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En souvenir de Jeanne dite Yannik Blocher

Extraits de l’évocation du parcours de Yannik Blocher

par Jacques Blocher

Le désarroi devant la mort nous conduit souvent à appeler à la rescousse des images spectaculaires. Avec la mort de Yannik, c’est d’abord un chant qui s’évanouit. C’est une voix qui nous accompagnait depuis toujours qu’engloutit le silence de la mort.

 

Le chant fut en effet le grand plaisir de sa vie et son domaine d’excellence incontesté, l’objet de grandes espérances, car elle avait vraiment de très grands dons… C’est sa professeur de piano établie au Perreux, elle-même cantatrice, qui lui donna ses premières leçons de chant et de diction. Après quelques années il lui fallut des professeurs plus experts encore. Au début des années 1960, Yannik étudie désormais avec John Riley, un baryton noir américain dont la critique musicale fit l’éloge, établi à Paris à la fin des années 1940.

 

C’est par le travail vocal que Yannik acquit la maîtrise de disciplines exotiques qui constituèrent le socle de sa future vocation d’enseignante : la pose de la voix (« dans le masque ! ») et la diction. La phonétique et le français furent pour elles des spécialités plus tardives… C’est grâce au chant, par l’enseignement de la diction, que Yannik fit ses premières armes d’enseignante vacataire à l’Institut, dès les années 1960.

 

Face à l’adversité, Yannik tenait ferme, l’obstination étant chez elle cousine de l’entêtement… À sa façon, « rock of ages » – roc séculaire – plutôt que « rock’n roll », elle fut un roc. Un rocher de tradition d’abord, faisant une règle de vie de l’aphorisme prêté à Ruben Saillens, selon lequel « les choses bonnes sont rarement nouvelles et les choses nouvelles rarement bonnes ».

 

Roc de tradition, roc de convictions aussi. Souriante toujours, tous l’ont connue intraitable sur la bonne doctrine comme sur le témoignage à rendre envers ceux qu’elle considérait comme non-croyants. Et pourtant Yannik n’eut jamais la foi « facile »… Elle ne fut jamais débarrassée du doute intellectuel, ni de l’anxiété qui constituait le fond de son tempérament et qui se concentra tour à tour, au fil des décennies, sur le niveau de ses ressources, sur la solitude qui lui pesait, ou sur son état de santé. Mais contre ses peurs et ses doutes, elle avait choisi d’affirmer sa foi, à temps et à contretemps, forçant sa timidité et parfois les usages, se reposant sur les théologiens présents et passés de la famille pour régler les détails…

 

À la plupart de ceux qu’elle croisait elle promettait sa prière, ce qui était pour elle une forme de don de soi. Car Yannik, qui avait elle-même bel et bien donné son cœur au Seigneur Jésus, aimait donner. Elle était un roc, certes, mais non pas de béton. Un rocher au cœur tendre comme ceux qu’on fait en chocolat, si j’ose dire… Elle fut aussi – pour beaucoup elle fut surtout – un cœur. Un cœur ardent et généreux qui clamait tout haut des sentiments que la pudeur ordinaire commande plutôt de taire. Et jamais une médisance. Elle était un cœur qui avait besoin de donner.

 

Ce samedi 6 mars, voulant sans doute se lever au petit matin selon son habitude, elle s’est effondrée à côté de son lit. Sans un cri. Tout porte à croire que son décès a été instantané… Elle était enfin délivrée de toute peur, et des amoindrissements cruels que la vieillesse lui avait infligés. Nous voulons croire qu’elle a retrouvé à présent la pleine possession d’elle-même, là où elle est, et toute sa joie de vivre. Et que résonnent à présent, sous les voûtes célestes, le rire sonore et les exclamations théâtrales que depuis longtemps on ne lui a plus entendus. C’est ce qui nous console de la demi-mort qu’elle a longtemps endurée, et maintenant du vide, de l’absence, et du silence…

Yannik aux multiples facettes

par Marie-José Maré

C’est avec des yeux d’enfants que j’ai vu Yannik pour la première fois. Nous arrivions alors, en famille, à l’Église du Tabernacle qui allait devenir notre Église. Mes souvenirs d’enfants à propos de Yannik sont d’abord musicaux : solos dans la chorale, accompagnement des cantiques au piano et surtout sa prestation artistique lors des fêtes de Noël de l’Église, le dimanche après-midi. La lumière de la salle baissait tandis que sa voix lyrique, elle, s’élevait… presque jusqu’au ciel. Je me croyais à un grand concert… et trouvais à Yannik un petit air de la célèbre soprano Mady Mesplé.Le temps a passé et les circonstances de la vie nous ont rapprochées de diverses manières.

 

[…] 

 

En faisant une course dans les rues de Nogent cette semaine, j’ai réalisé que mes yeux d’adultes ne croiseraient plus la silhouette de Yannik, marchant de son pas si caractéristique, les mains derrière le dos, la tête légèrement baissée et l’esprit sans doute un peu déjà au ciel…