’innovation a permis d’appeler plus vite les secours et de sauver des vies, comme, à un autre titre, « la Bible par téléphone » !

Nous avons fait l’expérience de demander à trois IA (ChatGPT, Bars de Google et Biblemat de Polepaka) d’expliquer comment décider si, dans Jean 7.36-37, les fleuves d’eau vives coulent du sein de Jésus ou du croyant. Elles ont conclu que l’on ne peut pas trancher et recommandent de consulter des commentaires, preuve qu’à ce jour, il reste toujours plus efficace de lire un bon commentaire pour faire le point sur une interprétation délicate. Cependant, la traduction ou le résumé quasi instantané d’un texte est bluffant. Vous avez un texte à préparer pour la radio et vous n’êtes pas un as du français ? L’IA le fera pour vous en lissant le style, mais ne comptez pas sur elle pour réaliser l’enquête de terrain à votre place. Elle vous aidera à résoudre un problème de programmation informatique en vous évitant les tâches fastidieuses et vous faisant ainsi gagner beaucoup de temps. Il en ira de même pour concevoir un emploi du temps complexe comme celui de l’Institut biblique, ou encore pour concevoir vos illustrations et contourner ainsi le problème des droits en matière d’image.

Mais ce que génère avec aplomb l’IA doit toujours être vérifié, comme du reste toutes les informations collectées sur la toile et même ce que nous trouvons dans les livres. Dans tous ces cas, nous avons besoin de savoir qui écrit, à qui, dans quel contexte, pourquoi et comment. Il y a cependant une difficulté de fiabilité propre aux IA. En effet, sauf exception, l’IA donne toujours une réponse, celle qui est la plus probable, mais ne cite jamais de références ou, parfois, en invente. C’est pourquoi, à ce jour, l’IA est inappropriée pour un travail scientifique qui exige que le lecteur puisse vérifier la qualité des sources. Biblemat, l’IA qui se veut « chrétienne », fondée par S. K. Polepaka, n’y échappe pas.

Quelles autres applications imaginer pour l’évangélisation ? L’agent conversationnel « Text with Jésus », qui donne l’illusion de converser directement avec Jésus, Marie ou les disciples, est un outil contestable, d’un point de vue éthique et théologique. D’une part, il donne l’illusion de parler directement avec des morts, d’autre part, il présente Jésus comme un distributeur automatique de conseils, et éloigne de l’étude personnelle intelligente de la Bible. Les personnes intelligentes sauront aller à la source, en tout cas les chrétiens doivent les y accompagner !

Dans son article « ChatGPT pourrait-il faire des disciples ? », J. Waston, du Mouvement de Lausanne, souligne une autre difficulté de cette technologie nouvelle : en donnant l’illusion de relations interpersonnelles directes, l’IA déshumanise. L’activité de l’Église ne se résume pas à délivrer des enseignements : la communion fraternelle, les prières, la fraction du pain exigent la présence et le partage avec de vrais humains.

Pour nous, l’IA est davantage un « outil » qu’un « agent » conversationnel, comme en témoigne cette autre expérience faite par le pasteur méthodiste J. Cooper. En octobre dernier, il a demandé à l’IA d’organiser son culte, pour, dit-il : « amener une bouffée d’air moderne ». L’évaluation de son expérience tient en ces quatre mots : « en bref, c’était ennuyeux »[4]. Le manque de créativité peut donner le sentiment de production ennuyeuse même si tout est exprimé dans une langue quasi parfaite. En l’absence d’un prédicateur bien formé, pour quelqu’un qui ne serait pas en capacité de préparer un culte substantiel, structuré et dans une langue claire, encore vaut-il mieux, comme au XIXe siècle, lire un bon sermon d’un bon auteur, tiré d’un livre ou d’Internet !

3. Trois mots sur ce qui augmente l’IH.

L’éclairage de l’imagerie médicale

Les recherches menées grâce de développement de l’imagerie médicale ont permis de mettre en évidence la notion de plasticité du cerveau humain que la neurobiologiste C. Vidal définit comme la « capacité du cerveau à se façonner au gré de l’histoire vécue. Rien n’est jamais figé dans nos neurones, quels que soient les âges de la vie ».[1]

Cet exemple des jongleurs illustre ce dont il s’agit. En 2004, une recherche universitaire, menée en Allemagne, a montré que lorsqu’un groupe s’est entraîné intensivement à jongler pendant 3 mois, une expansion de la matière grise d’une zone du cerveau peut être mise en évidence par une IRM. Ensuite, après 3 mois d’arrêt de l’entraînement et de la pratique, l’expansion diminue. Cependant, elle épaissit de nouveau lorsque l’entraînement intensif reprend. Le même constat est fait auprès des chauffeurs de taxis londoniens dont l’examen professionnel est très exigeant, ainsi qu’auprès de musiciens.

L’entraînement permet de développer son cerveau, un peu comme les séances de musculation pour les biceps ! Le travail est un premier facteur d’augmentation naturel de l’IH !

Le psychiatre B. Cyrulnik, grâce à l’imagerie cérébrale utilisée auprès des orphelins en Roumanie, a de même constaté que la stimulation psycho-affective de l’enfant par l’adulte, est nécessaire à son développement cognitif, et c’est là un autre facteur d’augmentation de l’IH.

On se souvient que, sous la présidence de N. Ceaușescu (1918-1989), de nombreux enfants avaient été placés dans des orphelinats d’État où ils étaient nourris, vêtus, et tenus propres, mais sans qu’aucun adulte n’ait de temps à leur consacrer. Qualifiés de déficients mentaux, ces orphelins se balançaient d’avant en arrière sur leur lit et les scanners confirmaient une atrophie des deux lobes préfrontaux et des circuits limbiques. Cyrulnik affirme avoir refait passer un scanner à ceux de ces jeunes enfants qui avaient pu être placés dans des familles d’accueil à Toulon, et où ils avaient pu être entourés, cognitivement stimulés par des jeux, des comptines et des paroles qui leur étaient adressés. Il a constaté que les connexions, absentes des scanners initiaux, s’étaient faites. Les relations sociales, liées à l’attachement, participent donc au développement cognitif.

Les travaux de la pionnière du concept de résilience, la psychologue E. Werner (1929-2017), sont aussi éloquents. La résilience répond à cette question : Qu’est-ce qui permet de « rebondir » après un traumatisme ? En 1982, elle constate qu’une fois devenus adultes, 28 % des 545 enfants nés en 1955 au sein de familles socialement démunies et fragiles à Hawaï n’avaient pas été fracassés par leur contexte de vie. Elle relève que ces enfants avaient bénéficié d’un soutien familial solide, de chaleureux rapports parents-enfant ou de « tuteurs de résilience » comme des enseignants, des assistants sociaux ou des amis. Ils étaient intégrés à une Église ou un groupe d’YMCA.

Les relations sociales chaleureuses et saines sont un autre facteur important du développement cognitif.

À cela, il faut au moins ajouter le sommeil. En dormant, notre cerveau consolide les apprentissages du jour et permet d’oublier le trop-plein ! Lorsqu’une décision est difficile à prendre, la sagesse populaire ne dit-elle pas, que la nuit porte conseil ? La veille d’un examen, il faut DORMIR !

L’IA, en tant qu’outil pour alléger et rendre plus efficace le travail de l’homme, au même titre que les réseaux sociaux ou Internet, ne peut pas remplacer ces facteurs. Au contraire, une relation inadéquate à l’IA favorisera la déshumanisation, et atrophiera l’IH.

L’intelligence et les intelligences

Puisque l’IA cherche à imiter et reproduire l’IH pour augmenter ses performances, qu’est-ce que l’IH ?

La définition fonctionnelle d’A. Pouget est la plus minimaliste : « L’intelligence, ce sont toutes les fonctions contrôlées par le cerveau »[1]. Julia pointe la capacité créatrice de l’homme : « L’intelligence : capacité de casser les règles, d’innover, de s’intéresser à ce qui est différent, à ce que l’on ne connaît pas […] Ce qui est considéré aujourd’hui comme de l’intelligence peut ensuite être vu comme de la simple connaissance ».[2]

D’autres auteurs parlent de l’intelligence multiple[3]. Le principe, forgé par H. Gardner (1943-) en 1983 puis enrichi en 1993, et revu en 2016, est le plus complet. Il parle d’un spectre de huit habiletés, avec une demie supplémentaire (la 8,5e) : l’intelligence existentielle ou spirituelle qui affecte toutes les autres et les oriente, pour le meilleur ou pour le pire.

Les huit autres intelligences sont regroupées en quatre types : les intelligences scolaires comprennent les facultés linguistiques et logico-mathématiques ; les intelligences méthodologiques qui correspondent aux facultés kinesthésiques et visuo-spatiales ; les intelligences environnementales qu’il nomme : naturalistes et musicales ; les intelligences d’actions qui sont les intelligences interpersonnelles et intrapersonnelles.

0. Houdé parle de formes cognitives compatibles avec l’imagerie cérébrale, et loue Gardner d’avoir « eu le mérite d’introduire la notion très “biologiquement compatible’’ de diversité dans l’intelligence humaine »[4] et d’avoir incité à enseigner en prenant les différents sens en considération.

Alors que l’IA est adaptée à la maîtrise des connaissances déclaratives, c’est-à-dire l’exposé des faits, des dates, des lois… et des connaissances procédurales, en rédigeant, résumant ou traduisant automatiquement des textes, elle n’est pas adaptée à produire des savoirs conditionnels et conceptuels, faisant appel au discernement et à la créativité, le propre de ce que l’on attend d’une intelligence humaine, d’une prédication nourrissante et vivifiante. Notons que les termes attribués aux qualités de Daniel et ses compagnons témoignent d’aptitudes à plusieurs facettes qui leur permettaient de comprendre et d’interpréter mieux que les autres : « Dieu accorda…de la connaissance, de l’intelligence (ou discernement) dans tout ce qui concernait les lettres et de la sagesse » (Da 1.17).

La métaphore du cœur et les trois caractéristiques de l’IH

Mais qu’est ce qui caractérise l’IH ?

L’intelligence, dans la tradition sémitique, c’est le cœur, c’est elle qui oriente et impacte toute l’existence de l’homme, comme « l’intelligence n° 8,5 » chez Gardner. Le champ sémantique est plus étroit chez les grecs. C’est pourquoi, comme le relève H. Blocher dans Le cœur fait le théologien, en citant le résumé de la Loi en hébreu : « Tu aimeras l’Éternel, ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force » (Dt 6.5), le Nouveau Testament traduit en y ajoutant : « de toute ton intelligence » (Mt 22.37 ; Marc 12.29-30 ; Luc 10.26[1]). Alors que la performance de l’IH est déterminée par la grandeur et la bonne orientation du cœur de l’homme, la force de l’IA dépend de la performance des algorithmes créés et entraînés par les ingénieurs.

H. Blocher pose encore trois caractéristiques de l’IH :

  1. La faculté de rassembler les choses éparpillées pour sortir du chaos et comprendre.
  2. Notons que l’IA rapproche les étiquettes des données pour répondre à un « prompt » et non pour sortir d’un chaos, ni pour comprendre.

  3. Le tissage de liens entre des objets que l’on distingue et que l’on relie à la fois. Mais le travail de l’intelligence est aussi le travail du discernement.
  4. L’IA fusionne les données, sans discernement, selon le principe des probabilités.

  5. La sensibilité à la loi, qui s’impose pour maintenir le raisonnement vrai, des prémisses à la conclusion.
  6. L’IA applique servilement des algorithmes, sans raisonnement, ni recherche de vérité, ni finalités intrinsèques.

Ne soyons pas … sans intelligence

L’objet de l’IA, celui de chercher à reproduire l’IH, la meilleure qui soit, rappelle que l’homme est créé de façon remarquable, à l’image d’un Créateur encore plus exceptionnel. L’homme est le joyau de la création divine, comme le rapporte l’Écriture et en témoignent les prouesses —encore imparfaites— de l’IA, mais qui ne vont pas manquer de s’améliorer grâce au formidable travail des ingénieurs. Déployer ses capacités intellectuelles pour fabriquer des outils pratiques à utiliser, pour servir à dominer la création, afin d’y vivre plus confortablement en libérant l’homme de certains travaux fastidieux, répétitifs, et très pénibles, participe au mandat créationnel de l’homme.

Alors que l’intelligence biologique est augmentée et renforcée par le travail intellectuel comme par l’exercice physique, par l’attachement comme par les relations sociales, et qu’elle nécessite le sommeil pour être consolidée et purgée, elle est aussi soutenue, accélérée, amplifiée, par des outils tels que l’écriture, l’imprimerie, le téléphone, les mass-médias, l’ordinateur, l’Internet, et l’IA… pour peu que ces outils soient utilisés à bon escient. Et c’est là que le bât blesse.

En matière d’éducation, selon un raisonnement sophistique, si l’IA peut rétablir une certaine forme d’égalité sociale, en faisant par exemple à leur place les devoirs des enfants qui ne bénéficient pas de soutien parental dans ce domaine, cela détournera un plus grand nombre d’élèves du temps de travail personnel indispensable pour s’entraîner et faire travailler ses neurones, afin, comme les jongleurs, de développer sa matière grise. Mais interdire l’IA ne servirait à rien. C’est apprendre à l’utiliser avec intelligence qui sera utile. « Je t’instruirai et te montrerai la voie que tu dois suivre; je te conseillerai, j’aurai le regard sur toi. Ne soyez pas comme un cheval ou un mulet sans intelligence: on les freine avec un mors et une bride, dont on les orne, afin qu’ils ne te bousculent pas » (Ps 32.8-9) affirme le Dieu de la Bible.

Si l’intelligence y est synonyme de cœur, la prophétie : « Je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai en vous un esprit nouveau » (Ez 36.26), donne une première clé pour l’intelligence bien orientée. Le psalmiste nous en donne une deuxième en affirmant quelle est la source d’une raison saine : « La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse. La vraie intelligence est en tous ceux qui agissent selon cette crainte » (Ps 111.10). La troisième clé est celle formulée par l’apôtre Paul, qui enjoint les chrétiens de Rome à : « ne pas se conformer pas au siècle présent, mais à être transformés par le renouvellement de l’intelligence, afin qu’ils discernent quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait » (Rm 12.2). Les effets de l’œuvre de Jésus-Christ à la Croix s’appliquent jusqu’à donner à notre IH sa juste orientation, et devraient nous faire réfléchir aux bonnes pratiques des outils qui sont à notre disposition, l’IA comme les autres.

Comme le gouvernement avec le lancement de « MIA Seconde » au lycée, puissions-nous à l’IBN comme dans les Églises, contribuer à bien entraîner l’IH du peuple de Dieu, en s’appropriant et en développant les bons outils, mais sans oublier que ceux-ci ne se substitueront jamais à la nécessaire œuvre de l’Esprit dans les cœurs !

_________ Anne Ruolt

[1] Les micro-ordinateurs ne se développent qu’après 1980 en France, le Web, à partir de 1989, le concept de smartphone, en 2007.

[2] Henri, Blocher, « Les évangéliques et l’ordinateur », Le Bon Combat, no 10, octobre 1968, p. 5.

[3] Vernor, Vinge, « The coming technological singularity : How to survive in the post-human era », Whole Earth Review, no 10, 1993, p. 352‑363.

[4] Cédric, Villani, Donner un sens à l’intelligence artificielle pour une stratégie nationale européenne, Rapport demandé par le premier ministre, Edouard Philippe, Paris, République française, 8 mars 2018, p. 9.

[5] Platon, Phèdre, in œuvres complètes, IV, Paris, Les Belles lettres, 1933, p. 274e‑2275.

[6] Victor, Hugo, « Ceci tuera cela. », dans Notre Dame de Paris, Paris, Ollendorff (1904-1924), 1832, p. L. 5 ch 2).

[7] Gérard, Claisse, Frantz, Rowe, « Téléphone, communication et sociabilité: des pratiques résidentielles différenciées », Sociétés Contemporaines, vol. 14, no 1, 1993, p. 166‑167.

[8] Cité par Rémi, Noyon, « Voilà ce qu’est le téléphone : ça sonne et vous vous mettez à courir », L’Obs, 10 août 2015.

[9] Rédacteur : « États-Unis: L’intelligence artificielle à la place du pasteur était ‘’ennuyeuse’’ », Évangéliques point info, site evangeliques.info (20/10/2023)

[10] Catherine, Vidal, « La plasticité cérébrale : une révolution en neurobiologie », Spirale, vol. 63, no 3, 2012, p. 19.

[11] Alexandre, Pouget, Intelligence artificielle vs. intelligence humaine par Alexandre Pouget (14-20 mars 2022), Conférence, Genève, 17 mars 2022, sur Youtube.

[12] Luc, Julia, L’intelligence artificielle n’existe pas : Le cocréateur de Siri déconstruit le mythe de l’IA !, Paris, J’ai lu, 2020., p. 117.

[13] Robert Sternberg (1949-), distingue les intelligences : analytiques, créatives et pratiques ; Daniel Goleman (1946-) désigne par intelligences émotionnelles et sociales qui correspondent aux inter- et intra-personnelles de Gardner ; Robert Cooper (1947?) préfère parler des 3 cerveaux : un dans le crâne, un autre dans le cœur et le viscéral.

[14] Olivier, Houdé, L’intelligence, Paris, PUF, 2021, p. 9.

[15] Henri, Blocher, « Le cœur fait le théologien », Fac Réflexion, no HS, 1982, p. 2‑16.

Autres documents consultés :

Bertrand Jean-Marie, « Test de Turing : jeu d’imitation ou test d’intelligence ? », Quaderni, vol. 1, no 1, 1987, p. 35‑45

Bocquet, Pierre-Yve, « 8 expériences qui révèlent les mécanismes de l’apprentissage », Science et vie, no HS, 2017.

Dehaene Stanislas, « La consolidation des apprentissages et l’importance du sommeil, conférence, Collège de France », dans Collège de France, 27 août 2014, site institutionnel.

Gardner Howard, Les formes de l’intelligence, Paris, Odile Jacob, 2017-2022, 480 p.

Gardner Howard, Les intelligences multiples : la théorie qui bouleverse nos idées reçues, Nouvelle édition remaniée, Paris, Retz, « Petit forum », 2008

LeCun Yann, L’apprentissage profond : une révolution en intelligence artificielle, conférence, Paris, 2016, sur Youtube

MacCarty, John, Minsky, Marvin, Rochester, Nathaniel, et al., Aproposal for the Dartmouth Summer Research Project on artificial intelligence, Dartmouth college, 31 août 1955, p. 13.

Munier Brigitte, Robots : le mythe du golem et la peur des machines, Paris, Éditions de la Différence, « Les essais », 73, 2011

Neher André, Faust et le Maharal de Prague : le mythe et le réel, Paris, Presses universitaires de France, « Questions », 11, 1987

Pickover Clifford A., La fabuleuse histoire de l’intelligence artificielle, Dunod, 2021,

Pouget Alexandre “Neurosciences et intelligence artificielle : liens et incidences sur les enjeux sociétaux” conférence, Genève, 23 mars 2023., sur vimeo.com

Spire Antoine, La résilience : entretien avec Boris Cyrulnik / Nicolas Martin, Antoine Spire & François Vincent, Bord de l’eau (le). [Lormont], « Nouveaux classiques », 2009, vidéo sur mediatheque.merignac.

Turing Alan M., « I.—Computing machinery and intelligence », Mind, vol. LIX, no 236, Octobre 1950, p. 433‑460 

Werner Emmy E. et Smith Ruth S., Vulnerable, but invincible: a longitudinal study of resilient children and youth, New York, McGraw-Hill, 1982

Werner Emmy, « Resilience and recovery findiings from the kauai longitudinal study », Research, Policy, and practice in children’s mental health, vol. 19, no 1, T 2005, p. 11‑14

Woollett K Maguire E.A. et Spiers H.J., « London taxi drivers and bus drivers: a structural MRI and neuropsychological analysis. », Hippocampus, vol. 16, no 12, 2006, p. 1091‑1101.

Zuk Jennifer Benjamin Christopher Kenyon Arnold et al., « Behavioral and Neural Correlates of Executive Functioning in Musicians and Non-Musicians », PLOS ONE, vol. 9, no 6, Juin 2014.

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Sur « L’amour de Dieu »

SUR « L’AMOUR DE DIEU »

Car je prends plaisir à l’amour…

Car je prends plaisir à l’amour bien plus qu’aux sacrifices,

à la connaissance de Dieu bien plus qu’aux holocaustes.

Osée 6.6

Ce verset de l’Ancien Testament orne la salle de culte de l’IBN. C’est un emplacement bien choisi pour ce texte. En effet, par le prophète, Dieu donne ici une réponse à la pratique cultuelle d’Israël en cette période de la fin du Royaume du Nord.

Alors que le peuple semble vouloir rendre à Dieu un honneur particulier, rempli de piété, avec des rites bien accomplis, dans le bon ordre, sous la bonne forme… le Seigneur ne se laisse pas duper. Il sait que le peuple ne se repend pas réellement de ses péchés.

La louange apportée sonne faux. La repentance vécue n’est que de façade, et le retour à Dieu plein de pensées déshonorantes. Le peuple se tourne vers Dieu pour lui rendre un culte, mais les injustices dans le pays sont nombreuses, l’idolâtrie partout présente, et la piété est plus superstitieuse que réelle.

Par la voix du prophète Osée, l’interpellation de Dieu est donc très forte.

Car je prends plaisir à l’amour bien plus qu’aux sacrifices,

à la connaissance de Dieu bien plus qu’aux holocaustes.

Ce n’est pas que les prophètes méprisaient le culte rituel, avec des éléments liturgiques, mais puisque la démarche du peuple est superficielle, le Seigneur n’en tient pas compte et ses prophètes ne peuvent qu’annoncer un message de jugement, et confirmer la venue du châtiment qu’Israël essaie d’éviter.

Dieu merci nous ne sommes pas comme eux… Quoi que…

Ces choses ont été écrites pour nous enseigner. Et l’on ne peut pas passer vite.

Le « circulez, il n’y a rien à voir ne s’applique pas pour le chrétien qui cherche à discerner la voix de Dieu dans sa Parole ». Il y a bien des activités, bien des projets, bien de l’énergie dépensée pour « la gloire de Dieu » qui ne sont pas motivés par l’amour.

L’apôtre Paul dans la fameuse tirade sur l’amour (1 Cor 13), met en garde contre le même phénomène d’activité religieuse, pieuse, mais vide d’amour pour Dieu.

Bien des motivations peuvent nous pousser à l’action.

L’orgueil, la volonté de prouver quelque chose à quelqu’un, ou à soi-même, voire même à Dieu. Des complexes, des peurs, la confusion entre l’être et le faire, la tradition, l’habitude, la culpabilité, et plein d’autres choses peuvent être à la source d’un service ou d’une activité dite pour Dieu.

Car je prends plaisir à l’amour bien plus qu’aux sacrifices,

à la connaissance de Dieu bien plus qu’aux holocaustes.

Comme l’explicite F. Godet :

l’amour est mis ici en parallèle avec le sacrifice, parce qu’il est lui-même le vrai sacrifice, celui de nous-mêmes, et que, sans ce sacrifice, le culte extérieur est pour Dieu comme une offrande sans parfum. [De même] la connaissance de Dieu résulte de la révélation de son amour et de sa sainteté ; cette révélation reçue dans le cœur allume en nous l’amour et fait de notre vie le vrai holocauste[1].

Dans un article récent de la revue Hokhma, après une étude de tout le vocabulaire consacré à l’adoration dans l’Ancien Testament, Elisabeth Schulz conclut :

L’adoration entraîne un style de vie d’adoration. Ce que Dieu attend d’un cœur de serviteur, c’est être bon, juste et droit. Celui qui adore Dieu, porte ou cherche à porter les fruits de l’amour [2] […]  Sans amour conscient, l’adoration n’est rien[3] ».

Car je prends plaisir à l’amour bien plus qu’aux sacrifices,

à la connaissance de Dieu bien plus qu’aux holocaustes.

Osée fait ici écho à la prédication d’Amos (5.22-24), avec une différence d’accent : là où Amos réclame la justice sociale, Osée demande la Hesed (l’amour, la bonté , la bienveillance), mot par lequel il caractérise la manière d’être et de vivre envers le Seigneur et le prochain.

Il s’agit aussi de développer la connaissance du Seigneur, non pas superficielle, mais une connaissance au fond du cœur qui oriente tout le comportement. Le Seigneur considère d’abord les motivations. Parce que la motivation profonde évoquée ici fait défaut, les œuvres du peuple et ses actes de piété sont inutiles et vains.

En toute logique, après avoir été délivré avec une si grande puissance de l’oppression égyptienne, amené en lieu sûr dans le pays où coulait le lait et miel, profitant de la présence de Dieu au milieu du peuple dans le tabernacle puis dans le temple, Israël aurait dû être une nation sainte, un peuple de sacrificateurs… Et encouragé par les prophètes, leur vie en tant que nation aurait dû être le reflet de la gloire et de l’amour de Dieu. Israël était destinée à être la maison témoin de Dieu sur terre… Mais à l’époque, « Israël fabriquait ses propres images (les idoles), fausses ; le peuple se conformait spirituellement à ces images, sans se rendre compte que la seule véritable image était l’image de Dieu, qu’ils auraient dû refléter sur la terre[4] ».

Le prophète annonce donc la déportation, terrible. Et il faudra attendre Jésus-Christ, qui va reconstituer Israël au travers de 12 disciples, et qui va obéir en tous points à la volonté du Père, pour que le projet de Dieu puisse exister, qu’une nation sainte soit visible de tous. Mais cette fois, le peuple de Dieu dépasse le cadre d’Israël, tout le livre des Actes montre comment la communauté de Jésus, l’Église va intégrer des hommes et des femmes de toutes les nations pour faire partie d’un peuple d’adorateurs, de rois prêtres, qui honorent Dieu en étant rassemblés en communautés ou dispersés dans leur quotidien.

Chacun, chacune, et tous ensemble, les chrétiens sont appelés à être porteurs de l’image du Dieu trinitaire, du Dieu d’amour, partout, en tous lieu et en toute circonstance. C’est à ceci que tout connaîtront les disciples de Jésus.

Au travail, jour, après, jour, à la maison, dans les familles, dans le voisinage, dans le métro ou sur la route, qu’il soit rassemblé avec d’autres, ou seule lumière dans l’obscurité, le chrétien est un adorateur et un aimant. Un aimant qui aime, un aimant qui peut attirer vers Dieu. Mais il arrive parfois que le chrétien glisse aussi vers une mauvaise adoration.

Car je prends plaisir à l’amour bien plus qu’aux sacrifices,

à la connaissance de Dieu bien plus qu’aux holocaustes.

Poussé par le Saint Esprit, le prophète Amos a mis par écrit ces paroles pour nous servir d’enseignement. Et ce même Esprit peut nous interpeller et nous mettre en garde contre les idoles de notre temps. « une idole, fondamentalement, est tout ce qui peut prendre la place de Dieu dans le culte. Que ce soit une image de pierre, de l’argent, ou quoi que ce soit d’autre[5] » le Seigneur Jésus, lui-même a cité ce texte deux fois, « dans chaque cas, il a réprimandé des religieux de son temps, les Pharisiens, il les a interpellé sur leur manque d’amour et leur mauvaise compréhension de qui est Dieu.

Que durant cette année 2024, nous puissions grandir à la fois dans notre compréhension de qui est Dieu, dans notre confiance en lui, mais aussi dans l’amour que nous avons pour lui et pour les autres.

Matthieu Gangloff

 

[1] Godet, F. (1981). Les notes de la Bible annotée (A.T. 9) Les douze petits prophètes (p. 26). St Légier: Éditions Emmaüs.

[2] Schulz Elisabeth, « L’adoration éclairée par l’Ancien Testament », dans Hokhma n°124, 2023, p.39

[3] Schulz Elisabeth, « L’adoration éclairée par l’Ancien Testament », dans Hokhma n°124, 2023, p.43

[4] Gregory Beale, On ressemble à ce qu’on adore, Excelsis, page 306

[5] Gregory Beale, On ressemble à ce qu’on adore, Excelsis, page 183

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Donne-nous notre pain…

Dieu pain

Donne-nous notre pain…

Demandons au Seigneur le pain dont nous avons besoin !

Remercier pour le pain est une habitude assez répandue en milieu évangélique, mais le demander, beaucoup moins. Est-ce parce que nous n’en manquons pas ou que nous prions très peu le « Notre Père » ? Toujours est-il que nous aurions tout intérêt à le faire. Voici pourquoi.

Demander du pain au Père céleste, c’est reconnaître que, si notre âme est nourrie par le pain de vie qu’est le Seigneur, notre corps a aussi besoin du pain du boulanger pour subsister. C’est le gage d’une piété équilibrée dans laquelle nous nous préoccupons et de la volonté divine —« Que ta volonté soit faite… »— et de la santé de notre être physique —« Donne-nous notre pain… »— mais dans cet ordre. C’est au fond reconnaître que le Dieu créateur nous a fait âme et corps et qu’il prend soin de tout notre être.

Demander notre pain, c’est ensuite croire en la bonté de Dieu à notre égard et la confesser. J’ai suffisamment confiance dans le Seigneur pour croire qu’il me donnera de bonnes choses si je les lui demande (Mt 7.9-11).  Mon expérience personnelle et pastorale me conduit à penser que ce n’est pas toujours aussi simple. En effet, si nous reconnaissons volontiers que Dieu est bon en général, nous peinons souvent à croire qu’il peut s’intéresser à nous en particulier, parce que nous avons une piètre image de nous-même. Insidieusement, nous mettons en cause la grâce divine et revenons à un salut par les œuvres —nous devrions être dignes de l’intérêt qu’Il nous porte— ce qui revient à douter fondamentalement de sa bonté à notre égard. C’est tellement vrai que, quand la tempête souffle dans notre vie, nous murmurons comme Israël au désert (Ex 16.1-3) plutôt que de bénir l’Éternel comme l’a fait Job dans son épreuve (Jb 1.21).

Demander notre pain quotidien (ou de ce jour), c’est enfin reconnaître notre entière dépendance du Seigneur. Nous n’avons pas besoin de sa sollicitude de temps à autre, mais jour après jour. À l’image des Israélites dans le désert qui ne pouvaient faire de provision de manne pour plusieurs jours, nous ne pouvons nous passer d’implorer sa bonté. C’est d’autant plus difficile que nos frigos et nos congélateurs sont pleins et que nous avons des revenus suffisants pour nous approvisionner. Le livre des Proverbes pointe le risque que nous courons : « dans l’abondance, je pourrais te renier et dire : “Qui est l’Éternel ?” » (Pr 30.9).

Pour toutes ces raisons, apprenons en 2024 à demander au Seigneur le pain dont nous avons besoin !

Etienne Lhermenault

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Noël : Le sapin venu de l’Est

Arbre Noël

À NOËL : LE SAPIN VENU DE L’EST !

Le sapin de Noël, une tradition héritée de l’Est protestant !

Qu’est-ce qui se vend, en France, à près de sept millions d’exemplaires en un mois à partir de la fin novembre ?
L’arbre de Noël ! Une tradition héritée de l’Est protestant, dont une première mention figure au livre de comptes de la Bibliothèque Humaniste de Sélestat, en date du 21 décembre 1521. Et c’est au mouvement des Écoles du dimanche qu’on doit d’avoir popularisé cette coutume à partir du milieu du XIXe siècle.

Symbole d’une allégorie naturelle protestante, l’arbre illustrait le sens du message du salut clairement exprimé dans les Évangiles. Dans les Écoles du dimanche, on expliquait que l’arbre vert symbolisait le croyant, présenté par le psalmiste comme un « arbre toujours vert » (Ps 1). Quant aux lumières qui l’ornaient, elles rappelaient l’incarnation du Christ, « lumière du monde » (Jn 8.12), ou « rayonnement de la gloire du Père » (Hb 1.3), venu révéler Dieu le Père et sauver l’homme du péché.1 Une scénarisation de lectures bibliques et de cantiques orchestrait l’entrée de l’arbre illuminée dans la salle où se déroulait la « fête de l’arbre »2 pour toucher les émotions du public autant que son entendement3.

L’arbre était dressé après Noël et illuminé lors d’une grande fête joyeuse. Voici le récit d’une telle fête organisée à Lyon par un jeune chrétien de l’UCJC, en collaboration avec les Écoles du dimanche :

” Pour célébrer Noël avec leurs élèves, jeunes gens et jeunes filles organisèrent une fête, pour laquelle ils demandèrent une des plus grandes salles de Lyon : le Palais Saint-Pierre. L’animateur, qui n’avait pas dix-huit ans, fut accueilli par le Maire, homme libéral, décidé à encourager toute initiative individuelle ou indépendante qui pouvait servir la morale et le relèvement du pays. D’ailleurs, le fils du Maire connaissait bien Ruben Saillens, travaillant lui aussi au Crédit Lyonnais. La demande fut donc accordée. il ne restait plus qu’à trouver l’argent pour donner aux enfants des cadeaux de Noël. On en trouva grâce à la générosité des protestants de Lyon.

Dans un rapport de R. Saillens, daté de 1872 et trouvé à la Bibliothèque Nationale, le fougueux jeune rapporteur s’écrie : « L’argent, Messieurs, est aussi pour nous le « nerf de la guerre », et souvent, ce vil et précieux métal ayant manqué, nous avons dû rogner les ailes ! »

La fête fut un succès. Deux arbres de Noël furent dressés dans la grande salle. Les pasteurs de Lyon prêtèrent leur concours. Les enfants, guidés par les moniteurs et les monitrices, exécutèrent des chants bien réussis. Douze cents spectateurs remplissaient la salle, et de larges distributions de traités furent faites aux enfants et aux adultes4.”

Vous l’avez compris, ce jeune homme n’est autre que Ruben Saillens (1855-1942) qui, à l’âge de la retraite, en 1921, fondera l’IBN…

Belles occasions de témoignage à chacun du vrai sens de Noel durant ce temps de fin d’année, et heureuses fêtes !

Anne Ruolt

Pour aller plus loin :

Gauthey Louis-Frédéric François, « la fête de l’arbre », Essai sur les Écoles du Dimanche, Paris, Agence de la Société des écoles du dimanche, 1858, p. 177‑181   lire en ligne https://www.google.fr/books/edition/Essai_sur_les_%C3%A9coles_du_dimanche/2d08AAAAcAAJ?hl=fr&gbpv=1&dq=Essai+sur+les+%C3%89coles+du+Dimanche+gauthey&printsec=frontcover 

Rouillard, Philippe, Les fêtes chrétiennes en Occident, Paris, Cerf, 2003,

Ruolt Anne, « Du rôle des fêtes et de la joie comme moyens d’exciter la jeunesse », Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses, , vol. 91, no 4, 2011, p. 525‑548. Lire en ligne  https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_2011_num_91_4_1583

Ruolt Anne, « L’arbre de Noël,
ou la leçon de chose protestante », Réforme, , no 3397, 2010, p. 15.lire en ligne https://www.reforme.net/opinions/2011/01/19/journal-12232010-3397-opinions-arbre-noel-lecon-chose-protestante/

Wargenau-Saillens, Madeleine, R & J Saillens évangélistes, Paris, Les Bons Semeurs, 1947, p. 25.

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1 Une autre interprétation veut que l’arbre garni de pommes renvoie à « l’arbre du fruit défendu » de la Genèse, par lequel, en Éden, le mal entra dans le monde, et avec lui la rupture de l’Alliance avec le Créateur. Philippe Rouillard, Les fêtes chrétiennes en Occident, Paris, Cerf, 2003, p. 20. Notons que le lien entre « le mal » et « la pomme » est erroné. Il tire son origine d’un jeu de mot en latin : malus désigne à la fois le pommier et ce qui est mauvais ; malum la pomme et le mal. En langue française, comme en hébreu, les deux mots ne sont pas homonymes. Henri, Blocher,  Révélation des origines, Lausanne, Presses Bibliques Universitaires, 1979, p. 121.

2 Louis-Frédéric François Gauthey, « Fête de l’arbre »,  Essai sur les Écoles du Dimanche, Paris, Agence de la Société des écoles du dimanche, 1858, p. 177‑181   en ligne https://www.google.fr/books/edition/Essai_sur_les_%C3%A9coles_du_dimanche/2d08AAAAcAAJ?hl=fr&gbpv=1&dq=Essai+sur+les+%C3%89coles+du+Dimanche+gauthey&printsec=frontcover 

3 Nota bene : C’est à François d’Assise que l’on attribue la paternité de la coutume des crèches qui se sont répandues dans la tradition catholique. En 1223, pour illustrer le récit de la nativité, dans l’Église de Grecchio, ce dernier avait créé la première « crèche vivante ». Au XVIe siècle, ce sont les Jésuites qui créèrent les premières crèches avec figurines. La tradition provençale est datée de 1803. Ripert, 1956, p. 14.

4 Madeleine, Wargenau-Saillens, R & J Saillens évangélistes, Paris, Les Bons Semeurs, 1947, p. 25.

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L’école en question : théorie contre pratique !

ecole en question

Théorie contre pratique :
le rôle de l’école en question

Extrait d’un article des Cahiers de l’Institut biblique de Nogent (juin 1995, n° 89) qui n’a rien perdu de sa pertinence.

On reproche aux instituts bibliques et aux facultés de théologie de ne dispenser qu’une formation théorique au détriment de la pratique… On fait là un faux procès aux écoles de type traditionnel, parce que l’on n’a pas bien saisi quel est le but, ou le rôle, de ces écoles.

Dans l’un de ses “entretiens”, l’Express (28 janvier 1993) posait à Antoine Prost1 la question suivante :

On dit habituellement que le système scolaire est mal adapté à la réalité moderne et au monde du travail. Vous, vous semblez suggérer au contraire un retour à un enseignement traditionnel.

Et Antoine Prost répondait :

Oui. Les entreprises, elles, doivent coller à la modernité et s’adapter aux nouvelles techniques. Mais pas l’école. Son rôle est plutôt de donner les “bases”. C’est ce que disent souvent les professeurs : “Untel manque de bases”… En sixième, en première, ou à l’université, on parle toujours de ces fameuses bases. Personne ne les définit, mais cela signale que l’enseignement a bien pour objectif premier de mettre en place les fondements de tout le reste, sans lesquels rien ne pourra se construire.

On pourrait transposer cela pour l’appliquer à notre propos :

On dit souvent que l’enseignement des instituts bibliques et des facultés de théologie est mal adapté à la réalité du terrain, et que les étudiants qui en sortent ne sont pas préparés au ministère… Mais ce sont les Églises et les œuvres qui doivent coller à la réalité du terrain. Le rôle des écoles est plutôt de donner les connaissances bibliques et théologiques de base, et d’apprendre aux étudiants à réfléchir et à travailler avec leur Bible pout construire leur pensée, laquelle orientera leur pratique. Les écoles ont pour objectif premier de mettre en place les fondements de tout le reste, sans lesquels rien ne pourra se construire.

Axer l’enseignement sur un travail pratique est bien, mais insuffisant. Car on ne peut jamais prévoir toutes les situations auxquelles les serviteurs de Dieu auront à faire face. En outre, la réalité du terrain change sans cesse. La connaissance pratique reçue risque donc de devenir rapidement inadaptée. Seule une formation biblique et théologique approfondie permet aux ouvriers sur le terrain de s’adapter aux situations nouvelles, tout en demeurant fidèles aux principes fondamentaux.

L’équipe pédagogique de 1995

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1 Antoine Prost (né en 1933) est un historien, universitaire, ancien homme politique et ex-syndicaliste français. Il chargé de mission auprès du Premier ministre Michel Rocard pour les questions d’éducation.

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À leur clavier !

À LEUR CLAVIER !

magazine evangelique

Le magazine ‘Christianity Today’ en français, vous connaissez ?

Outre-Atlantique, le magazine Christianity Today est une institution. Lancé par Billy Graham en 1956, ce mensuel évangélique « cherche à offrir un point de repère mettant en lumière comment les chrétiens peuvent vivre l’Évangile d’une manière bénéfique pour l’Église et la société ».1 Il touche chaque mois 4,5 millions de chrétiens engagés.

J’y suis moi-même abonné depuis plus de vingt ans et j’y ai trouvé de nombreuses informations intéressantes et autant de réflexions édifiantes. C’est ainsi que j’ai repéré Tish Harrison Warren et suggéré à Excelsis de traduire son livre Liturgy of the Ordinary (Liturgie de la vie ordinaire, 2018).

Depuis quelques années, le magazine américain développe une vision globale (CT Global) pour raconter ce que Dieu fait par l’intermédiaire de son Église partout dans le monde. Il a donc développé des versions digitales en dix-neuf langues dont une en français.

Le pasteur Léo Lehmann, ancien étudiant de la FLTE, est le directeur éditorial de cette version francophone. Secondé par deux ou trois bénévoles, il assure la traduction, et parfois l’adaptation, d’une sélection d’articles en lien avec la direction du magazine. Il rédige les lettres de nouvelles et fait remonter des informations sur la francophonie à ses collègues américains.

Christianity Today en français totalise 6 500 vus par mois. Plus d’un quart des lecteurs sont situés en France et le reste se répartit dans 74 pays : Etats-Unis, Canada, Belgique, Suisse, Côte d’Ivoire, Royaume-Uni, Haïti, Congo, Cameroun…

Christianity Today est un bon moyen d’avoir une vision bien informée de l’évangélisme américain et international. Il faut par exemple lire le papier de Daniel G. Hummel, « L’histoire méconnue de l’évolution des évangéliques à propos d’Israël » en ces temps de guerre entre Israël et le Hamas.

Si vous voulez recevoir la lettre de nouvelles en français, abonnez-vous ici2.

Si vous avez repéré un article intéressant en anglais de Christianity Today, vous pouvez suggérer sa traduction en écrivant à christianitytodayfr@christianitytoday.com.

Si vous souhaitez aider au développement de cette version francophone, rendez-vous ici.

Etienne Lhermenault

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Un programme exigeant pour le ministère

Le 2 Novembre 2023

UN PROGRAMME EXIGEANT POUR LE MINISTÈRE

La séance de clôture de l’année académique est chaque année un moment joyeux et solennel où nous remettons certificats et diplômes aux étudiants. Le 1er juillet 2023 ajoutait une note particulière avec le départ de Sylvain Romerowski à la retraite. C’est donc à lui que nous avons confié la prédication à destination des étudiants sortants, elle portait sur 1 Timothée 6.11-16. En voici une version quelque peu étayée.

Lorsque Paul écrit cette première lettre à Timothée, Timothée se trouve à Éphèse, dans la première moitié des années 60. Paul, après avoir été emprisonné à Rome puis libéré, était revenu à Éphèse car des enseignements déviants avaient été propagés parmi les chrétiens, des enseignements s’écartant de l’enseignement apostolique, et même contraires à l’enseignement apostolique. Il est possible que certains responsables de l’Église s’y soient laissé prendre. Paul était ensuite parti pour la Macédoine mais avait laissé Timothée sur place pour combattre les enseignements déviants, réfuter les erreurs, proclamer, exposer, enseigner la foi chrétienne authentique, apporter un enseignement sain.

Paul écrit cette lettre pour encourager Timothée, pour lui faire des recommandations concernant sa vie et son ministère, pour le soutenir et lui apporter son appui aussi devant l’Église, car la lettre est aussi pour l’Église, au-delà de Timothée. Voilà une quinzaine d’années que Timothée fait partie de l’équipe missionnaire de Paul. Il a déjà de l’expérience dans le ministère. Mais cette fois, il lui incombe d’accomplir une mission importante à Éphèse, en dehors de la présence de Paul et de ses compagnons. En quelque sorte, il vole de ses propres ailes. D’où cette lettre pour l’encourager, le soutenir, le guider. On y trouve donc des recommandations appropriées pour quelqu’un qui, comme Timothée, s’engage ou est engagé dans un ministère pastoral, ou autre.

Dans notre texte, Paul nomme Timothée « homme de Dieu ». Ce vocable provient de l’Ancien Testament où il était essentiellement utilisé pour des prophètes, des porte-parole de Dieu. Ici, Paul nomme Timothée « homme de Dieu » à cause du ministère particulier confié à celui-ci, et qui comporte d’ailleurs pour une grande part la prédication et l’enseignement. En le nommant « homme de Dieu », Paul rappelle à Timothée l’importance de son ministère particulier.

La première recommandation de Paul à Timothée est négative : il s’agit de fuir, c’est-à-dire de se garder d’un certain nombre de choses, d’éviter diverses attitudes, des comportements, des dispositions, ceux des mauvais enseignants. La section qui précède (v. 3-10) donne une idée de ce qui est visé : une mauvaise manière de penser, des idées fausses (v. 3) ; l’orgueil (v. 4) ; les discussions et controverses sur des sujets sans intérêts, qui ne mènent à rien, sinon à des querelles (v. 4-5a) ; puis le désir d’argent (v. 5b). Les mauvais enseignants manifestaient de tels travers. Timothée doit s’en garder, fuir même cela.

Cultiver de bonnes dispositions

On ne se débarrasse que de ce que l’on remplace. Pour éviter de tomber dans ces travers, il est nécessaire d’adopter autre chose à la place, de cultiver de bonnes dispositions, certaines qualités, d’adopter de bons comportements, de bonnes manières d’agir. Timothée est invité à les rechercher ardemment, ce qui implique d’y mettre du sien, d’être tendu vers cet objectif, de le garder en ligne de mire, de faire des efforts pour.

D’abord la droiture : la rectitude du comportement, l’intégrité. Il s’agit d’être honnête, donc de se garder de l’amour de l’argent, de gérer les questions d’argent sans tricher pour s’enrichir de manière indue, sans profiter de sa position pour s’approprier ce qui appartient à l’Église. Paul a le souci que ceux qui exercent un ministère au service de l’Église soient rémunérés décemment (5.17) et l’Église a une responsabilité à cet égard. Mais le serviteur rémunéré par l’Église, ne doit pas considérer son ministère comme un moyen de s’enrichir et doit cultiver le contentement. La droiture doit aussi caractériser ses paroles dans la vie de tous les jours : il s’agit d’être fiable en paroles. C’est aussi adopter une attitude convenable envers autrui, et notamment envers les personnes du sexe opposé (5.2). Plusieurs pasteurs, responsables d’Église, missionnaires… sont tombés dans ce domaine et ont ruiné leur ministère. La droiture consiste aussi à être juste envers autrui, à ne pas agir au détriment d’autrui, à ne pas léser autrui, à ne pas favoriser certains, par exemple ceux qui sont plus riches, ou les plus gros donateurs ; c’est encore se garder de la médisance, de la calomnie. Pour reprendre une expression de Paul ailleurs, c’est agir en toutes choses en veillant à conserver une bonne conscience.

Paul recommande ensuite la piété. La piété concerne notre relation avec Dieu. Il s’agit de cultiver cette relation. Cela passe d’abord par l’écoute de Dieu, qui nous parle aujourd’hui par l’Écriture. Une fréquentation assidue des Écritures est donc essentielle pour la vie chrétienne, et à plus forte raison pour le ministère. Il est crucial que celui qui exerce un ministère au service de l’Église passe du temps, régulièrement, à lire la Bible pour entretenir sa connaissance biblique, mais aussi à méditer les textes, et à étudier la Bible.

Notre relation avec Dieu s’entretient aussi par la prière. Dans la première Église, à Jérusalem, les apôtres ont délégué des responsabilités matérielles à d’autres, pour pouvoir se consacrer à la prière et au ministère de la parole (Ac 6.4). Le pasteur Thierry Huser a dit une fois : « Un pasteur, c’est quelqu’un qui est payé pour prier, payé pour prier pour les membres de son Église pendant que ceux-ci vaquent à leurs occupations professionnelles ». Prier pour soi-même, pour sa famille, pour les membres de l’Église, pour la vie de l’Église, pour son ministère.

La Bible du Semeur a ensuite traduit fidélité, mais il vaut mieux traduire, et c’est l’avis de la majorité des commentateurs, par foi. Il s’agit d’abord de faire confiance à Dieu pour nos besoins, d’avoir foi qu’il prendra soin de nous. Mais aussi, au bout d’un certain temps dans le ministère, on peut céder à la tentation de compter sur son expérience, ses connaissances, son savoir faire, sa débrouillardise et oublier que l’on dépend de Dieu. Il est important de prier pour son ministère, pour ses activités. Il s’agit aussi de prendre en compte que tout ne dépend pas du pasteur dans l’Église, du missionnaire sur le champ de mission ou de celui qui est à la tâche dans une œuvre, de se garder de tout prendre sur soi, mais de faire confiance à Dieu, à son œuvre dans l’Église, par l’Église, son œuvre dans les membres de l’Église et par eux. C’est croire que Dieu peut faire bouger les choses qui ont du mal à bouger. C’est aussi avoir confiance qu’il se sert de notre action pour faire avancer les choses, et donc que notre activité ne sera pas inutile. Et c’est en même temps aussi lui faire confiance pour ce devant quoi nous sommes impuissants. On a besoin de foi pour s’engager dans le ministère, foi que Dieu va agir, va se servir de nous, ou va agir sans nous là où nous ne pouvons rien. C’est encore lui faire confiance lorsque surviennent les difficultés, les déceptions, les échecs, les épreuves ; quand les choses ne se passent pas comme il serait souhaitable. On a besoin de foi pour s’engager dans le ministère et pour vivre le ministère. Faire confiance à Dieu ne se fait pas toujours tout seul ; il faut le vouloir.

La confiance en Dieu permettra de persévérer. Paul parle bien de persévérance. Il en faut de la persévérance pour ne pas abandonner, ne pas baisser les bras face aux difficultés, ou dans l’épreuve. Persévérer malgré les échecs, malgré les déceptions, malgré les choses qui tardent à bouger, malgré les membres de l’Église ou autres personnes auprès de qui nous œuvrons qui semblent ne pas vouloir avancer ou changer. Persévérer quand Dieu n’agit pas comme on souhaiterait qu’il le fasse. Persévérer, ce n’est cependant pas s’entêter dans une ligne d’action qui ne marche pas ou qui ne convient pas. Il faut s’avoir adapter sa manière de faire et son action aux circonstances et aux possibilités qu’elles offrent.

Et je reviens sur la foi. Persévérance et foi soit étroitement liées. Je ne peux persévérer que dans la mesure où je fais confiance à Dieu. Si je ne fais pas confiance à Dieu, je ne serai pas encouragé et motivé à persévérer. C’est dans la mesure où j’ai confiance en Dieu pour faire bouger les choses ou pour se servir de mon action que je peux persévérer.

Entre la foi et la persévérance, Paul mentionne l’amour. Un piège consiste à se polariser sur ses activités, sur ses responsabilités, sur son devoir, et négliger la motivation pour laquelle nous devons faire tout ce que nous faisons : l’amour. C’est ce que le Seigneur reprochera à l’Église d’Éphèse d’avoir négligé, dans l’Apocalypse. L’amour pour Dieu d’abord. Le danger est ici d’oublier la personne pour laquelle nous œuvrons, Dieu. Et l’on revient alors à la nécessité de cultiver sa relation avec Dieu. Pour aimer Dieu, nous avons parfois simplement besoin de retrouver l’amour de Dieu pour nous, de nous laisser aimer par Dieu, et il est bon de méditer sur l’amour de Dieu et sur ses œuvres et son action en notre faveur qui manifestent cet amour. L’amour répond à l’amour. Nous l’aimons parce qu’il nous a aimés le premier. D’où la nécessité de nous laisser aimer par Dieu pour l’aimer en retour. Puis l’amour aussi pour les membres de l’Église et les personnes extérieures ; ou les personnes auprès desquelles nous œuvrons. C’est l’amour qui doit motiver, orienter, déterminer notre action, nos activités. L’amour est service d’autrui, recherche du bien d’autrui, réponse aux besoins d’autrui. Le ministère doit donc être mené en fonction de cela. Et pour connaître les besoins des autres, en particulier des membres de l’Église, ou de ceux auprès de qui nous œuvrons, il est important de connaître ces personnes et de cultiver la relation avec elles. À cet égard, les visites sont d’extrême importance. Une bonne partie du ministère pastoral s’effectue au cours des visites ou des entretiens avec les membres. Il est hautement souhaitable que chaque membre, chaque famille soient visités ou aient un entretien avec le pasteur ou avec un responsable de l’Église, au moins une fois par an (et ce n’est pas beaucoup), outre ceux qui nécessitent un suivi plus fréquent. Cependant, lorsqu’on parle du bien des membres de l’Église, de leurs besoins, il s’agit du bien et des besoins tels que l’Écriture les définit. Et par conséquent, il ne s’agit pas d’accéder à tous les désirs des membres de l’Église, ni de répondre à toutes leurs attentes, ou à tous les besoins qu’ils croient ressentir, mais à ceux qui correspondent à l’enseignement biblique. Aimer, cela sera aussi parfois aller à contre courant, pour le bien véritable des personnes.

Tout en faisant preuve d’amabilité, de gentillesse. Cela nécessitera de la patience envers les personnes qui pourraient nous fatiguer, nous énerver. Amabilité lorsqu’il s’agit d’exprimer un désaccord, ou de reprendre une personne, ou encore d’affirmer une vérité biblique négligée. Il s’agit alors de défendre la vérité biblique, ou de dire ce qui nous est demandé dans l’Écriture, sans être abrupt ou cassant.

Le bon combat de la foi

Après cette liste de bonnes dispositions, attitudes, manières d’être et d’agir, et de relations à cultiver, Paul exhorte Timothée au combat. Car il y a bien un combat à mener. Et qui dit combat dit adversaires, avec lesquels, on vient de le voir, il faudra faire malgré tout preuve d’amabilité et d’amour. Qui dit combat dit quelque chose d’astreignant, qui coûte, qui demande qu’on s’y engage à fond, qu’on fasse des efforts. C’est d’un bon combat que Paul parle, donc un combat qui vaut la peine d’être mené et qui produira de bons résultats. Paul écrit : combats le bon combat de la foi.

Suite de la prédication de Sylvain Romerowski

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Éclat, instruments entre les mains de Dieu

Le 15 Juin 2023

Éclat, instruments entre les mains de Dieu

Cette année, dans le cadre d’un stage pratique, des étudiants ont créé le groupe Éclat.
Rencontre à 6 voix avec ces jeunes artistes…

De qui le groupe est-il constitué ? Présentez-vous…

Johanna (chant/guitare) : 24 ans, en fin de 3e année.

J’ai toujours fait de la musique, du chant, voire même de la scène, d’où l’idée de création de ce groupe ! J’avoue avoir du mal à ne pas créer de projet ou de passer de trop longues périodes de ma vie sans projet créatif ou artistique. Il y a deux choses qui généralement me font monter les larmes aux yeux : voir des gens donner leur vie à Christ, et transmettre le message de l’Évangile par la scène !

Jocelyn (chant/batterie) :

Toucher les coeurs via la musique, c’est vraiment une grâce ! Ayant passé deux ans sur le Logos Hope avec Opération Mobilisation à travers le monde, j’ai eu l’occasion de faire des spectacles internationaux. Ce fut magnifique ! Je suis heureux de voir que peu importe où le Seigneur me place, il me donne l’occasion d’évangéliser par la musique ! Et aujourd’hui ? Envie de repartir en mission mais apparemment Dieu m’oriente pour l’instant vers un stage pastoral après la fin de mes études…

Hamish (chant/guitare) :

D’origine écossaise et aime beaucoup la France ! J’aime beaucoup la musique et la composition. Composer me permet d’aller plus loin avec Dieu. Cheminer avec le groupe a été une belle aventure car au-delà d’un groupe, on est surtout une bande de bons amis !

Diego (chant, piano, mélodica, batterie) :

24 ans, termine son cursus. Depuis de nombreuses années, je suis sans cesse embarqué dans des tas de projets musicaux parce que ça me fait vibrer. Mais ils ont toujours un sens plus profond quand leur inspiration première est l’annonce de l’évangile ; il n’y a rien de plus beau. Je suis fier d’avoir participé à ce projet qui n’a pas été épargné par les défis mais en parallèle m’a fait grandir. Nous ne sommes que des instruments entre les mains de Dieu.

Fabien (basse) :

29 ans, d’une famille de musiciens. J’ai toujours eu un lien avec la musique depuis tout petit, mais ce n’est qu’il y a 3 ans, après ma conversion, que j’ai cherché à en faire. La basse étant intuitive pour moi, j’ai décidé de la mettre au service de Dieu, d’abord dans mon Église, puis dans ce groupe de musique. C’est une joie de participer à ce beau projet.

Thomas (manager) :

23 ans, originaire de Vendée, termine sa 2e année. J’aime organiser, c’est donc assez naturellement que le groupe est venu me voir pour intégrer ce projet. J’ai beaucoup apprécié faire le lien entre ce groupe et les Églises. Il y avait un véritable engouement, avec des personnes motivées à annoncer Christ. Magnifique et vraiment encourageant !

Qui est à l’initiative du groupe ? Et pourquoi ce nom ?

Johanna :

Je suis l’initiatrice de ce groupe.

Après en avoir parlé à quelques personnes (celles que l’on retrouve dans le groupe), et constaté qu’elles étaient intéressées, nous avons décidé ensemble de nous lancer dans cette aventure. Une aventure folle !

Le nom du groupe a été à difficile à trouver, mais nous étions tous d’accord sur un point : nous voulions à la fois renvoyer l’idée que nous voulions transmettre les éclats d’une lumière qui ne nous appartient pas (être la lumière du monde), tout en parlant de notre diversité.

Pouvez-vous en quelques mots nous dire comment se passe la création d’un chant ? Qui écrit, qui compose ?

Johanna :

Je pense que la création d’un chant est vraiment un processus différent pour chacun et parfois même, différent pour chaque chant. Dans le cadre de notre groupe – et c’est aussi ce qui fait notre spécificité – c’est que chacun a composé ses propres chants, nous n’avons pas composé ensemble.

Jocelyn :

J’ai composé mon premier chant (Confession) à la suite du stage chorale que nous avions eu avec Denisa. J’ai tout simplement voulu mettre en musique les questionnements fréquents qui parfois m’éloignaient de Dieu.

Pour le deuxième (Un Sauveur pour tous), c’est dans un temps de louange que la mélodie m’est d’abord venue, les paroles sont venues ensuite, mais une chose était certaine : je voulais clairement y annoncer l’évangile.

J’ai composé deux chants dans ma chambre ensuite . un temps de prière. (Le coeur d’un homme brisé et De l’Est à l’Ouest). Le premier fait écho à mon parcours de vie. Je me suis inspiré aussi des Psaumes. Le second parle de ma recherche de Dieu en tant que non chrétien et également de mes voyages autour du monde en tant que missionnaire suite à ma conversion. L’équipe a instrumentalisé mes deux chants ; un beau travail d’équipe !

Diego :

J’avais déjà composé plusieurs chants mais je les gardais pour moi parce que je n’assumais pas particulièrement cet aspect de ma créativité. Je me suis toujours “caché derrière mon piano” et je ne me présentais jamais comme un chanteur, encore moins comme un parolier. Le groupe m’a permis de mettre en forme deux chants (Tu restes encore le même et Toujours à mes côtés) et j’en suis très reconnaissant. J’ai aussi composé deux autres chants pour les besoins spécifiques des concerts, par exemple un arrangement du célèbre single Papaoutai de Stromae. J’y ai changé les paroles pour leur donner un sens nouveau et modifier les accords pour créer une atmosphère plus méditative. C’est à la fois un hommage à un artiste que j’admire mais aussi un concentré de questionnements sur la vie, Dieu et sa destination finale. La chanson s’appelle : Dis-moi d’où je viens.

Fabien :

J’ai composé l’interlude musical après mon témoignage. Je voulais qu’il y ait un moment d’introspection pendant le concert. La musique n’est qu’un déplacement d’air qui arrive jusqu’à nos oreilles. Mais ce qui est fou, c’est que Dieu a fait en sorte que ces ondes ne s’arrêtent pas là, elles vont jusqu’au cœur des personnes qui écoutent. Cela atteint à la fois, l’intellect et les émotions. Un combo qui fait des miracles ! C’est le défi que je m’étais fixé en composant cet interlude.

Une anecdote à propos d’un concert…

Lors du concert à Champs-sur-Marne, concert qui d’ailleurs en termes de performance était le moins bon… alors que nous commencions une discussion sur les erreurs que nous avions commises, une personne responsable de l’organisation est venue nous voir. Nous avons commencé par prier ensemble, remercié le Seigneur pour cette soirée, puis elle nous a annoncé une nouvelle qui nous a ôté les mots de la bouche : une femme avait accepté Jésus dans sa vie ! Quelle grâce !

Objectif du groupe ? Vers l’extérieur / Pour vous perso

Le but du groupe était clair pour chacun d’entre nous : partager l’Évangile par le biais de la musique. Pour ce qui est des aspects personnels, pour certains d’entre nous il était aussi question d’expérimenter la composition, de vivre une expérience dans un groupe musical et de pouvoir vivre le fait d’être un témoignage par ce biais.

Comment cela s’articule-t-il avec vos études ?

Il est vrai que les études à l’IBN sont très prenantes. Nous rajouter ce projet (compté comme 3 semaines de stage) n’était clairement pas la meilleure idée pour notre sommeil et notre charge mentale. Quand nous étions dedans, cela pouvait parfois sembler trop lourd. Mais nous nous en sommes remis à Dieu. Il nous a aidés et a renouvelé nos forces de nombreuses fois. Avec le recul, nous pouvons dire que même s’il n’a pas été facile de concilier Éclat et études, cela en valait la peine !

Pour les concerts, en 2 mots, comment ça se passe… (qui invite, quel public, quelle fréquence ?)

Éclat propose un concert d’évangélisation clé en main. Nous arrivons avec nos instruments et notre matériel (son et lumière). Nous proposons également une affiche pour faciliter la communication. Ensuite, cela devient le projet de l’Église. Elle est libre de faire une campagne d’évangélisation avec ce concert en point final. Elle peut aussi décider de faire un concert où il revient à chaque membre de l’Église d’inviter un ami non chrétien. Nous laissons la totale liberté aux Églises. Cependant, nous les invitons à prévoir une collation à la fin des concerts pour avoir le temps de discuter avec les personnes qui découvrent l’Église et qui seraient intéressées pour y revenir.

_________PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE-JOSÉ MARÉ

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La foi comme une graine de moutarde

Le 13 Avril 2023

La foi comme une graine de moutarde

par Sylvain Romerowski

L’auteur vous invite à lire au préalable les textes suivants. Marc 9.14-29 ; dans l’évangile de Matthieu, la fin du récit est un peu différente : Matthieu 17.19-20. Puis Matthieu 21.18-22, et Luc 17.5-6. Vraiment, je vous l’assure, si vous aviez de la foi, même si elle n’était pas plus grosse qu’une graine de moutarde, vous pourriez commander à cette montagne : Déplace-toi d’ici jusque là-bas, et elle le ferait. Rien ne vous serait impossible.

Lorsque j’étais enfant, j’ai lu dans une brochure l’histoire d’une petite fille qui se trouvait en vacances avec sa famille dans un chalet à la montagne. De la fenêtre de sa chambre, elle pouvait voir le versant de la montagne s’élever. Un soir, après avoir lu dans la Bible l’un des textes (en tout début d’article), avant de se coucher, cette petite fille a prié que la montagne ne soit plus là le lendemain matin. Le lendemain, à son réveil, elle s’empresse de se lever, d’ouvrir la fenêtre de sa chambre, puis les volets, et elle s’écrie : « Ah, je savais bien que la montagne serait encore là ! » La manière dont cette histoire était racontée suggérait que la montagne ne s’était pas déplacée parce que la petite fille n’y avait pas cru. Mais est-ce aussi simple que cela ? On connaît divers cas de chrétiens qui, atteints d’une très grave maladie, ont acquis la certitude que Dieu allait les guérir. Leur conviction était si forte qu’ils ont refusé tout traitement médical. Est-ce là la foi dont Jésus parle dans les textes ci-dessus ? Dans bien des cas, la guérison escomptée n’est pas venue et ces chrétiens, persuadés que Dieu allait les guérir, sont décédés quelques temps plus tard. Nous avons tous, à un moment ou un autre, prié pour une délivrance, ou demandé à Dieu d’intervenir pour répondre à un besoin légitime, sans que l’exaucement ne vienne. Alors, les promesses de Jésus ne valent-elles rien de plus que ces promesses électorales de nos hommes politiques qui n’engagent que ceux qui les reçoivent ?

Non. Ces promesses ne sont pas de la langue de bois. Preuve en est que Jésus, lorsqu’il les prononce, vient lui-même d’accomplir un miracle : l’exorcisme, et la malédiction du figuier. Jésus déclare simplement que ce qu’il vient de faire est possible pour celui qui a la foi. Et d’autres que Jésus en ont fait l’expérience : l’épître aux Hébreux évoque ces héros de la foi qui ont obtenu des délivrances ou accompli des exploits par la foi (Hé 11.32-35a). Et dans le récit de Marc 9, Jésus fait bien comprendre à ses disciples que c’est par manque de foi qu’ils n’ont pas pu chasser le démon. S’ils avaient exercé la foi, ils auraient pu le faire. C’est bien un défaut de foi qui est la cause de leur échec. Mais d’autres exemples dans l’Écriture semblent enseigner autre chose. Lorsque le roi Hérode a entrepris de persécuter les premiers chrétiens, il a fait tuer l’apôtre Jacques. Puis il a fait arrêter l’apôtre Pierre avec, à son égard, la même intention (Ac 12). On sait comment un ange a délivré Pierre alors que l’Église était en prière pour lui. Cela veut-il dire que Pierre a eu la foi et pas Jacques ? Mais Pierre n’y croyait pas. Alors que l’ange le faisait sortir de prison, Pierre croyait que les choses se passaient en vision. L’Église qui priait pour lui n’y croyait pas non plus. Car lorsque Pierre s’est présenté à la maison où se tenait la réunion de prière et qu’il a frappé à la porte, on n’a pas voulu croire la servante qui informait que c’était Pierre. Il serait donc erroné de dire que c’est la foi qui a fait la différence entre Pierre et Jacques. Dans la suite du texte de l’épître aux Hébreux mentionné plus tôt, une deuxième catégorie de héros de la foi est citée (Hébreux 11.35b-39a). Ce passage montre qu’il nous faut nous garder d’une lecture simpliste des promesses de Jésus. Comme s’il suffisait d’y croire pour que cela marche. Comme si plus fort je croyais que Dieu va exaucer ma prière, plus cela allait se produire. Il en faut de la foi pour être délivré de manière extraordinaire. Il faut aussi beaucoup de foi pour vivre l’épreuve sans voir la délivrance, tout en restant attaché à Dieu. L’apôtre Paul, qui n’a pas été délivré, malgré des prières réitérées, de ce qu’il nomme son écharde dans la chair, va jusqu’à déclarer que l’épreuve, lorsqu’elle est vécue avec persévérance, affermit la foi ou l’espérance (Rm 5.3-4).

Donc la foi peut voir des choses extraordinaires, mais cela ne se passe pas toujours de cette façon. Ces dernières considérations ont tout de même l’air de contredire la parole de Jésus : Si vous avez la foi, si vous ne doutez pas… si vous dites à cette colline : « Soulève-toi de là et jette-toi dans la mer », cela se fera. Si vous priez avec foi, tout ce que vous demanderez, vous l’obtiendrez. (Mt 21.22-23). Nous devons donc encore nous efforcer de comprendre ces textes.

LA MALÉDICTION DU FIGUIER

Dans le récit de la malédiction du figuier, Jésus répond à l’étonnement de ses disciples. Ceux-ci s’étonnent devant le caractère extraordinaire de cet événement. Dans sa réponse, Jésus souligne que cela n’est pas si étonnant. C’est à leur portée ; ils ont aussi la possibilité d’accomplir chose semblable. Ce propos est une manière de faire ressortir que les disciples manquent encore de foi : c’est ce que traduit leur étonnement.

Donc Jésus leur déclare qu’ils peuvent accomplir des choses extraordinaires. L’exemple qu’il prend, dire à une colline de se soulever et de se jeter dans la mer, est une manière de parler pour souligner les possibilités ouvertes à qui a la foi. Ce n’est pas à prendre littéralement, mais c’est une image pour évoquer ce qu’il y a de plus extraordinaire. Mais dire que cela est possible ne signifie pas que les disciples doivent le faire. Jésus ne leur déclare pas cela pour qu’ils s’amusent à déplacer les montagnes, pour voir ; ni pour qu’ils s’attendent à vivre en permanence des événements extraordinaires.

Car si Jésus a effectué de nombreux miracles, il n’en a pas toujours fait. Lors des quarante jours passés dans le désert, le diable lui a suggéré d’accomplir plusieurs miracles, mais Jésus a refusé. Lorsque les Israélites lui ont demandé un signe, il a refusé. Jésus a toujours refusé l’extraordinaire pour lui-même, le miracle gratuit.

Mais, dira-t-on, n’a-t-on pas un contre-exemple avec ce que Jésus vient d’accomplir ? Car quoi de plus gratuit que la malédiction du figuier ? En réalité, ce geste de Jésus n’était nullement gratuit : il était lourd de signification. Il faut le comprendre à la lumière de l’Ancien Testament où Israël est comparé à un arbre ou une vigne qui ne porte pas de fruits, ce qui lui vaudra le jugement (p. ex. És 5.1- 7). Un peu plus loin dans le récit de Matthieu, Jésus déclare en effet : Les collecteurs d’impôts et les prostituées vous précéderont dans le royaume de Dieu. En effet, Jean est venu, il vous a montré ce qu’est une vie juste, et vous n’avez pas cru en lui – tandis que les collecteurs d’impôts et les prostituées ont cru en lui. Et, bien que vous ayez eu leur exemple sous vos yeux, vous n’avez pas éprouvé les regrets qui auraient pu vous amener enfin à croire en lui. (Mt 21.31-32). Et un peu plus loin encore : le royaume de Dieu vous sera enlevé et sera donné à un peuple qui en produira les fruits. (Mt 21.43). Ainsi, la malédiction du figuier était un signe pour le peuple qui se disait peuple de Dieu sans porter les fruits de l’obéissance à Dieu, et qui allait rejeter Jésus. C’était un signe de jugement. Jésus voulait donc enseigner quelque chose à partir de la malédiction du figuier. Mais les disciples se sont arrêtés à l’acte qui les a étonnés et ils n’ont pas cherché la signification de ce geste. Alors leur étonnement a conduit Jésus à ce propos sur la foi, qui laissait de côté la signification du geste, avant d’y revenir par la suite. 

Ceci pour dire que Jésus n’a jamais eff ectué de miracle gratuitement. Et s’il déclare à ses disciples que s’ils ont la foi, ils pourront faire de même, c’est pour répondre à leur étonnement, et non pas pour les encourager à faire n’importe quoi.

DE QUELLE NATURE EST LA FOI DONT JÉSUS PARLE ?

Le point suivant concernera la nature de la foi dont Jésus parle. Car dans le texte de Luc, Jésus corrige une mauvaise conception de la foi. En demandant à Jésus d’augmenter leur foi, les disciples montrent qu’ils considèrent la foi comme un pouvoir. Ils pensent que plus la foi est grande, plus ce pouvoir est grand. La foi est pour eux comme une baguette magique. La réponse de Jésus prend le contrepied de cette conception. Ce n’est pas la quantité de foi qui compte, mais sa réalité. Il suffit d’une foi grosse… comme une graine de moutarde, une des graines les plus petites.

Si la foi était un pouvoir, alors tout dépendrait de la quantité de foi que l’on a. Mais la foi n’est pas un pouvoir que nous aurions à notre disposition et dont nous pourrions user à notre guise.

Si la foi peut voir des montagnes se déplacer, ce n’est pas parce qu’elle serait puissante en elle-même, mais c’est parce que Dieu est tout-puissant. C’est Dieu qui opère des miracles, pas notre foi. Dieu est toutpuissant quelle que soit la quantité de foi que nous avons. C’est pourquoi la quantité importe peu. Ce qui importe, c’est que cette foi existe, c’est que nous ayons foi en Dieu, et Dieu fait le reste. La foi n’est pas un pouvoir. La foi est confiance en un Dieu tout-puissant. Dieu peut agir, même si notre foi est petite, défaillante. (Ce qui n’empêche pas que notre foi soit appelée à grandir, à s’affermir ; 2 Th 4.3).

Par sa réponse à ses disciples, Jésus veut les amener à détourner les yeux de leur foi pour regarder à Dieu en qui ils croient.

Croire, ce n’est pas disposer d’un pouvoir, mais c’est compter sur Dieu. Il y a un danger réel, qui consiste à mettre sa confiance en sa foi, au lieu de la mettre en Dieu. C’est ce qui arrive lorsque quelqu’un s’imagine que, plus il croit qu’il va obtenir quelque chose, plus il a de chances de l’obtenir. On fait alors de la foi un moyen de pression sur Dieu : « Si je parviens à y croire suffisamment, Dieu le fera ». Comme si les chrétiens cités en exemple n’ont pas été guéris, c’est parce que leur guérison n’était pas dans le plan de Dieu. La foi, c’est aussi très souvent vivre l’ordinaire dans la confiance à Dieu.

Le chant intitulé « Bénis l’Éternel mon âme » (J’aime l’Éternel n° 383) contient cette affirmation : « Il [Dieu] dit que ta foi déplacera toutes les montagnes ». Mais où trouve-t-on une telle affirmation dans l’Écriture ? Il y a là deux erreurs. D’une part, Dieu n’a jamais promis que toutes nos montagnes seraient déplacées. D’autre part, on note que dans aucun des textes, Jésus n’emploie la formule « la foi déplace les montagnes ». Car ce n’est pas la foi qui, telle une baguette magique, ou telle un pouvoir, déplace les montagnes. C’est Dieu qui déplace les montagnes, et il déplace les montagnes qu’il décide, lui, de déplacer. Alors je propose une modifi cation des paroles du chant ci-dessus : « Mets en lui ta foi, car Dieu peut déplacer les montagnes »

LE RÉCIT DE L’EXORCISME

Le récit de l’exorcisme peut encore éclairer le propos de Jésus en Luc. Dans ce récit, les disciples demandent pourquoi ils n’ont pas pu chasser le démon et délivrer l’enfant. Jésus leur reproche d’être des hommes de peu de foi. Que veut-il dire par là ? Que ses disciples n’avaient pas assez de foi ? Que leur conviction n’était pas assez forte ? Certainement pas, car cela contredirait sa parole rapportée par Luc. Et le texte de Matthieu l’indique aussi puisque Jésus déclare qu’ils auraient chassé le démon s’ils avaient eu de la foi pas plus grosse qu’une graine de moutarde (Mt 17.20). Quand Jésus leur dit qu’ils sont des hommes de peu de foi, il ne veut pas dire que leur foi n’est pas assez grande, mais c’est une litote pour dire : « Vous n’avez pas eu la foi », ou plutôt : « Vous n’avez pas exercé la foi ». Ce n’est pas une question de quantité : une foi grosse comme une graine de moutarde aurait suffi . La plus infi me parcelle de foi aurait suffi . Le problème n’est pas que leur foi était trop petite, mais qu’ils n’ont pas exercé la foi.

Que s’est-il passé ? Précédemment, les disciples avaient été les instruments de miracles et de délivrances de personnes sous l’emprise de démons. Ceci les avait conduits à penser qu’ils détenaient un pouvoir. Et ils comptaient sur ce pouvoir qu’ils croyaient posséder en eux-mêmes. Ils comptaient sur leurs capacités propres, ils avaient mis leur confiance en leur propre pouvoir. Ils étaient trop sûrs d’eux, au lieu de faire confiance à Dieu. Ils avaient oublié que c’est Dieu qui opère le miracle et que c’est dans la dépendance par rapport à Dieu qu’ils pouvaient agir.

La réponse que leur adresse Jésus selon l’évangile de Marc le démontre : « Cette sorte de démon ne sort que par la prière ». Nous prions lorsque nous sommes conscients d’un besoin pour demander à Dieu d’y répondre, nous prions lorsque nous sommes conscients de notre insuffisance, de notre faiblesse, de ce que nous n’y arriverons pas seuls, ou par nous-mêmes. Les disciples n’avaient pas prié : ils croyaient pouvoir se suffi re à eux-mêmes, sans faire appel à Dieu. Ils n’avaient pas exercé la foi à ce moment-là. La foi véritable est dépendance de Dieu, et non pas pouvoir à notre disposition.

L’attitude du père de l’enfant sous l’emprise d’un démon fait contraste avec celle des disciples. Il implore Jésus : « Si tu peux faire quelque chose, aie pitié de nous et viens à notre aide ! » (Mc 9.22). Le père est sans doute échaudé par l’échec des disciples, d’où le « si tu peux ». Les disciples n’ont pas pu ; Jésus pourra-t-il ?

Jésus lui fait alors le même genre de réponse qu’aux disciples : « Si tu peux ? Tout est possible à celui qui croit ! »

La réponse du père est remarquable. Aussitôt il s’écrie : « Je crois…, mais aide-moi, car je manque de foi ! » Il a une petite foi, fragile, vacillante, mêlée de doute. Mais une foi réelle : il s’en remet à Jésus. Une foi lucide, consciente de sa faiblesse. Ce n’est pas une conviction inébranlable, mais une foi qui le pousse à faire appel à Jésus et à s’en remettre à lui. Il a la volonté de s’en remettre à Jésus. Et c’est cette foi-là qui obtient l’exaucement. Une foi dépouillée de toute prétention, sans grande assurance, mais authentique dans sa petitesse. Car ce qui fait la foi, ce n’est pas la force de conviction, mais le fait de s’en remettre totalement à Jésus et d’attendre tout de lui. C’est cette foi là qui reçoit l’exaucement. Et alors, il est bien évident que la délivrance vient, non pas à cause des ressources de cet homme ou de la grandeur de sa foi, mais de Dieu.

La foi est dépendance de Dieu ; la foi regarde à Dieu, non à soi, non à elle même ou à son degré de conviction.

Mais Jésus ne dit-il pas : « Si vous avez la foi, si vous ne doutez pas » (Mt 21.21) ? Et en s’exprimant ainsi, ne met-il pas l’accent sur la conviction qui doit accompagner la foi ? Certes, mais attention. Le doute dont il parle est doute concernant Dieu, et non pas doute concernant notre foi. Le père de l’enfant tourmenté par un démon doutait de sa foi, mais il a exercé la foi en s’en remettant à Jésus. En implorant son secours, il a montré qu’il avait confiance en Jésus, même si cette confiance était faible.

PIERRE MARCHE SUR L’EAU

Un autre récit de Matthieu peut apporter un éclairage supplémentaire. Celui qui relate la marche de Pierre sur l’eau (Mt 14.29-30). Pierre, dans le bateau sur le lac, voit Jésus venir en marchant sur l’eau. Il lui fait alors cette demande : « Si c’est bien toi, Seigneur, ordonne-moi de venir te rejoindre sur l’eau. » Voilà bien une demande téméraire, inconsidérée. Mais Jésus accède à cette demande. Ce sera l’occasion de donner à Pierre une bonne leçon… Il lui dit : « Viens ». Et Pierre, l’impétueux, sort du bateau et se met à marcher sur l’eau. Mais regardant autour de lui, considérant le vent et les eaux du lac agitées, il prend peur et commence à s’enfoncer. Son erreur est d’avoir cessé de regarder à Jésus pour regarder à la tempête.

La question qui importe n’est pas celle de la force de conviction. La vraie question est la suivante : Estce que nous regardons à Christ ou pas ? Est-ce que nous exerçons la foi en Christ, si petite soit-elle, ou pas ? Alors qu’il a cessé de regarder à Jésus pour considérer les circonstances, la tempête qui sévissait, Pierre a cessé d’exercer la foi.

FOI, DOUTE ET CONVICTION

Le doute peut aussi surgir lorsque nous cessons de regarder à Jésus pour nous interroger sur notre foi ; lorsque nous regardons à notre foi au lieu de regarder à Jésus. Nous interroger sur notre foi peut nous faire cesser de mettre en œuvre la foi. Et dans le cas de l’échec des disciples face au démon qui tenait l’enfant sous son emprise, le problème est que les disciples ont compté sur leur pouvoir, au lieu d’exercer la foi en Dieu. Ce qui importe n’est pas le degré de ma conviction, mais le fait d’exercer la foi en Dieu, si petite soit cette foi. L’échec intervient lorsque l’on cesse d’exercer sa foi en Dieu. Pour mettre sa foi en Jésus, une certaine conviction est nécessaire. Il faut que je crois en lui, un minimum, pour me confier en lui. Mais la foi, c’est plus qu’être convaincu. C’est lui faire confiance, s’en remettre à lui, dépendre de lui. Et pour cela, il faut le vouloir. Le père de l’enfant a voulu faire confiance à Jésus, même si son degré de conviction était faible.

LA FOI EST SOUMISSION À LA VOLONTÉ DIVINE

Donc, nous l’avons vu, la foi ne consiste pas à faire pression sur Dieu, à lui imposer notre volonté. La foi est dépendance de Dieu. La foi, c’est chercher la volonté de Dieu et non la nôtre. Prier avec foi, c’est prier selon ce que nous connaissons de la volonté de Dieu, c’est prier avec soumission à la volonté de Dieu. Vues de la sorte, les promesses de Jésus ne constituent pas un encouragement à demander n’importe quoi. Nous n’allons pas demander à telle montagne de se déplacer pour voir si cela marche.

Jésus a maudit le figuier parce qu’il avait foi en Dieu ; mais aussi, il a accompli ce geste dans la mesure où c’était la volonté de son Père qu’il le fasse. S’il a par contre refusé d’accomplir les miracles suggérés par le Tentateur, c’est parce qu’il savait que ce n’était pas la volonté de Dieu qu’il les accomplisse.

Ce que Jésus nous enseigne, c’est que notre foi verra des choses extraordinaires lorsque cela fera partie du plan de Dieu. Et lorsque Dieu nous confie une tâche, un projet, nous pourrons les réaliser si nous lui faisons confiance. Ne pas exercer la foi peut conduire à l’échec. Mais Dieu réalisera ses desseins en nous et en se servant de nous si nous lui faisons confiance.

Nous avons à cet égard l’exemple de Jésus, celui des héros de la foi d’Hébreux 11, celui des apôtres eux mêmes. Et l’histoire de l’Église est pleine de montagnes déplacées d’accomplissements qui paraissaient impossibles à vues humaines.

Par ses promesses, Jésus nous encourage à la foi, et non pas nécessairement à accomplir des choses extraordinaires, non pas à demander n’importe quoi. Il veut dire que si nous marchons selon la volonté de Dieu, si nous entrons dans les projets de Dieu, et si nous lui faisons confiance, nous le verrons agir, répondre aux prières d’une manière ou d’une autre, intervenir.

Parfois, nous pouvons nous tromper dans ce que nous demandons à Dieu. Notre demande peut être à côté de sa volonté. Nous ne savons pas toujours ce qu’il convient de demander (Rm 8.26). On peut se tromper en étant convaincu. C’était le problème de ces chrétiens qui s’étaient persuadés que Dieu allait les guérir et qui ont refusé tout traitement médical. Ce n’est pas qu’ils n’avaient pas la foi, mais qu’ils se sont trompés sur la volonté de Dieu. Cette conviction qu’ils avaient n’est pas la foi.

Il nous faut souvent avancer à tâtons, ou sans savoir précisément ce que Dieu tient en réserve pour nous, ce qu’il accomplira. Mais si nous lui faisons confiance, si animés de cette confiance nous marchons sur le chemin qu’il trace pour nous, nous le verrons agir et intervenir pour nous mener au but.

La question est donc la suivante : Est-ce que nous voulons lui faire confiance ?

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Sur « Dieu et sa Parole »

Le 1 Février 2023

SUR « DIEU ET SA PAROLE »

par Henri Blocher

Deux traits caractéristiques du « florilège » me semblent intéressants à commenter. Il y a l’association des deux thèmes annoncés dès le titre : l’ouvrage contient d’abord un paquet d’études ressortissant à la doctrine de Dieu, en particulier de la Trinité ; la deuxième moitié en offre un autre sur l’Écriture, Parole de Dieu. Les deux vont bien ensemble, et je vais dire pourquoi. D’autre part, le lecteur habitué à mes livres de vulgarisation peut être surpris par le genre académique d’à peu près tous les textes proposés. Ils sont, la plupart, issus d’exposés présentés lors de colloques théologiques, et recourent à une certaine « technicité ».
J’y dépense beaucoup d’énergie à dialoguer, discuter, avec des théologiens qui n’adhèrent pas tous à la « saine doctrine ».
Le lecteur pourrait s’impatienter. Quelques explications et considérations seront, j’espère, utiles.

Doctrine et parole de Dieu

Le lien entre la doctrine de Dieu et celle de sa Parole s’impose avec évidence : par la Parole qu’il nous a donnée, qu’on peut aussi appeler sa « révélation », nous accédons à la connaissance de Dieu. Parce qu’il nous a parlé de lui-même, nous parlons de lui – y compris intérieurement, c’est-à-dire pensons. Calvin faisait ressortir cette corrélation : il répétait volontiers que Dieu est le seul « témoin idoine de soi »2, avec cette exhortation : « ne mettons point en notre cerveau de chercher Dieu, sinon en sa Parole, de penser de lui sinon étant guidés par elle, et n’en rien dire qui n’en soit tiré et puisé »3. Ou encore : « nous désapprenons de bien parler quand nous ne parlons point selon Dieu »4. C’est la logique de Paul en 1 Corinthiens 2.10-13 : de même que les secrets personnels ne sont connaissables que par la déclaration de la personne, les secrets de Dieu ne nous sont accessibles que par son Esprit – l’Esprit qui en enseigne les mots mêmes aux apôtres (v.13) ; grâce à cette médiation, nous avons la pensée/ intelligence (noûs) du Christ (v.16).

Il faut cependant affiner

À partir de la conviction commune des confessions chrétiennes selon laquelle l’Écriture est Parole de Dieu, les Réformateurs ont appliqué, comme la règle à suivre en théologie, « science de Dieu », le principe dit « formel » [quasi mot d’ordre, voire slogan] sola Scriptura, « par l’Écriture seule »5. Le corollaire semble être que la voie biblique est la seule qui conduise à la connaissance de Dieu. La position catholique romaine, indépendamment du rôle de la tradition (c’est un autre débat), diverge ici expressément. Saint Thomas d’Aquin enseigne que la raison, sans l’aide de la révélation, peut accéder à une première série de vérités sur Dieu, à l’exclusion des « mystères » : son existence, son unicité, ses attributs6 ; Thomas concède, il est vrai que peu y parviennent – il faut du temps et se mêlent beaucoup d’erreurs7. Le Premier Concile du Vatican en a fait une vérité de foi (!), avec lourde insistance : « Si quelqu’un dit que le Dieu unique et véritable, notre créateur et Seigneur, ne peut pas être connu avec certitude, à partir des choses créées, par la lumière naturelle de la raison humaine : Qu’il soit anathème ! »8. Cette possibilité est dite de la « théologie naturelle ».
Les catholiques s’accrochent au rocher inébranlable de Romains 1.18ss, qui affirme en effet une connaissance de Dieu, de sa puissance éternelle et de sa divinité, à partir de la création, perçue par l’intelligence (v.20 : noouména, « intelligées »), une connaissance présente dans l’humanité. Leur intention est celle de l’apôtre : montrer les négateurs inexcusables – à l’impossible nul n’est tenu. S’il était impossible aux humains de connaître Dieu, raisonnent les thomistes et autres catholiques, leur culpabilité à cet égard se dissoudrait aussitôt. Dans la ligne de la Réforme, on trouve les moyens de rétorquer : la connaissance dont parle Paul est « retenue » , comme prisonnière (verbe katéchein, v.18), dans l’injustice ; elle dégénère immédiatement en folie (v.22) ; elle n’est plus présente que sous la forme de vaines pensées et d’un coeur enténébré (v.21). Romains 1.18ss n’ouvre pas la perspective d’une théologie naturelle selon la vérité, mais dénonce une théologie naturellement idolâtrique. Les catholiques montrent ici aussi qu’ils sous-estiment le péché et ses effets. Ils ne tiennent pas assez compte de l’obscurcissement de l’intelligence (Ep 4.18), de l’incapacité de l’homme naturel ou de la « chair » (psuchikos, qui n’a pas reçu le Saint-Esprit, 1 Co 2.14 ; sarx, Rm 8.7) quant aux choses de Dieu, de la nécessité de la « crainte de YHWH » pour avoir une raison saine (Ps 111.10 ; Pr, passim). À partir de ce dernier accent, une tradition qui se réclame de saint Augustin et se précise chez Abraham Kuyper et ses disciples souligne qu’il est illusoire et pernicieux d’attribuer à la raison autonomie et neutralité religieuse.

L’intelligence ne peut fonctionner dans le vide : elle procède d’une orientation préalable, reçoit le cadre et les critères dont elle a besoin, un schéma d’organisation du réel qui est l’embryon d’une vision du monde. C’est peut-être ce qu’a en vue Éphésiens 4.23 sous l’expression d’« esprit de l’intelligence ». En tout cas, c’est la disposition du coeur, source première dans la vie humaine (Pr 4.23), et la pensée. Sans changement de cette disposition, changement qu’évoque aussi la métaphore du coeur de pierre changé en coeur de chair (Ez 36.26), la vérité de Dieu subit forcément une grave déformation. Seule la Parole qui nous est parvenue comme Écriture Sainte nous fait connaître Dieu en vérité.

Deux considérations valent pour prévenir les malentendus

En premier lieu, l’incapacité de l’homme naturel est celle du péché, seulement du péché. Ce n’est pas la perte d’une faculté au sens d’organe, mais un blocage dans l’usage des facultés, logé dans le vouloir. L’être humain pourrait s’il voulait, mais il ne peut pas parce qu’il ne veut pas : auto-prisonnier de son orgueil (Rm 1.22), de son goût pour le mensonge, de sa paresse… Et c’est pourquoi son incapacité n’abolit pas sa responsabilité. L’incapacité n’est pas « métaphysique » , affectant l’être/essence de l’humain, mais « éthique », relative à son comportement, ce qui inclut la relation à Dieu (ainsi Cornelius Van Til). Pour employer un langage plus imagé : l’homme naturel est sourd à la voix de Dieu, ce n’est pas qu’on lui ait coupé les oreilles – simplement, il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. L’homme naturel est aveugle, ce n’est pas la perte de la faculté de voir – « Si vous étiez aveugles, dit Jésus, vous n’auriez pas de péché » (Jn 9.41) – c’est la prétention de voir par soi-même qui l’aveugle. Comme le péché lui-même, l’incapacité qu’il comporte se laisse cerner mais garde une opacité mystérieuse pour l’intelligence : elle est étrangère à la bonne création de Dieu, pour laquelle notre intelligence a été faite, elle est « autre » que les plus et moins (de capacité) qui appartiennent à l’harmonie du commencement. 

Même quand on pratique une telle récupération, le reste de connaissance de Dieu discerné est attribuable à la Parole de Dieu. Non pas à la Parole de Dieu biblique, mais à la Parole de Dieu que relaie la création (Ps 19.2-5). L’attestation de Dieu par ses oeuvres équivaut à un langage. S’il faut résister à l’idée de théologie naturelle (véridique), l’orthodoxie.

En deuxième lieu, ne pas négliger la grâce commune. La grâce commune est celle dont Dieu fait bénéficier tous les humains, même rebelles et réprouvés (Mt 5.45 ; Ac 14.17) : elle « freine » le péché sans régénérer. Cette grâce permet aux pécheurs de faire des oeuvres relativement bonnes, d’atteindre cette « justice civile » dont parlaient les Réformateurs. Elle limite la déformation pécheresse de la vérité de Dieu telle que la détient/retient l’homme naturel. En celui-ci, la situation est donc fort complexe : « ce qu’on peut connaître de Dieu », attesté par ses oeuvres, correspond au « sens de la divinité » implanté en tout être humain selon Calvin ; puis se mêle intimement le refus de rendre gloire à ce Dieu tel qu’il est, et le rabattage du « sens » sur la créature (idolâtrie, plus ou moins subtile) ; en outre, l’opération de la grâce commune limite les effets de ce refus pécheur. Il en résulte que le pécheur peut, parfois, adopter des vues qui ne sont pas reconnaît une révélation naturelle, ou « générale », les notions de révélation et de Parole se recouvrant pour l’essentiel. Comme la révélation spéciale, Parole de Dieu scripturaire (prophético-apostolique) use du langage humain et que celui-ci se constitue dans l’humanité par le commerce avec la création, il apparaît que la révélation spéciale présuppose la révélation naturelle/générale. La capacité du langage à servir à la communication de Dieu n’est pas indépendante du caractère originel de la création : révélation ou Parole de Dieu.

Un pas de plus

Si toutes les choses venues à l’existence sont des moyens par lesquels Dieu nous parle, c’est qu’elles ont été elles-mêmes formées par la Parole. Le message du Prologue de Jean le proclame. Pour les stoïciens, la cohésion et la consistance du cosmos étaient assurées par le Logos, Raison divine : le vrai Logos, conjoignant les sens de Raison et de Parole, est celui qui est venu en chair. Jésus est la Parole dans un sens suréminent (sans affaiblir l’usage du titre pour les actes de langage recueillis dans l’Écriture). Calvin a su le dire : « [B]ien que toutes les révélations issues de Dieu soient à bon droit intitulées sa Parole, encore faut-il toutefois mettre en degré souverain cette Parole essentielle, qui est la source de toutes les révélations »9. La Parole essentielle (Logos) à la fois se distingue de Dieu et elle est Dieu. L’association Dieu/sa Parole se découvre ainsi intérieure à la doctrine de Dieu même : impliquée par le mystère de la Trinité (Jean 1.1 et 1.18), dont s’occupent plusieurs des essais du recueil Dieu et sa Parole.
Que Dieu ait en lui-même sa Parole, qu’il se différencie sans porter atteinte à son unité absolue de Dieu unique, suscite une méditation infinie. Il s’oppose ainsi aux idoles muettes selon l’apôtre (1 Co 12.2). Une spiritualité qui promeut la responsabilité en est induite : il est flagrant que les cultes païens culminent dans deux écrasements jumeaux de la parole : le silence, jugé supérieur, dans lequel on s’abîme ; le bruit, déchaînement de décibels, qui livre aux forces obscures. Avec la Parole en Dieu, une fondation est pourvue pour les relations créées qui en offrent des analogies : fondation « ontologique » (dans l’Être-même) de l’intelligibilité, de la dicibilité, des êtres. En théologie trinitaire, le rapport de Dieu et de son Logos accompagne et, je crois, interprète le rapport entre le Père et le Fils. Il avertit de ne pas projeter en Dieu, naïvement, l’image d’une famille humaine : le Père et le Fils sont comme un homme et sa parole intérieure. La Trinité implique un dynamisme de la divinité qui permet à Dieu de s’exprimer parfaitement en lui-même, produisant son alter ego qui a tout en commun avec lui – sauf la distinction de l’exprimant et de l’exprimé, engendrant et engendré ; ce dynamisme peut être dit présence à soi.

L’association Dieu/sa Parole nous avertit aussi, quant à l’Écriture, contre la tendance à privilégier le texte jusqu’à l’éclipse de la parole. La tendance atteint son paroxysme moderne-post avec la lutte de Jacques Derrida contre la prééminence du Logos, contre le lien du signe à une réalité : les signes ne renvoient qu’à d’autres signes, indéfiniment – pour le sens, suicide par évaporation. Sans aller jusqu’à cet extrême, nous pouvons glisser dans cette direction : il est frappant de voir combien le texte est, au contraire, pour Jésus la Parole du Père, le véhicule de sa présence.

Où il est question de technicité…

Le texte applique un code pour transcrire les phonèmes en signes graphiques et sert ainsi la Parole. On peut dire un peu la même chose de la « technicité » qui entre dans les travaux académiques, y compris certains qu’on pourra lire dans Dieu et sa Parole. Il y a des lecteurs qui s’en impatientent, et pour qui la technicité est un écran. La technicité peut être un écran, et même par tactique délibérée – pour masquer l’absence d’arguments probants. Mais, elle qui coûte à l’auteur beaucoup de temps et d’énergie (j’en rends témoignage), est nécessaire au service de la thèse, de la défense et illustration de la vérité (qu’on espère opérer en écrivant).

Il y a le vocabulaire, les allusions, les raccourcis dans les enchaînements. Il en va ainsi de tout champ de spécialisation. Les spécialistes ont leur « jargon », qu’ils soient maçons, médecins ou maraîchers. Comme C. S. Lewis l’a relevé, le gain se résume : brièveté. S’il faut tout expliquer, on n’en sort pas ! Le volume doit être multiplié par dix, cent.

Suite de l’article de M. Henri Blocher

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